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Face-à-face avec l’inhumanité

Malgré le fait qu’il étudie les pires violences que les humains peuvent s’infliger, le spécialiste du génocide Adam Jones demeure optimiste.

par VIVIAN SMITH | 09 SEP 15
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Illustration par Albert Law

À la question « Mais pourquoi avoir choisi un tel sujet? » Adam Jones, spécialiste des études sur le génocide, un domaine de recherche en pleine expansion, répond « certains sujets vous choisissent avant que vous ne les choisissiez ». Sa réponse peut sembler banale, mais c’est selon lui la plus exacte. Le professeur de science politique au campus Okanagan de l’Université de la Colombie-Britannique dit souhaiter que ses lecteurs et auditeurs constatent la dignité des personnes qui, de tout temps, sont tuées simplement en raison de leur appartenance à un groupe donné. Il nous met au défi de voir le génocide non pas comme une explosion fulgurante et momentanée de barbarisme, mais plutôt comme un bouillonnement permanent, un danger latent dans toutes les sociétés et pouvant être exacerbé lorsque les institutions et les structures sociales permettent de telles atrocités.

Son manuel Genocide: A Comprehensive Introduction est largement utilisé et bien accueilli dans le milieu. Publié en 2006, il a déjà fait l’objet d’une réédition augmentée en 2010 et une troisième édition est prévue en 2016. M. Jones a également écrit ou dirigé de nombreux ouvrages savants, articles de revue, comptes rendus critiques et chapitres de livres. Sa passion connexe pour le photojournalisme – il a aspiré à une carrière de reporter avant de se consacrer à la recherche – l’a récemment mené à publier deux ouvrages photographiques non universitaires, intitulés In Iran et Latin American Portraits.

Consultant auprès du Bureau du conseiller spécial pour la prévention du génocide de l’ONU, à New York, il donne des séminaires de formation à des représentants de cette organisation, d’organismes intergouvernementaux, d’ONG et d’organismes de défense des droits. Il s’intéresse surtout aux atrocités sexospécifiques (ou « gendercide » en anglais) visant les hommes en âge de combattre, un phénomène qui s’observe « tout autour de nous », selon lui. Bien que les médias de masse et les universitaires insistent sur les victimes féminines des violences sexospécifiques lors des conflits (comme on le voit avec Boko Haram au Nigeria ou le groupe armé État islamique au Moyen-Orient), il avance que les hommes sont presque toujours visés les premiers, et souvent plus intensément, dans les cas de génocide.

Les experts des génocides interviewés pour le présent article s’entendent sur la valeur durable des recherches et du militantisme de M. Jones. « Ses recherches révolutionnaires ont permis d’élargir la définition du géno-cide, de déterminer quand et où le phénomène survient et qui en est responsable », explique Christopher Powell, professeur adjoint de sociologie à l’Université Ryerson, spécialiste du génocide et de la théorie sociologique. « Il est l’un des meilleurs du domaine », résume une pionnière des études sur le génocide, Barbara Harff, professeure émérite à l’Académie navale des États-Unis.

Comme globe-trotter, universitaire et photojournaliste, M. Jones a fait du monde entier son terrain d’observation. Il a sillonné plus de 80 pays, non seulement pour visiter les théâtres d’atrocités et y recueillir de l’information, mais aussi pour voyager, une activité qui, au contraire, alimente son optimisme et assure son bien-être psychologique. « Le voyage, écrit-il, est à l’origine de ma foi en la bonté fondamentale et le potentiel de l’humanité. »

Ses travaux sur le génocide sexospécifique sont les plus controversés.« Beaucoup de gens aiment ce qu’il fait, mais ils sont tout aussi nombreux à juger ses recherches très problématiques », affirme Laura Sjoberg,
professeure agrégée de science politique à l’Université de la Floride, spécialiste des méthodes féministes et fondées sur le genre dans l’étude des relations internationales. Elle est d’accord avec les universitaires qui reprochent à M. Jones d’analyser la violence dirigée expressément vers les hommes comme un grand renversement en matière de discrimination sexuelle. D’autres critiquent le terme « gendercide », indiquant qu’il confond les notions de genre et de sexe, alors que le genre est selon eux une construction sociale ayant peu de choses à voir avec le sexe biologique d’une personne.

  1. Jones réplique à ses détracteurs qu’il s’est donné pour mission de « demander justice pour toutes les formes d’atrocités sexospécifiques – contre les femmes, les hommes, ou encore les personnes transgenres –, tout en mettant l’accent particulièrement sur le massacre sélectif d’hommes et de garçons. » L’un des signes avant-coureurs les plus fiables d’un génocide imminent, avance-t-il, est le rassemblement sélectif de jeunes hommes.

Vivian Smith est une auteure, consultante et chargée de cours en journalisme de Victoria (Colombie-Britannique).

 

Rédigé par
Vivian Smith
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