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Il est temps de transformer l’enseignement au premier cycle

Pour un vrai changement, il faut repenser radicalement le processus d’enseignement et d’apprentissage.

par PIERRE ZUNDEL + PATRICK DEANE | 06 DÉC 10

Au printemps prochain, des recteurs participeront à un atelier sur l’enseignement au premier cycle dans les universités canadiennes, organisé par l’Association des universités et collèges du Canada (AUCC)*. Fort attendu et plus que le bienvenu, cet atelier pourrait être transformateur. Sa réussite nécessite toutefois que nous dépassions l’état d’esprit passéiste qui, depuis au moins 10 ans, empêche tout progrès réel sur le plan pédagogique. Ce blocage tient à une série de facteurs que nous connaissons tous : escalade des coûts, déclin des investissements publics, hausse des inscriptions accompagnée d’une réduction du corps professoral, etc. Nous avons pourtant oublié de nous recentrer sur nos objectifs et d’explorer des moyens radicalement différents de les aborder, comme nous le conseillons à nos étudiants dans de semblables circonstances.

En réaction à la pénurie de ressources, les universités ont principalement opté pour la réduction des coûts de l’enseignement proprement dit. C’est ainsi qu’on a assisté à une prolifération des chargés de cours et à un accroissement du nombre d’étudiants par classe. Pendant ce temps, le modèle d’apprentissage (ou technologie de l’enseignement) est demeuré inchangé. Comme dans la description par Figuier d’Aristote instruisant Alexandre le Grand, cette méthode veut que le savant (le professeur) inculque son savoir au novice (l’étudiant). Le premier enseigne, le second apprend. Compte tenu du déclin actuel des ressources, on peut s’interroger : l’un et l’autre s’acquittent-ils de leur tâche efficacement? Même dans un contexte idéal, cette méthode minimise le rôle de l’étudiant par rapport à celui du professeur dans le processus d’apprentissage. Une telle technologie de l’enseignement rappelle en réalité certains processus industriels antérieurs à la découverte des catalyseurs : d’énormes quantités de combustibles fossiles étaient consommées pour générer l’énergie nécessaire au déclenchement des réactions chimiques souhaitées.

Bien sûr, au terme de leur apprentissage, certains étudiants sont en mesure de résoudre les problèmes, de communiquer efficacement et d’interagir avec pertinence, mais tel n’est pas toujours le cas. On l’a souvent dit, les récentes tentatives visant à résoudre le problème du manque de ressources en enseignement supérieur ont été trop timides : la méthode classique de l’enseignant s’adressant à une classe d’étudiants essentiellement passifs prévaut toujours. En témoigne la différentiation très problématique des établissements de « recherche » et d’« enseignement » évoquée dans Academic Transformation: The Forces Reshaping Higher Education in Ontario (Queen’s Policy Studies Series, 2009). Le discours dominant reste lamentablement axé sur la nécessité de nourrir le plus de gens possible à partir du même panier de pain. Soyons réalistes : aucun d’entre nous n’est à même d’accomplir des miracles. Devant 5 000 bouches à nourrir, on ne peut procéder comme s’il n’y en avait que cinq. Il faut trouver des moyens nouveaux et plus efficaces de satisfaire la faim de nos étudiants.

Nous devons repenser radicalement le processus d’enseignement et d’apprentissage, dont l’objectif premier doit être non pas d’« enseigner », mais d’« aider les étudiants à apprendre ». Nous devons abandonner les dichotomies enseignant-apprenant et enseignement-recherche, tout aussi factices l’une que l’autre. En considérant comme complémentaires, et non comme opposés, les éléments de ces dichotomies, nous pourrons imaginer un nombre accru, voire infini, de méthodes d’apprentissage. Nous pourrons élaborer des processus d’apprentissage mieux adaptés aux attentes des étudiants, plus efficaces en matière de déploiement des ressources, et moins vulnérables à la modification des circonstances matérielles.

Dans la perspective où l’on met l’accent sur l’apprentissage et que l’on considère qu’enseigner, c’est aider les étudiants à apprendre, plusieurs nouvelles méthodes pédagogiques et stratégies d’élaboration de programmes d’études deviennent envisageables. D’un exercice consistant à choisir et à ordonner le contenu, la « préparation des cours » devient affaire de conception pédagogique et vise un objectif explicitement formulé. Nous pouvons alors être bien plus créatifs et choisir entre un plus grand nombre de variables que par le passé. Les cours magistraux ne sont plus l’unique modèle possible. Le professeur n’est plus la seule personne chargée d’aider les étudiants à apprendre. D’autres peuvent favoriser cet apprentissage, entre autres les étudiants eux-mêmes, leurs pairs, les membres de la collectivité, les organisations communautaires, les entreprises et les institutions. Nous, professeurs, sommes de plus en plus attentifs à ce que font les étudiants. Nous commençons à considérer l’ampleur des contextes dans lesquels s’inscrit leur apprentissage. Par exemple, dans le cadre des stages internationaux auxquels nous participons, le contact avec des cultures et des réalités étrangères devient un moyen d’aider les étudiants à apprendre. Les défis que pose l’enseignement ou les problèmes que posent certains groupes sociaux sont autant d’occasions d’apprentissage par la résolution de problèmes ou par la prestation de services.

Le recours à de nouvelles ressources et démarches pédagogiques exige que nous nous affranchissions des anciennes structures et barrières. Les rôles traditionnels dévolus aux étudiants et aux professeurs sont remis en question; le degré de participation et les responsabilités des étudiants sont accrus. L’apprentissage fondé sur la prestation de services et la pratique exige du personnel de la coordination et davantage de temps, ou du moins un réaménagement de son emploi du temps qui pourrait mener à une évolution du ratio étudiants-professeurs. Le savoir et l’expérience de ces derniers s’inscrivent désormais dans une nouvelle dynamique qui fait d’eux des concepteurs et des facilitateurs plutôt que des personnes chargées de débiter le savoir officiel.

Dans le contexte actuel de restriction des ressources, il est essentiel, afin de mesurer l’importance du virage de l’enseignement vers l’apprentissage, de nous poser cinq questions en nous gardant bien de présumer en connaître les réponses :

  • Qu’est-ce que les étudiants devront être en mesure d’accomplir au terme de leur cours ou de leur programme?
  • Quelles méthodes pédagogiques ou quels programmes d’études pouvons-nous concevoir pour les aider à y parvenir?
  • Quelles ressources exploiter dans la conception des méthodes d’apprentissage?
  • En tant qu’établissement ou éducateurs, que pouvons-nous faire pour mettre ces ressources au service de l’apprentissage des étudiants?
  • Comment saurons-nous si nous avons réussi ou pas?

Le cas du Collège d’arts libéraux Alverno de Milwaukee, au Wisconsin, illustre bien l’intérêt de se poser ces questions. Au moment d’obtenir leur diplôme, les étudiants de tous les programmes, aussi bien en théologie qu’en sciences infirmières, doivent démontrer qu’ils ont acquis huit aptitudes. Le Collège Alverno compte une majorité d’étudiants issus des minorités visibles, d’immigrants de première génération et d’étudiants à temps partiel, de groupes pour qui l’éducation postsecondaire a toujours posé problème. En plus de comporter de solides autoévaluations, ainsi que des évaluations par les pairs et par les professeurs, tous les programmes de l’établissement sont conçus pour aider l’étudiant à acquérir les huit aptitudes exigées. Le Collège n’accorde pas de notes. Il a plutôt recours à des commentaires écrits, destinés à aider les étudiants à atteindre leurs objectifs d’apprentissage. Les programmes fortement intégrés incluent des activités fréquentes et bien préparées, axées sur la planification du travail des professeurs et sur l’échange d’information. Afin de motiver les étudiants ainsi que pour donner l’heure juste, plusieurs centaines de bénévoles de la collectivité évaluent le travail des étudiants hors de la salle de classe. Ils communiquent ensuite leurs évaluations aux étudiants et au collège, à des étapes stratégiques des programmes. La clarté des objectifs explicites établis par le Collège rend possible et pratique le recours à des évaluations externes. L’absence de notes pousse les étudiants à se concentrer sur les commentaires de qualité dont les abreuvent diverses sources. Les fréquentes séances de planification du travail des professeurs permettent par ailleurs d’intégrer les activités d’apprentissage aux programmes d’études. Le Collège Alverno se classe bien au-dessus du 90e rang centile dans le cadre de l’Enquête nationale sur la participation étudiante (NSSE).

Les étudiants de l’Université Quest de Squamish en Colombie-Britannique, premier collège canadien d’arts libéraux à but non lucratif, suivent pour leur part un « programme par tranches », composé de cours concentrés sur 18 jours de classe consécutifs chacun. Les professeurs disposent ainsi d’une souplesse maximale quant aux lieux et aux modes d’enseignement. Comme les étudiants ne sont pas tenus d’être présents sur le campus pour assister à d’autres cours pendant 18 jours, il devient possible d’envisager les études sur le terrain, les travaux dans le cadre de projets, les voyages à l’étranger et diverses activités d’apprentissage par la pratique. Pour ce faire, l’établissement a dû se doter d’un calendrier scolaire particulier et former ses professeurs afin qu’ils puissent profiter pleinement des longues et denses périodes qu’ils passent avec leurs étudiants. En 2009, l’Université Quest a décroché les plus hautes notes d’Amérique du Nord dans le cadre de la NSSE.

À l’Université du Québec à Montréal, un ingénieux programme d’échanges interculturels permet aux étudiants en éducation, en travail social, en développement de carrière et en français langue seconde (FSL) d’apprendre les uns des autres. Les responsables de ce programme organisent diverses activités qui permettent aux étudiants en FLS (principalement des immigrants ou des étudiants étrangers) de côtoyer de près les étudiants francophones des trois autres disciplines. Chaque groupe d’étudiants en retire un enseignement différent. Par exemple, les étudiants en travail social découvrent les défis que pose aux nouveaux immigrants l’intégration à la société québécoise, tandis que ceux en FLS apprennent à connaître cette société et les moyens de lutter contre l’angoisse liée à l’apprentissage d’une nouvelle langue. Tous les étudiants effectuent des travaux fondés sur leur expérience pratique. Pour étendre ce programme à diverses facultés, le personnel et les professeurs ont dû collaborer et communiquer efficacement. Grâce à une méthode créative, une réelle ouverture d’esprit et une saine exploitation des ressources à leur disposition, ils sont parvenus à procurer à des centaines d’étudiants un apprentissage de qualité et une vraie satisfaction.

À l’Université de Sudbury, les départements de théologie et d’études autochtones proposent aux étudiants au premier cycle les plus forts des programmes de recherche complets, qui leur permettent de participer à des colloques de fin d’études et même, parfois, de signer des publications savantes. Cette expérience des plus précieuses exige peu de ressources et renforce nettement la participation des étudiants.

Dans maints établissements canadiens, les professeurs recourent à l’apprentissage par la résolution de problèmes pour aider les étudiants à progresser en matière de maîtrise du contenu, de raisonnement, de recherche et d’interaction sociale. Les programmes de génie médical et chimique de l’Université McMaster ont été les premiers à exploiter ce type d’apprentissage qui est depuis pratiqué dans de nombreuses autres disciplines, y compris en médecine aux universités Dalhousie et de Sherbrooke, ainsi qu’en foresterie et en études sur le leadership à l’Université du Nouveau-Brunswick. Récemment, à l’Université de Guelph, une démarche axée sur la recherche a permis de renforcer le rendement des étudiants dans une série de cours traditionnels en n’exigeant que peu d’heures supplémentaires de la part des professeurs. Au terme de leur troisième année, ceux qui avaient suivi cette démarche en première année affichaient en moyenne des notes sensiblement supérieures à celles de leurs collègues. Et on pourrait citer bien d’autres exemples… Toutes ces initiatives ont en commun les traits suivants :

  • Elles ont débuté par une question : « Que doivent apprendre les étudiants? »
  • Elles s’appuient sur des programmes d’apprentissage marqués par l’usage créatif de méthodes et de ressources nouvelles.
  • Elles ont été déployées au sein de départements qui disposaient des ressources nécessaires.
  • La plupart ont donné lieu à une collecte systématique de données concernant leurs résultats.
  • La plupart se sont déroulées à petite échelle au sein des établissements.

Pour avoir un effet appréciable sur la qualité et l’efficacité de l’enseignement universitaire, les démarches de ce type doivent s’étendre à la grandeur des établissements. Or, les changements au sein d’organisations vastes et complexes se heurtent à plusieurs obstacles, liés entre autres aux ressources, à la réglementation et aux politiques. De plus, les formules de financement gouvernementales favorisent habituellement, avec raison, la poursuite des stratégies destinées à renforcer l’accès aux études postsecondaires plutôt qu’à améliorer l’apprentissage.

Pour créer un contexte propice à l’innovation à grande échelle, les obstacles précités doivent être supprimés ou du moins atténués afin de faire place à la souplesse et au changement. Ainsi, le plus gros obstacle au changement – et celui contre lequel nous pouvons le mieux lutter – est notre tendance à nous « autolimiter » intellectuellement, à n’envisager l’avenir qu’en fonction du passé et à ne croire les choses possibles que preuves à l’appui. Comme le disait Thomas Kuhn il y a un demi-siècle, les progrès de la science exigent un renoncement profond – même momentané et apparemment anodin – aux principes traditionnels. Dans le cas des universités, le fait de penser en termes d’apprentissage plutôt que d’enseignement constitue une première étape nécessaire.

Pierre Zundel est recteur de l’Université de Sudbury et titulaire du prix 3M. Patrick Deane est recteur de l’Université McMaster, où il est également est professeur d’anglais et d’études culturelles.

*Atelier de l’AUCC sur l’enseignement au premier cycle au sein des universités Canadiennes, du 6 au 8 mars 2011, Halifax. Cet atelier s’adresse exclusivement aux recteurs et aux vice-recteurs à l’enseignement, qui sont invités à y assister en équipe en compagnie d’un étudiant appelé à participer aux discussions.

Références

Corps professoral du collège Alverno (1994). Student Assessment-as-learning, Milwaukee, Wisconsin, Alverno College Institute.

Carignan, N. (2006). Est-ce possible d’apprendre à vivre ensemble? Un projet stimulant pour les futurs enseignants et les nouveaux arrivants, Actes du colloque « Quelle immigration, pour
quel Québec? » dans le cadre du 25e anniversaire de la Table de concertation des réfugiés et immigrants, 23 et 24 mars 2005, Montréal.

Clark, I., G. Moran, M. L. Skolnik et D. Trick (2009). Academic transformation: the forces reshaping higher education in Ontario, Montréal et Kingston, McGill Queen’s University Press.

Summerlee, A. et J. Murray (2010). « The impact of enquiry-based learning on academic performance and student engagement », Canadian Journal of Higher Education, volume 40, no 2, p. 78-94.

Notes de l’Université Quest dans le cadre de la NSSE

Rédigé par
Pierre Zundel + Patrick Deane
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