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Gérer l’innovation comme vocation

Selon Geneviève Tanguay, il faut donner l’occasion à l’innovation de s'épanouir, qu’elle soit de nature technologique ou sociale.

par SAMUEL SAUVAGEAU-AUDET | 07 FEV 23

Chapeautant actuellement cinq centres de recherche qui couvrent des domaines aussi variés que l’astronomie, l’astrophysique, les nanotechnologies, la métrologie, la sécurité, les technologies de rupture, l’électronique et la photonique avancée, Geneviève Tanguay, vice-présidente aux technologies émergentes du Conseil national de recherches Canada (CNRC), n’a pas le temps de s’ennuyer. « Je touche à tout et en même temps, j’amène ces domaines à se toucher. C’est ça ma plus grande victoire. »

Celle qui œuvre à générer une convergence entre ces domaines ne s’en cache pas, elle entretient une relation particulière avec les sciences physiques et technologiques. Ses expériences variées au fil de sa carrière, notamment celles de  présidente de l’Acfas, de vice-rectrice à la recherche de l’Université de Montréal ou encore de sous-ministre adjointe au ministère du Développement économique, de l’Innovation et de l’Exportation, ont consolidé son goût de l’innovation.

Traduire la recherche en « réalité fonctionnelle »

Jongler entre sciences physiques et sociales peut parfois s’avérer compliqué. Cela n’empêche toutefois pas Mme Tanguay de jouer à l’équilibriste entre ces deux univers scientifiques au profit du « bon fonctionnement » de la chaîne d’innovation, et ce, tout au long de son développement.

« Ce qui m’anime beaucoup aujourd’hui, c’est de veiller à ce que les politiques industrielles soient bien connectées avec les politiques de développement de la recherche, du savoir et des connaissances. Pour moi, c’est l’essentiel », affirme Mme Tanguay.

Celle qui a siégé à la présidence de l’Acfas en 2005-2006 voit son rôle au CNRC comme un devoir de « complémentarité », c’est-à-dire d’aller « plus loin », en prenant les découvertes issues de la recherche et en les traduisant en « réalité fonctionnelle » pour, finalement, les intégrer au sein d’un « milieu industriel ».

« Ce qui m’anime beaucoup aujourd’hui, c’est de veiller à ce que les politiques industrielles soient bien connectées avec les politiques de développement de la recherche, du savoir et des connaissances. Pour moi, c’est l’essentiel. »

« L’important est de fédérer les gens, de s’assurer de leur complémentarité les un.e.s avec les autres », ajoute-t-elle en faisant référence aux diverses équipes universitaires de recherche travaillant pour le compte du CNRC.

Se définissant elle-même comme « partisane » de l’innovation technologique, Mme Tanguay tient à mettre l’accent sur le tandem innovation-commercialisation, qui selon elle, reste un processus complexe et de longue haleine. D’après la scientifique, les gens ont tendance à simplifier le long processus menant à la commercialisation de la recherche. De fait, Mme Tanguay insiste sur la non-linéarité de la chaîne d’innovation, qui est plutôt caractérisée par de nombreux « allers-retours » et « croisements ».

« Pour être en mesure d’innover technologiquement, il faut avoir de bonnes recherches, d’où l’importance de conserver notre recherche fondamentale, celle des connaissances de base. Souvent, quand on arrive à la commercialisation, on s’aperçoit que ça fonctionne à petite échelle, mais pas à grande échelle », explique-t-elle.

L’innovation et les sciences sociales

Mme Tanguay tient aussi à distinguer la finalité de l’innovation technologique de celle des sciences sociales. Pour ce faire, elle revient sur son mandat de présidente de l’Acfas, où elle se prononçait généralement « au nom de toutes les sciences », incluant les sciences humaines et sociales.

« On ne peut pas parler de commercialisation, à proprement parler, dans l’univers des sciences humaines et sociales. Cependant, on peut parler de vulgarisation et de transfert. L’innovation sociale a donc sa place, et je trouve qu’elle est un peu oubliée dans le contexte actuel, si l’on parle du Québec.»

Selon elle, la plupart des grandes innovations québécoises entrent dans le spectre du social. Pour appuyer ses propos, Mme Tanguay donne l’exemple de l’avènement du système de garderie « pratiquement gratuite » au Québec. « C’est pour cette raison qu’au Québec, on avait plus de femme qui se retrouvait sur le marché du travail que dans les autres provinces canadiennes, qui ont encore un certain rattrapage à faire malgré les programmes mis en place par le gouvernement fédéral », précise-t-elle.

« On ne peut pas parler de commercialisation, à proprement parler, de l’univers des sciences humaines et sociales. Cependant, on peut parler de vulgarisation et de transfert. »

En 2019, le Québec s’est positionné au deuxième rang parmi 32 États de l’OCDE avec un taux d’emploi de 83,4 % chez les femmes de 25 à 54 ans, contrairement au reste du Canada dont le taux s’établissait à 78,7 %.

Un enjeu important aux yeux de Mme Tanguay. En effet, celle qui a été la première femme à agir en tant que vice-présidente à la recherche au CNRC et la première femme nommée vice-rectrice à la recherche, la création et l’innovation à l’Université de Montréal, elle suit attentivement l’évolution en matière d’équité.

« Au CNRC, nous regardons beaucoup la situation de la présence des femmes dans différents domaines scientifiques et nous la comparons au marché du travail pour voir si une certaine proportion est respectée, mais c’est encore trop bas. On est vraiment loin du but », constate-t-elle.

Elle est consciente qu’il existe encore certains « biais » au sein de la communauté scientifique, rendant parfois plus difficile pour les femmes de s’intégrer à des groupes de recherche. Dans ce genre de situation, « il faut s’attaquer au problème et se regrouper », affirme la gestionnaire.

C’est notamment pour cette raison que Mme Tanguay agit en tant que « responsable » des femmes de sciences au CNRC. Elle organise donc des rencontres à huis-huis-clos dans le but de valoriser la parole des femmes et leur présence.

Au courant de sa carrière de scientifique et de gestionnaire, Mme Tanguay a été appelée à combiner sciences pures et sciences sociales. Le nouveau télescope d’une trentaine de mètres en cours de construction sur le sommet du Mauna Kea à Hawaii auquel le Canada contribue en est d’ailleurs un bon exemple.

« […] Je suis devenue gestionnaire avec le temps. J’aime gérer l’innovation. J’aime les gens qui travaillent en recherche. »

« Avec ce projet, on est plongé dans les sciences sociales, car de nombreuses personnes sont contre l’idée de construire ce télescope de 30 mètres, ce qui est intéressant et fascinant. » Selon l’administratrice, c’est là où la « diplomatie scientifique » entre en jeu. « On se retrouve [à faire partie d’un] comité avec des représentant.e.s de nations étrangères [qui ont] des cultures et des approches différentes. ». En effet, l’implantation du télescope fait face à une forte mobilisation de la part des Autochtones, qui défendent le territoire choisi pour le télescope alors que celui-ci est considéré sacré par le peuple Kanaka Maoli. Malgré l’opposition que suscite ce projet à l’échelle  nationale et internationale, celui-ci devrait quand même aller de l’avant. Le dialogue social prend donc place.

Scientifique et gestionnaire

Pour Mme Tanguay, il ne fait aucun doute que l’Acfas joue un rôle majeur dans l’élaboration de politiques scientifiques, tant au niveau fédéral que provincial. « L’Acfas veille à ce que l’équilibre entre les différents domaines de la recherche ne soit pas brisé. Elle permet de mieux traduire l’innovation ».

Selon elle, l’innovation sociale ne doit pas être sublimée, il faut plutôt lui donner l’occasion, comme à l’innovation technologique, de s’épanouir.

Bien loin de son domaine d’étude originel en parasitologie, son rôle de gestionnaire de l’innovation, Mme Tanguay l’a appris lentement, mais sûrement, au travers de ses expériences. « Je ne vous dirai pas que je connaissais tout ça avant d’arriver au CNRC, je suis devenue gestionnaire avec le temps. J’aime gérer l’innovation. J’aime les gens qui travaillent en recherche. » raconte la vice-présidente à la recherche.

Rédigé par
Samuel Sauvageau-Audet
Samuel Sauvageau-Audet est journaliste pigiste francophone pour Affaires universitaires.
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