Au canada, le printemps dernier, la plupart des étudiants se préparaient pour leurs examens. Pendant ce temps, au Québec, plusieurs milliers d’étudiants ont déclenché une grève et manifesté au froid contre les soi-disant mesures d’austérité du gouvernement de Philippe Couillard. La campagne rappelait le printemps érable de 2012, qui s’inscrivait contre la hausse prévue des frais de scolarité.
Or, les manifestations du printemps dernier n’ont pas semblé récolter le même appui populaire que celles d’il y a trois ans. Et l’appui dont les étudiants jouissaient bel et bien s’est effrité au fil des nouvelles rapportant de l’intimidation, du vandalisme et des violences sporadiques. De plus, l’appel anti-austérité n’avait pas la clarté d’un appel au gel des frais de sco-larité. Les médias ont fait fi de la campagne, qualifiant au passage
l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ) d’organisation militante radicale que les étudiants n’appuyaient pas pleinement. Le tout s’est timidement conclu en mai, lorsque la plupart des étudiants encore en grève sont calmement rentrés en classe.
À bien des égards, cette campagne illustre l’état actuel de l’activisme étudiant au Canada. Les étudiants militants profitent d’une panoplie d’outils de communication et des médias sociaux. Ils savent comment s’organiser. En contrepartie, ils manquent d’expérience et commettent beaucoup d’erreurs. La rotation est constante au fur et à mesure que les leaders étu- diants quittent le milieu universitaire une fois diplômés. Les sujets sont complexes – et les arguments, souvent convaincants des deux côtés. Le résultat? Des querelles internes, des messages contradictoires et un fossé entre les étudiants qui veulent s’engager et ceux qui veulent seulement obtenir leur diplôme.
Pourtant, dans ce fouillis qu’est le mouvement étudiant actuel, on retrouve encore la passion et les compétences requises pour faire bouger les choses et contribuer grandement au changement social. Les étudiants s’attaquent à des enjeux de nature financière, environnementale, politique, sexuelle et éthique.
Le coût des études est une cause qui allume les étudiants. En avril 2012, la Fédération canadienne des étudiantes et étudiants (FCEE) s’est inspirée du printemps érable québécois et a réclamé qu’on remplace le nouveau rabais sur les frais de scolarité par une vraie baisse des frais.
D’autres organisations étudiantes se désintéressent cependant des vieilles méthodes comme les appels simplistes à la baisse des frais de sco-larité. StudentsNS, qui représente les associations étudiantes de sept établissements de la Nouvelle-Écosse, soutient que les autres obstacles financiers – le logement, les repas, les transports, les livres – sont bien plus redoutables que les frais de scolarité et qu’ils touchent les étudiants défavorisés de façon disproportionnée. C’est également l’avis de l’Alliance canadienne des associations étudiantes (ACAE), fondée en 1995 en réaction à la dé-mar-che de la FCEE. Elle se considère un groupe de pression et non un groupe militant.
Malgré les désaccords, les étudiants ont remporté certaines victoires. En 2009, Terre-Neuve-et-Labrador a gelé ses frais de scolarité. Le Québec a suivi en 2012. Récemment, le gouvernement fédéral a renoncé à percevoir des intérêts sur les emprunts des étudiants à temps partiel pendant la durée de leurs études. Par-dessus tout, les étudiants militants de toutes allégeances ont mis l’éducation et ses enjeux financiers de l’avant sur la place publique.
L’environnement est aussi un enjeu cher aux militants étudiants. Les étudiants engagés dans ce domaine appuient le mouvement de désinvestissement, qui réclame que les universités cessent d’investir dans les combustibles fossiles. À ce jour, près de 30 campus canadiens font partie du mouvement. Les étudiants sont le principal moteur de ces campagnes, et de plus en plus d’associations de professeurs se joignent à eux.
Les étudiants se penchent aussi sur des enjeux d’ordre plus personnel. Il y a des décennies, les campus ont été les premiers milieux à offrir aux gais et aux lesbiennes des endroits sécuritaires où se rencontrer et se sentir acceptés. Aujourd’hui, les étudiants réclament que les campus se dotent de toilettes unisexes et que le vocabulaire utilisé dans les cours tienne compte de l’ensemble des identités sexuelles.
Entre-temps, les campagnes contre la violence sexuelle faite aux femmes sur les campus reviennent en force à la suite d’incidents médiatisés. Et pourtant, cet enjeu bien défini suscite une certaine opposition. Le soi-disant mouvement des hommes, qui couve depuis des années sur les campus, se fait entendre davantage. En 2013, l’association étudiante de l’Université Ryerson a refusé d’accorder un statut officiel à un groupe d’hommes affilié à la Canadian Association for Equality (CAFE) par crainte que le groupe ne tienne des propos misogynes et haineux. Un tourbillon médiatique s’en est suivi.
C’est là que bon nombre d’enjeux personnels et politiques vraiment complexes subsistent sur les campus : dans les conflits verbaux, parfois physiques, entre des groupes de militants étudiants en désaccord. Le débat autour de sujets comme le droit à l’avortement et le droit pour des conférenciers controversés d’exprimer leurs opinions sur les campus revient au même thème : d’un côté, on évoque la liberté d’expression, et de l’autre, on soutient que cette liberté ne permet pas les propos haineux.
Il ne semble pas y avoir de solution simple lorsque les esprits s’échauf-fent. Pour l’activisme étudiant, toutefois, l’important n’est peut-être pas les causes en question, mais le processus lui-même. Les enjeux évoluent, mais ce qui demeure, c’est l’impression que manifester, dire ce qu’on pense et chercher la vérité sociale demeure cruciale pour la vie sur le campus et pour la vie au Canada.