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La ministre des Sciences du Canada tend la main aux chercheurs

Dans une récente entrevue, la ministre des Sciences, Kirsty Duncan, souligne qu’elle comprend le milieu de la recherche et qu’elle est à l’écoute de ses préoccupations.

par LÉO CHARBONNEAU | 23 JUIN 16

« Appelez-moi Kirsty », me demande d’un ton affable la ministre fédérale des Sciences, Kirsty Duncan, qui me reçoit dans son bureau d’Ottawa. Titulaire d’un doctorat en géographie de l’Université d’Édimbourg ainsi que d’un baccalauréat en géographie et en anthropologie de l’Université de Toronto, Mme Duncan a d’abord été élue députée d’Etobicoke-Nord en 2008 avant d’être nommée au Cabinet après les élections de l’automne dernier. Celle qui a enseigné la météorologie, la climatologie et le changement climatique à l’Université de Windsor de même que la géographie médicale à l’Université de Toronto a attiré l’attention du monde entier en dirigeant une expédition pour retrouver l’agent responsable de l’épidémie de grippe espagnole de 1918. Son ouvrage Hunting the 1918 Flu : One Scientist’s Search for a Killer Virus, paru en 2003, raconte les détails de cette quête qui a duré dix ans. Mme Duncan a également contribué aux travaux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), récompensé par un prix Nobel en 2007.

Ministre Kirsty Duncan. Photo par Dan Chan.
Ministre fédérale des Sciences Kirsty Duncan. Photo par Dave Chan.

Affaires universitaires : Divers médias étrangers ont souligné à quel point c’est étonnant que la ministre des Sciences du Canada soit titulaire d’un doctorat. D’où vient votre intérêt pour les sciences?

Kirsty Duncan : Il remonte à mon tout premier cours au baccalauréat, à l’Université de Toronto. Pendant deux heures, le professeur nous a proposé un véritable tour du monde. Il a évoqué une trentaine de sujets dont je n’avais jamais entendu parler. C’est là que j’ai compris que je voulais consacrer ma vie à la science. À compter de ce jour, je me suis fixé pour objectif de devenir chercheuse et d’enseigner à l’université. J’ai aimé travailler dans cet univers. J’ai adoré la recherche. Mes étudiants me manquent beaucoup, mais je suis toujours heureuse d’avoir de leurs nouvelles. Ils m’en donnent souvent, même après 20 ans.

Affaires universitaires : Pourtant, vous avez quitté le milieu universitaire pour la politique…

Kirsty Duncan : Ça n’a pas été une décision facile, mais j’ai toujours dit à mes étudiants qu’il faut tout faire pour influencer le cours des choses. Mes travaux sur le changement climatique m’ont convaincue que je devais agir. J’en avais assez d’assister au recul de la science, à la raréfaction des décisions fondées sur la science. J’ai décidé de me lancer en politique.

Affaires universitaires : En quoi votre expérience de chercheuse influence-t-elle sur vos actions en tant que ministre des Sciences?

Kirsty Duncan : Je viens du milieu de la recherche. Je sais ce qu’un jeune chercheur doit faire pour réussir. J’avais moi-même 24 ans quand suis devenue chercheuse. Je sais ce qu’exige la mise en œuvre d’un projet de recherche. Il faut travailler dur, sept jours sur sept.

Affaires universitaires : Vous avez plaidé par le passé pour une présence accrue des femmes et des autres groupes sous-représentés dans les domaines des sciences, de la technologie, du génie et des mathématiques. Comment faire pour renforcer leur présence?

Kirsty Duncan : Tout membre du Cabinet est lié par une lettre de mandat, que tout le monde peut consulter. C’est une bonne chose. Le milieu de la recherche et les chercheurs gouvernementaux peuvent consulter la mienne et déterminer ensuite si je progresse ou non dans l’exécution de mon mandat.

J’aurais aimé qu’on me donne aussi pour mission de renforcer la présence des femmes en science et en génie, insuffisante depuis longtemps. Et il y a aussi d’autres groupes sous-représentés, comme les Autochtones et les personnes handicapées. Il faut que les choses changent.

Dans tous mes déplacements, je me fais un devoir de rencontrer non seulement des chercheurs, mais aussi des jeunes femmes. Au Cap-Breton, j’ai discuté avec une jeune étudiante extraordinaire, une athlète qui adore les sciences et qui veut devenir ingénieure garde côte. Elle se désolait que tout le monde lui dise que c’est impossible. Je lui ai rétorqué que ce n’était là qu’une question d’opinion. Je l’ai assurée que ce n’était pas impossible, mais que c’était au contraire un défi.

Mon ministère et moi-même sommes à l’écoute, et nous nous efforçons de déterminer comment les femmes peuvent relever les défis de ce genre.

Affaires universitaires : On peut, je pense, affirmer que beaucoup de membres du milieu scientifique n’étaient pas satisfaits du précédent gouvernement fédéral, pour diverses raisons. Ils se réjouissent de l’élection du nouveau gouvernement, mais leurs attentes sont élevées. Comment comptez-vous y répondre?

Kirsty Duncan : Je ne le dirai jamais assez : la guerre contre la science est terminée! C’est vrai, le milieu scientifique a beaucoup d’attentes, mais j’aime ce milieu. J’ai passé six mois à ne faire qu’une chose : être à l’écoute de ses attentes. J’ai parcouru le pays d’est en ouest, et je me rendrai bientôt dans le Grand Nord.

J’espère que le milieu scientifique estime que le budget de 2016 a tenu compte de ses demandes. Selon moi, c’est le cas. Il prévoit entre autres deux milliards de dollars au profit de l’infrastructure, dans le cadre du Fonds d’investissement stratégique pour les établissements postsecondaires. Grâce au financement de contrepartie, il s’agira en réalité d’un investissement de quatre milliards de dollars dans nos universités, collèges et collèges polytechniques. La date butoir pour la soumission des propositions a été fixée au 9 mai pour que les travaux de construction puissent démarrer pendant l’été. Le budget de 2016 prévoit aussi le plus important investissement dans les organismes subventionnaires de la dernière décennie. J’en suis ravie.

J’espère que le milieu de la recherche est conscient que nous sommes à son écoute, et que nous le resterons. Nous sommes tous des chercheurs, nous travaillons en collaboration. Et ma porte est toujours ouverte. Mon travail consiste à servir le milieu de la recherche. J’espère qu’il comprend que ça s’inscrit dans une optique de partenariat; c’est extrêmement important.

Affaires universitaires : L’une de vos nombreuses missions en tant que ministre des Sciences consiste à créer le poste de conseiller scientifique en chef. Pouvez-vous m’en parler?

Kirsty Duncan : Pour le moment, nous poursuivons nos consultations. Nous avons d’abord écrit aux principaux intervenants pour leur dire que nous souhaitions avoir leur avis au sujet du mandat du futur conseiller scientifique en chef. Je me suis entretenue avec les conseillers scientifiques en chef de la Nouvelle-Zélande, d’Israël et du Royaume-Uni, et avec le scientifique en chef du Québec, Rémi Quirion. Nous sommes en quête de pratiques exemplaires à reproduire. Je peux vous dire que même si au cours des sept ans et demi que j’ai passés à Ottawa, personne ne m’a jamais demandé jusqu’à ce jour d’exposer mes idées, j’ai écrit à tous les députés, car aucun parti n’a l’apanage des bonnes idées.

Nous venons de terminer l’analyse de toutes ces rétroactions. Je dis bien « l’analyse », car nous en avons tiré des statistiques. Après tout, nous sommes un ministère de sciences… J’espère que nous pourrons annoncer notre nouvelle stratégie d’ici quelques mois.

Affaires universitaires : Le budget de 2016 prévoit que la ministre des Sciences procédera, au cours de l’année à venir, à un examen complet des divers aspects du soutien fédéral à la science fondamentale. Dans quel but?

Kirsty Duncan : Le processus de consultation mené nous a convaincus qu’il était temps de procéder à un tel examen. Je veux savoir quels sont les défis à relever, les lacunes, etc. Que pouvons-nous faire pour mieux répondre aux attentes du milieu de la recherche? Prenons l’exemple des jeunes chercheurs. Ce n’est pas normal qu’ils n’obtiennent, pour la plupart d’entre eux, leur première subvention des Instituts de recherche en santé du Canada qu’à l’âge de 41, 42 ou 43 ans.

L’examen à venir comportera deux volets. Le premier débutera très bientôt avec l’annonce de la formation d’un groupe d’experts, qui devrait présenter ses conclusions d’ici six mois sur les questions suivantes : Quelles sont les lacunes? Où sont les failles? Disposons-nous des meilleurs systèmes qui soient pour soutenir nos chercheurs? Quels sont les changements qui s’imposent? Nous créerons également un site Web où les chercheurs de tout le pays pourront formuler leurs commentaires et participer ainsi à la réflexion.

(Note du rédacteur : Les noms des neuf membres du groupe d’experts ont été rendus publics le 13 juin. Ce groupe sera présidé par David Naylor, ancien recteur de l’Université de Toronto. Il sera également formé de Robert Birgeneau, ancien chancelier de l’Université de la Californie à Berkeley; Martha Crago, vice-rectrice à la recherche de l’Université Dalhousie; Claudia Malacrida, vice-rectrice à la recherche de l’Université de Lethbridge; Martha Piper, ancienne rectrice de l’Université de la Colombie-Britannique; Rémi Quirion, scientifique en chef du Québec; Anne Wilson, professeure de psychologie à l’Université Wilfrid Laurier; Mike Lazaridis, cofondateur de Research in Motion; Art McDonald, physicien et prix Nobel canadien.)

Affaires universitaires : Où souhaiteriez-vous que le Canada se situe sur le plan de la recherche d’ici cinq à dix ans?

Kirsty Duncan : Ça me brise le cœur de constater que nous sommes passés, en dix ans, du troisième au huitième rang des pays de l’OCDE en matière de DIRDES [part du produit intérieur brut consacré à la recherche-développement dans le secteur de l’enseignement supérieur]. Ça n’aurait jamais dû se produire. C’est pourquoi je trouvais si important que le budget de 2016 prévoie un gros investissement dans les organismes subventionnaires.

Notre vision de la science est-elle claire? Pouvons-nous compter sur le soutien du milieu de la recherche? Disposons-nous des systèmes de financement nécessaires pour que nos chercheurs de calibre mondial puissent mener les travaux qu’ils veulent faire? Et la création du poste de conseiller scientifique en chef fera-t-elle en sorte que les décisions soient prises à la lumière de données scientifiques? Ma mission est de soutenir la recherche et de veiller à ce que les données scientifiques probantes se fraient un chemin jusqu’au Cabinet.

Rédigé par
Léo Charbonneau
En 2000, Léo Charbonneau est entré au service d’Affaires universitaires comme rédacteur principal et a été nommé rédacteur en chef adjoint trois ans plus tard. Il a travaillé 10 années au Medical Post à titre de chef de la rédaction et réviseur de chroniques à Montréal. C’est lui qui a proposé de rédiger le blogue officiel d’Affaires universitaires, En marge, en partie pour se rapprocher du lectorat.
COMMENTAIRES
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  1. Éric George / 23 juin 2016 à 19:39

    Les propos de notre ministre fédérale sont fort intéressants, mais il faut la prendre au sérieux. Or, je constate que si 80% des projets soumis au CRSNG ont été financés cette année, seuls 30% des projets soumis au CRSH l’ont été. De plus, les budgets des deux organismes subventionnaires demeurent bien inégaux. Il demeure donc un gros travail à faire du côté des sciences humaines et sociales qui sont pourtant cruciales pour comprendre nos sociétés qui sont de plus en plus complexes

    • Yagoubi / 21 septembre 2016 à 13:35

      Commentaire pertinemment, il me semble qu’il faut encourager les collaborations en recherche interdisciplinaires. Et dans ce cas, favoriser des subventions impliquant également des chercheurs en sciences humaines et sociales dans tous les domaines des sciences,