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L’art de parler aux médias

Un nouveau livre donne des conseils pratiques

par YVES LUSIGNAN | 01 DÉC 08

Les chercheurs et les universitaires sont de plus en plus sollicités par les médias. On leur demande de commenter l’actualité, d’expliquer une nouvelle découverte scientifique ou d’analyser un nouveau phénomène social. Que ce soit à propos de l’apparition d’une nouvelle maladie, de la chute du Dow Jones ou des gangs de rue, on compte beaucoup sur les lumières des experts universitaires pour comprendre le monde.

Les médias ont cependant l’habitude de demander aux universitaires de résumer leur pensée en quelques mi-nutes, parfois moins. Il faut être précis, rapide et bref. Certains sont plus doués que d’autres à ce jeu. Peu importe, un minimum de préparation est nécessaire pour ne pas avoir de mauvaises surprises au final.

Si la communication avec les médias est un mystère que vous souhaitez résoudre pour des raisons professionnelles, ou simplement par curiosité intellectuelle, alors la lecture du livre de Bernard Motulsky et René Vézina devrait vous aider à y voir plus clair.

Comment parler aux médias est un livre pratique, sans prétention autre que de permettre au lecteur de mieux comprendre le monde des médias, de communiquer son message plus efficacement et de ne pas vivre de cruelles déceptions à la hauteur d’espoirs démesurés.

René Vézina travaille depuis plus de 30 ans dans le monde des médias. Spécialiste en journalisme économique, il est chroniqueur au journal Les Affaires et présente des chroniques économiques quotidiennes à la radio.

Bernard Motulsky est aujourd’hui professeur au Département de communication sociale et publique et titulaire de la Chaire de relations publiques et communication marketing de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Titulaire d’un doctorat en philosophie, il a commencé sa carrière comme rédacteur et journaliste avant de devenir professeur de communication et directeur du programme de relations publiques à l’Université Laval. Il a ensuite occupé divers postes, dont ceux de vice-président aux Affaires publiques à la Bourse de Montréal et de directeur général à la Direction des communications et du recrutement de l’Université de Montréal.

Nous avons profité de la sortie du livre pour demander à M. Motulsky ce qu’il pensait des relations entre les médias et les universitaires.

Affaires universitaires : Règle générale, est-ce qu’un universitaire, un chercheur, un scientifique, est un bon communicateur auprès du grand public?

Bernard Motulsky : Ce n’est pas naturel chez eux et doit être travaillé parce que cela va à l’encontre de la façon de travailler et de penser d’un universitaire. L’univers des médias et l’univers des universitaires sont presque antinomiques.

AU : C’est-à-dire?

M. Motulsky : C’est une question de rapidité. Un universitaire est quelqu’un qui, par définition, avance précautionneusement. Il commence par établir ses bases, il définit sa problématique, il s’assure que chaque chose qu’il fait et qu’il dit est conforme à la méthode qu’il a mise en place. Il est habitué à entrer dans les détails et c’est exactement l’inverse dont les médias ont besoin. La première réaction des universitaires s’adressant aux médias est un sentiment de frustration de ne pas avoir eu le temps de dire ce qu’ils avaient à dire et de placer les choses en perspective.

AU : Est-ce que cela explique pourquoi les universitaires qui maîtrisent leur champ d’études sont parfois désemparés face aux médias?

M. Mutulsky : Souvent, c’est parce qu’ils maîtrisent très bien leur champ d’études qu’ils sont désemparés. Plus vous savez ce dont vous parlez, plus vous avez du mal à tourner les coins ronds, à résumer, à livrer l’essentiel en quelques minutes.

AU : Avez-vous observé ce que j’appellerais des occasions ratées de communiquer de la part d’universitaires ou de chercheurs?

M. Motulsky : J’en ai vécu en raison du manque de disponibilité de l’universitaire. S’il y a les Jeux olympiques et que l’on sait qu’il va y avoir un intérêt médiatique pour la kinésiologie, que vous êtes un chercheur sur le sujet et que vous êtes à un congrès en Afrique du Sud, vous ne serez pas là pour en parler. Dans la mesure où l’universitaire n’intègre pas la présence dans les médias dans sa planification de temps, il risque de manquer des occasions.

AU : Est-ce que les organismes subventionnaires peuvent demander au chercheur d’être plus médiatique?

M. Motulsky : On sent beaucoup de pression de la part des organismes subventionnaires pour qu’il y ait une visibilité accrue accordée à la recherche. Ces organismes sont de plus en plus conscients que leurs fonds pro-viennent du public et que, si personne n’a entendu parler de ce qui se fait, il sera plus difficile de le justifier devant un comité [de la Chambre des communes]. La principale difficulté dans ces efforts, c’est qu’on ne peut pas faire parler de nous au moment où cela nous convient. On peut être dans les médias quand et si cela leur convient.

AU : Est-ce donc inutile de mettre de la pression sur le chercheur pour qu’il fasse parler de lui et de sa recherche dans les médias?

M. Motulsky : Je pense au contraire que ça devrait être davantage considéré dans l’évaluation du rendement du chercheur. On le souhaite, mais personne ne veut en faire un critère d’évaluation. Lorsqu’on regarde les outils de communication élaborés par les organismes subvention-naires à l’endroit des universités et des chercheurs qui sont subventionnés, on voit qu’il y a une préoccupation très manifeste pour avoir une visibilité médiatique importante. Mais il faut se rendre compte de l’effort que cela demande au chercheur, et cela devrait être reconnu dans son rendement. Cela demande un minimum de préparation et une grande disponibilité et peut être vu comme étant du temps perdu.

AU : Qu’est-ce qui permet de donner une bonne entrevue dans les médias?

M. Motulsky : La formule que j’aime bien utiliser est : sois bref ou tais-toi! Est-ce que j’ai quelque chose de précis à dire et est-ce que j’ai été capable de le dire? Une bonne entrevue, ce n’est pas de couvrir un domaine trop large, mais d’avoir un message à passer.

AU : Est-ce que tout le monde peut apprendre à donner une bonne entrevue aux médias, ou est-ce qu’il faut avoir des prédispositions naturelles?

M. Motulsky : La première prédisposition, c’est qu’il faut aimer ça! Pour certains, parler en public est très difficile et très exigeant. Mais c’est à la portée de toute personne qui veut faire un minimum d’efforts. Il ne s’agit pas de devenir une vedette. Ce n’est pas un concours de popularité. Il faut être capable d’expliquer simplement ce qu’on a à dire et être disponible pour répondre.

AU : Est-ce que les chercheurs et les universitaires n’attendent pas trop des médias et des résultats d’une entrevue?

M. Motulsky : C’est la différence entre dire que les médias sont à mon service, et dire que je développe une stratégie de relation avec les médias et que j’intègre cela à mes activités. Cela peut présenter certains avantages. Un chercheur m’a déjà dit lors d’une session de formation : « Cela ne donne pas quelque chose de très précis d’être présent dans les médias, mais cela donne un halo autour d’une carrière. »

AU : Quels trucs pratiques donneriez-vous aux universitaires pour qu’ils puissent mieux apprivoiser les médias?

M. Motulsky : Le premier est d’avoir une préparation minimale et de se forcer à écrire le titre qu’on voudrait voir dans le journal. Autrement dit, faire l’effort de synthétiser sa pensée. Cela ne s’improvise pas pendant qu’on vous pose une question sur quelque chose sur laquelle vous travaillez depuis des années. Si vous n’avez pas essayé auparavant de voir comment vous allez répondre, vous risquez d’être pris de court et de ne même pas effleurer ce que vous vouliez dire. C’est important de parler à un journaliste, car des dizaines, voire des centaines de milliers de personnes sont susceptibles de vous écouter. Ça vaut la peine de prendre 15 minutes pour vous préparer.

AU : Nous sommes dans une ère où la science prend de plus en plus de place dans la société. Est-ce que les chercheurs universitaires doivent s’attendre à recevoir de plus en plus de demandes de la part des médias?

M. Motulsky : Il y a une soif du côté des médias, et donc du grand public, de mieux se faire expliquer les phénomènes qui arrivent et pas uniquement par les groupes de pression, mais par des gens qui ont un certain recul, une certaine sérénité et un certain savoir.

AU : Les intellectuels n’ont pourtant pas toujours bonne presse et sont souvent la cible de moqueries. On les dit froids, distants, et surtout incapables de communiquer. On pense par exemple aux critiques à l’endroit de Stéphane Dion.

M. Motulsky : On lui fait ce reproche, mais personne ne remet en cause sa sincérité et sa compétence. C’est pour cela que le grand défi pour les universitaires et les scientifiques est d’apprendre à mieux communiquer le savoir qu’ils détiennent.

AU : Les universités et les chercheurs n’utilisent pas beaucoup la presse régionale pour communiquer. Est-ce par mépris, parce que le média n’est pas approprié ou par haute estime de soi?

M. Motulsky : C’est vrai pour la presse régionale, mais c’est vrai aussi pour la presse populaire. Un universitaire va moins souvent lire le Journal de Montréal ou le Toronto Sun que le Globe and Mail et La Presse. Mais si j’ai l’occasion de passer mon message auprès de 300 000 per-sonnes, il n’y a pas de raison de ne pas y aller. Aucun média ne devrait être mis de côté.



Comment parler aux médias
, par Bernard Motulsky et René Vézina, Éditions Transcontinental, collection Entreprendre, Montréal, Québec, 2008.

Rédigé par
Yves Lusignan
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