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Le Manitoba panse ses plaies

Dans cette discrète province des Prairies, le secteur de l’enseignement supérieur se remet de plusieurs années de compressions budgétaires, de grève et d’ingérence gouvernementale.
par CAILYNN KLINGBEIL
18 SEP 24

Le Manitoba panse ses plaies

Dans cette discrète province des Prairies, le secteur de l’enseignement supérieur se remet de plusieurs années de compressions budgétaires, de grève et d’ingérence gouvernementale.

par CAILYNN KLINGBEIL | 18 SEP 24

Lors d’une célébration communautaire ce printemps, la principale université du Manitoba a présenté son plan stratégique pour 2024-2029. Ce plan, qui met l’accent sur l’autochtonisation et la mise en pratique des recommandations en matière de vérité et réconciliation, a été lancé dans le cadre d’une cérémonie autochtone rassemblant quatre témoins, qui représentaient les aînées et aînés, le corps professoral, la population étudiante et le personnel.

L’enthousiasme ne tenait pas seulement à l’achèvement du plan de l’Université du Manitoba, qui avait été reporté en raison de la pandémie de COVID-19. Deux jours plus tôt, le gouvernement majoritaire formé par le Nouveau Parti démocratique – mené par Wab Kinew, premier Anishinaabe élu à la tête du Manitoba – avait annoncé son premier budget. On y promettait une aide de 43 millions de dollars pour soutenir les personnes étudiantes au postsecondaire qui suivent une formation en vue de leur future carrière, un financement pour les garderies dans les établissements postsecondaires, une hausse du financement à l’Aide aux étudiants du Manitoba, ainsi qu’une enveloppe pour bonifier la formation en médecine.

« Le climat est très positif », commente Michael Benarroch, recteur de l’Université du Manitoba. L’établissement a vu son budget de fonctionnement augmenter de deux pour cent, en plus de recevoir 26,6 millions de dollars pour ajouter des places supplémentaires dans ses programmes de médecine. « Ce nouveau gouvernement était prêt à prendre connaissance de nos besoins et à travailler avec nous pour améliorer la situation au Manitoba. »

« Nous avons encore l’impression d’être aux balbutiements, mais nous ressentons que nos préoccupations sont entendues. »

Les corps professoral et étudiants de toute la province partagent l’optimisme de M. Benarroch, après que les cinq universités publiques du Manitoba, l’Université de Brandon, l’Université de Saint-Boniface, le Collège universitaire du Nord, l’Université du Manitoba et l’Université de Winnipeg, eurent traversé une période éprouvante.

« Ce secteur a dû essuyer des compressions de la part du ministère pendant plus ou moins sept années consécutives », explique Alex Usher, président de Higher Education Strategy Associates (HESA) et coauteur d’un rapport d’examen des établissements collégiaux préparé pour le gouvernement manitobain en 2017. « Quand chaque année apporte son lot de compressions, les établissements en viennent, par mesure de protection, à adopter une attitude très défensive. »

Or, les choses changent. Sous le gouvernement du Nouveau Parti démocratique (NPD) élu en octobre dernier, le Manitoba est devenu l’une des quelques provinces au pays qui investissent activement dans l’éducation supérieure. La discrète province des Prairies s’impose aussi comme la figure de proue des efforts de réconciliation, le Centre national pour la vérité et la réconciliation étant d’ailleurs établi à l’Université du Manitoba.

« On dirait un nouveau départ », observe Allison McCulloch, présidente de la Fédération des associations des professeurs universitaires du Manitoba (FAPUM) et professeure de sciences politiques à l’Université de Brandon. Elle estime que les relations entre le gouvernement, le corps professoral et l’administration ont été recalibrées.

« Nous avons encore l’impression d’être aux balbutiements, mais nous ressentons que nos préoccupations sont entendues. »

Période tumultueuse

Nouvellement élue membre de l’assemblée législative, Renée Cable, de Winnipeg, a été nommée ministre de l’Éducation postsecondaire et de la Formation du Manitoba le 18 octobre 2023. Sa lettre de mandat énonçait plusieurs priorités, notamment de respecter les universités en tant qu’établissements autonomes, de former plus de médecins et d’infirmières, de rétablir l’assurance-maladie des étudiantes et étudiants provenant de l’étranger, d’augmenter le financement pour les bourses d’études et l’aide financière, et d’abroger le projet de loi 33, la Loi modifiant la Loi sur l’administration de l’enseignement postsecondaire, pour protéger l’autonomie institutionnelle.

Ces priorités témoignent de la période tumultueuse qu’ont traversé les universités manitobaines alors que le Parti progressiste-conservateur était au pouvoir. Sous la gouverne des premiers ministres Brian Pallister, Kelvin Goertzen et Heather Stefanson, de 2016 à 2023, le financement de l’éducation postsecondaire a diminué chaque année, sauf en 2023.

En 2020, les universités ont reçu la directive d’apporter des compressions allant jusqu’à 30 pour cent de leur budget pour aider la province à survivre à la pandémie de COVID-19, une demande très mal accueillie qui a finalement été retirée.

« Si la réduction maximale de 30 pour cent du financement provincial avait été appliquée, deux des quatre universités publiques auraient pu cesser d’être des universités à part entière, et une troisième (l’Université de Saint-Boniface) aurait peut-être été forcée de fusionner avec l’Université du Manitoba. Si M. Pallister avait réussi à faire appliquer les compressions budgétaires maximales, le Manitoba ne compterait maintenant peut-être qu’une seule université publique », écrivent Scott Forbes et Jim Clark dans un chapitre de COVID-19 in Manitoba: Public Policy Responses to the First Wave, qui s’intéresse aux effets de la pandémie sur les universités de la province.

Le budget de 2023, intitulé Une aide historique pour les Manitobains, leur réservait un sursis : une augmentation de 11,5 pour cent du financement par rapport à 2022-2023 pour appuyer l’éducation postsecondaire et le marché du travail.

Les universités n’étaient pas seulement confrontées à des défis financiers. Le gouvernement précédent avait entravé l’autonomie universitaire par ses politiques comme le projet de loi 33 et l’étude d’un financement fondé sur le rendement, remarque Mme McCulloch. Le projet de loi 33 visait à modifier la Loi sur l’administration de l’enseignement postsecondaire pour permettre au gouvernement d’établir des lignes directrices relatives aux droits de scolarité ou aux cotisations étudiantes qu’imposent les universités, et de diminuer ses subventions en cas de non-respect des lignes directrices.

« Nous espérons apporter une certaine stabilité, afin que les établissements puissent prévoir ce qu’ils vont faire d’une année à l’autre, et que les étudiantes et étudiants sachent qu’en s’inscrivant ici au programme de leur choix, ils recevront une éducation de qualité. »

La possibilité d’un modèle de financement axé sur le rendement a été évoquée en 2020, après qu’un rapport du vérificateur général eut recommandé au Manitoba de resserrer la surveillance des conseils d’administration à la tête de ses établissements d’enseignement postsecondaire publics. Un processus de consultation portant sur ce que le gouvernement appelait un « cadre de responsabilisation de l’enseignement postsecondaire » a été lancé en mai 2022. Le projet a finalement été abandonné en avril 2023 – le Manitoba faisant ainsi figure d’exception, alors que des provinces comme l’Ontario et l’Alberta ont choisi d’adopter ce modèle controversé.

« Nous avons entendu vos préoccupations à l’égard de l’arrimage du financement sur les indicateurs de rendement », écrivait dans une lettre aux parties prenantes universitaires la ministre de l’Éducation postsecondaire et de la Formation à l’époque, Sarah Guillemard. Le gouvernement progressiste-conservateur a alors dit qu’il examinait encore les mesures de responsabilisation des établissements, mais qu’il n’arrimerait pas le financement sur les indicateurs de rendement.

Le gouvernement avait également entravé la capacité des administrations universitaires à négocier librement avec leur personnel enseignant. En 2022, un juge a ordonné au gouvernement manitobain de verser à l’Association des professeures et professeurs de l’Université du Manitoba 19,4 millions de dollars pour s’être immiscé dans les négociations collectives en 2016. Cette année-là, les membres de l’Association avaient fait la grève pendant 21 jours. À la fin de 2021, une grève s’est à nouveau déclenchée pendant cinq semaines, le syndicat réclamant des augmentations salariales pour régler les problèmes de recrutement et de maintien en poste. Le gouvernement provincial a fait appel de cette décision, mais n’a pas eu gain de cause.

Une lueur d’espoir

Le premier budget annoncé par le NPD en avril marque un tournant. Il prévoit une augmentation de six pour cent pour l’éducation postsecondaire et la formation, explique Mme Cable, afin d’aider la province à se remettre des années d’imprévisibilité du financement que lui a fait vivre le gouvernement précédent.

« Nous espérons apporter une certaine stabilité, afin que les établissements puissent prévoir ce qu’ils vont faire d’une année à l’autre, et que les étudiantes et étudiants sachent qu’en s’inscrivant ici au programme de leur choix, ils recevront une éducation de qualité », ajoute Mme Cable.

M. Benarroch voit d’un bon œil l’investissement dans le budget de fonctionnement de l’Université, mais ajoute qu’il y a encore bien du travail à faire. La province doit investir davantage en recherche, et établir un plan pour combler les besoins en matière d’immobilisations des universités vieillissantes.

« Les sept dernières années ont été difficiles […] et le processus de redynamisation du secteur est lancé, mais certains points que nous aurions souhaité voir dans le budget n’y figurent pas. »

Il aimerait aussi voir le gouvernement continuer de défendre les intérêts du Manitoba à Ottawa. « Notre petite province n’est pas la plus riche, donc on nous oublie parfois », précise-t-il.

Mme McCulloch, présidente de la FAPUM, considère le budget provincial comme un pas dans la bonne direction, mais convient aussi qu’on peut aller encore plus loin. « Les sept dernières années ont été difficiles […] et le processus de redynamisation du secteur est lancé, mais certains points que nous aurions souhaité voir dans le budget n’y figurent pas », explique-t-elle.

Il s’agit notamment d’un financement pluriannuel stable, qui assurerait une certaine prévisibilité et permettrait aux universités de planifier à long terme. Une telle sécurité prend particulièrement de l’importance pour les petits établissements comme l’Université de Saint-Boniface, le seul établissement postsecondaire francophone de la province.

Dans une déclaration écrite à Affaires universitaires, Sophie Bouffard, rectrice de l’Université de Saint-Boniface, explique que la province a augmenté la subvention de base de l’établissement de deux pour cent dans le budget d’avril 2024, et que l’Université a réussi à obtenir un financement ponctuel de 850 000 $ pour de l’entretien différé.

Mme McCulloch fait également remarquer que le budget ne traite pas du rétablissement de l’assurance-maladie pour les étudiantes et étudiants provenant de l’étranger. Les étudiantes et étudiants au collège et à l’université qui proviennent de l’étranger ont perdu l’accès aux soins de santé universels en septembre 2018; le gouvernement espérait, en leur retirant ce privilège, épargner 3,1 millions de dollars par année.

Mme Cable dit qu’elle demeure résolue à rétablir cet accès, ajoutant qu’un seul budget ne pouvait pas traiter de toutes les priorités. « Malheureusement, le gouvernement conservateur précédent a aboli cette couverture, et ce n’est pas aussi facile de la rétablir que nous le pensions », explique-t-elle.

Malgré l’inaccessibilité actuelle des soins de santé, Mme Cable veut que les étudiantes et étudiants étrangers sachent que le Manitoba les attend à bras ouverts. C’est pourquoi la province a réclamé une plus grande part des lettres d’attestation provinciale – une nouvelle exigence pour les étudiantes et étudiants étrangers de premier cycle qui souhaitent obtenir un permis d’études. Selon Mme Cable, la part initiale accordée au Manitoba par Ottawa, soit 15 232 lettres, est passée à 18 652, quoiqu’une lettre ne garantisse pas forcément un permis.

Tomiris Kaliyeva, présidente de l’Association des étudiantes et étudiants de l’Université de Winnipeg, a quitté le Kazakhstan pour Winnipeg en 2021 afin d’étudier le développement international et la résolution de conflits. Selon elle, les universités font des pieds et des mains depuis des années pour rétablir l’accès aux soins de santé pour les étudiantes et étudiants étrangers, et la situation est maintenant particulièrement urgente, étant donné les problèmes d’abordabilité. « En raison de la hausse des prix du logement et de la nourriture, le coût de la vie est très élevé, et c’est encore pire si on doit payer pour accéder aux soins de santé. »

Elle ajoute que la volonté du nouveau gouvernement de rétablir l’accès a réjoui tout le monde, même si rien n’a encore été concrétisé. « J’ai l’impression que depuis l’entrée au pouvoir du NPD, beaucoup d’universités, sinon toutes, voient une lueur d’espoir. »

Vérité et réconciliation 

L’un des objectifs les plus vastes de la province est d’augmenter le nombre total des personnes étudiantes qui reçoivent leur diplôme universitaire. « En général, mon grand objectif, c’est d’amener le plus grand nombre possible de personnes à réussir leurs études postsecondaires », explique Mme Cable.

Pour ce faire, elle veut rendre l’éducation postsecondaire abordable et accessible, et cibler les populations qui participent moins, dont les peuples autochtones. Déjà, les droits de scolarité moyens au premier cycle universitaire au Manitoba se situent, à 4 728 $ pour 2023-2024, en deçà de la moyenne nationale, soit 6 211 $, selon Statistique Canada. Le nombre global d’étudiantes et étudiants universitaires dans la province a lentement mais sûrement grossi, passant de 25 000 en 2001 à 40 000 en 2020, selon HESA.

L’augmentation des taux de participation et de diplomation pour toutes les étudiantes et tous les étudiants est néanmoins demeurée une priorité pour plusieurs gouvernements. Selon le rapport d’examen des établissements collégiaux de 2017, sur le plan des taux de participation et de réussite en éducation supérieure, le Manitoba se situe presque au dernier rang au pays : 62 pour cent des Manitobaines et Manitobains de 25 à 44 ans détiennent un certificat, un diplôme ou un grade postsecondaire, contre 72 pour cent au niveau national. « Nous avons besoin, au Manitoba, que plus d’étudiants se rendent jusqu’aux études postsecondaires et obtiennent leur diplôme », déclarait le gouvernement en 2021 dans sa Stratégie relative aux compétences, au talent et aux connaissances.

« En raison des valeurs de notre gouvernement et de notre volonté de faire croître le Manitoba et de réaliser son plein potentiel, nous voulons que le plus grand nombre de personnes possible soient éduquées », explique Mme Cable.

Or, offrir une éducation aux peuples autochtones va bien au-delà d’une invitation en salle de classe. La réconciliation, la décolonisation et l’autochtonisation figurent parmi les priorités des établissements de partout dans la province. En 2016, par exemple, l’Université de Winnipeg est devenue l’un des premiers établissements au Canada à imposer la réussite d’un cours sur les questions autochtones pour l’obtention d’un diplôme de premier cycle.

« Dix-huit pour cent de la population du Manitoba est autochtone, si bien que l’avenir de la province est indissociable de la réussite de ses peuples autochtones », rapporte M. Benarroch. Il ajoute que la présence du Centre national pour la vérité et la réconciliation à même l’Université du Manitoba oriente sa démarche : d’abord la vérité, puis la réconciliation, et enfin la décolonisation de l’établissement.

« Nous avons entrepris une démarche, mais il y a encore beaucoup à faire, poursuit-il. C’est selon moi l’une des sphères sur lesquelles nous pouvons avoir le plus d’influence. »

Angie Bruce est vice-rectrice des affaires autochtones à l’Université du Manitoba depuis février 2024; elle suit les traces de Catherine Cook, la première personne nommée à ce poste en 2020.

« La création d’un poste de haute direction témoigne de la volonté réelle de l’Université de favoriser la réconciliation, de la mettre en lumière et d’en faire l’une de ses grandes priorités pour la suite des choses », observe Mme Bruce.

Cet engagement se reflète dans le plan stratégique récemment publié de l’Université, qui, selon Mme Bruce, intègre pleinement la réconciliation et l’autochtonisation, plutôt que d’en confier la responsabilité à un groupe en marge.

« Cela véhicule le message que chaque personne a un rôle à jouer, une vérité qui est selon moi essentielle. La responsabilité n’incombe pas seulement à mon équipe, ou aux professeures et professeurs, étudiantes et étudiants, et membres du personnel autochtones. Chaque membre de l’Université a un rôle à jouer dans les sphères où il est impliqué. »

M. Usher, de HESA, a lui aussi pris conscience des efforts réalisés par les universités du Manitoba pour mieux servir les populations autochtones et privilégier l’autochtonisation. « Les valeurs universitaires traditionnelles et les valeurs de la décolonisation et de l’autochtonisation ne sont pas faciles à rapprocher. […] De part et d’autre, il faut faire des compromis pour que la démarche porte ses fruits. Chapeau bas à tout le monde au Manitoba, qui a déjà accompli ce travail. Il reste encore beaucoup à faire », conclut-il.

Rédigé par
Cailynn Klingbeil
Établie à Calgary, Cailynn Klingbeil est autrice, rédactrice et journaliste indépendante.
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