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Leçons apprises par une petite université voulant commercialiser une grande découverte

Une découverte fortuite pourrait mener à la commercialisation d’un test permettant de prévoir pour quelles patientes atteintes d’un cancer du sein la chimiothérapie s’avérera efficace.

par STEPHEN STRAUSS | 12 FEV 14

En novembre 2009, Gisele Roberts et Amadeo Parissenti couraient contre la montre. Respectivement unique responsable du transfert technologique et professeur de biochimie à l’Université Laurentienne, Mme Roberts et M. Parissenti avaient à l’époque en tête l’idée d’un test médical révolutionnaire capable de prévoir l’efficacité de la chimiothérapie pour les patientes atteintes d’un cancer du sein, assez tôt après le début de leur traitement.

Le brevet temporaire lié à ce test, issu d’une découverte réalisée par hasard par M. Parissenti, allait expirer dès février 2010. Mme Roberts et M. Parissenti devaient absolument trouver l’argent nécessaire au dépôt d’une nouvelle demande de brevet : en cas d’expiration du brevet, alors en fin de validité, leur test ne serait plus brevetable dans la plupart des pays et perdrait donc toute valeur commerciale. Signalons que l’Université Laurentienne n’avait jusqu’alors jamais accordé de licence touchant une découverte, et que Mme Roberts, novice en la matière, ne disposait pas des contacts requis pour amasser les fonds nécessaires.

Heureusement, Marc Castel, directeur de la valorisation dans les Centres d’excellence de l’Ontario (CEO), se trouvait cette semaine-là à Sudbury pour parler de transfert technologique dans le cadre d’une visite de routine. Mme Roberts et M. Parissenti ont alors pu lui exposer leur problème. M. Castel a aussitôt téléphoné à un cabinet d’investisseurs torontois, York Medtech Partners, en précisant que les CEO fourniraient la moitié des 50 000 dollars requis si le cabinet et l’Université Laurentienne consentait à investir l’autre moitié. Dès janvier 2010, un accord de principe était conclu. Le groupe fraîchement constitué a ensuite déposé des demandes de brevet aux États-Unis et dans d’autres pays, puis créé en mars 2010 une nouvelle entreprise chargée de commercialiser cette technologie : Rna Diagnostics Inc.

La découverte de circonstance réalisée en 2006 par M. Parissenti remontait alors à plus de trois ans. Elle était intervenue alors qu’il analysait des échantillons de tumeurs mammaires malignes prélevés à l’échelle du pays dans le cadre d’un projet de recherche axé sur la chimiothérapie. Cette analyse avait pour but de cerner les différences génétiques susceptibles d’expliquer pourquoi la chimiothérapie n’arrivait pas à prolonger la vie de 75 pour cent des patientes atteintes d’un cancer du sein.

L’analyse de l’ARN contenu dans les échantillons a vite conduit à un constat inattendu : l’ARN contenu dans certains échantillons avait commencé à se dégrader, sans doute à la suite de la chimiothérapie pratiquée, alors que celui contenu dans d’autres échantillons recueillis à mi-chemin du cycle de chimiothérapie était majoritairement préservé. En théorie pourtant, l’ARN présent dans l’ensemble des échantillons aurait dû commencer à se dégrader. Pourquoi n’était-ce pas le cas?

M. Parissenti a alors eu une brillante idée : et si ces différences dans la préservation de l’ARN permettaient de prévoir l’efficacité de la chimiothérapie chez les patientes? Il s’est donc empressé de sélectionner les dix échantillons contenant l’ARN le mieux conservé, provenant de patientes uniquement désignées par un numéro, puis de téléphoner à Maureen Trudeau, médecin à l’hôpital Sunnybrook de Toronto et alors directrice du projet de recherche axé sur la chimiothérapie. « Par simple curiosité, existe-t-il un élément commun aux patientes suivantes? », lui a-t-il demandé en lui donnant les numéros des patientes en question. Après avoir consulté les dossiers de ces dernières, la Dre Trudeau s’est exclamée : « Mon dieu, mais comment avez-vous fait? Ces échantillons proviennent tous des patientes qui ont le moins bien réagi au traitement! »

Depuis, les recherches se sont rapidement accentuées pour déterminer ce qui, dans l’ARN, pourrait expliquer le succès ou l’échec de la chimiothérapie chez les patientes atteintes d’un cancer du sein. Rna Diagnostics Inc., qui compte désormais 10 employés, travaille à la commercialisation d’un test fondé sur l’ARN permettant aux médecins de déterminer, dès le début ou à mi-chemin d’une chimiothérapie, quelles patientes atteintes d’un cancer du sein profiteront de celle-ci, et lesquelles n’en tireront aucun bénéfice.

Depuis lors, le curriculum vitæ de M. Parissenti s’est enrichi de titres dont celui de conseiller scientifique en chef au sein de Rna Diagnostics Inc. La tournure des événements l’étonne encore : « Jamais je n’aurais imaginé être associé à une entreprise, mais j’ai toujours voulu faire de la recherche et connaître le plaisir de la découverte. »

Le plaisir de M. Parissenti est aujourd’hui tempéré par le poids des responsabilités qui lui incombent en tant qu’actionnaire et dirigeant principal d’une entreprise. Son enthousiasme est également freiné par les nombreuses leçons, parfois pénibles, que lui-même et l’Université Laurentienne ont dû tirer entre autres en matière d’ententes de confidentialité, de restrictions touchant la publication et de droits de propriété intellectuelle.

Mme Roberts, pour sa part, a dû s’initier rapidement au transfert technologique. Il lui a fallu s’informer auprès de personnes plus expérimentées qu’elle et s’entretenir avec des intervenants rattachés à d’autres établissements de petite taille ayant connu les mêmes difficultés. « Les choses se sont formidablement bien passées pour notre première licence, affirme-t-elle. Des tas de gens s’en sont étonnés, me disant que les choses ne se passaient pas toujours aussi bien. »

Rédigé par
Stephen Strauss
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  1. Éric E. van Blaeren / 22 février 2014 à 14:36

    Cher Monsieur Strauss,

    Dans votre article vous parlez des « patientes atteintes d’un cancer du sein ». Vous ignorez dès lors les hommes qui sont aussi atteint d’un cancer du sein. Je suis un de ceux-là. J’aurais apprécié une mention comme « Les patientes et les patients atteint d’un cancer du sein » ou une note de bas de page disant que le féminin est utilisé à la seule fin d’alléger le texte.

    Je vous remercie d’y pensez à l’avenir.

    Éric E. van Blaeren

    Professseur invité

    Université d’Ottawa

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