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Les étudiants de première génération se débrouillent bien

Il peut être angoissant pour les étudiants de première génération d’aller à l’université, mais un peu de soutien au bon moment peut faire toute la différence.

par DAVID HAYES | 03 NOV 15
Illustration par Daniel Ehrenworth.
Illustration par Daniel Ehrenworth.

À son arrivée à la résidence pour étudiants de l’Université de Waterloo, il y a environ 10 ans, Emzhei Chen a éprouvé beaucoup d’angoisse. Malgré le fait qu’ils l’appuyaient dans sa démarche, ses parents, qui n’avaient jamais fréquenté l’université, n’en savaient pas plus long qu’elle sur le milieu universitaire. Elle avait vu la mention « première génération » (un terme qui signifie que les parents de l’étudiant n’ont pas fréquenté d’établissement postsecondaire ici ou à l’étranger) sur le formulaire de demande, mais ne se rappelait pas avoir coché la case. « Il ne me semblait pas nécessaire de le faire, explique-t-elle. Je n’en voyais pas l’importance.»

Or, sans parents ni frères et sœurs aînés pour l’aider à se familiariser avec le fonctionnement de l’université, elle s’est retrouvée accablée par les nombreuses options de cours et l’élaboration d’un plan d’apprentissage autonome. Comme au secondaire, elle a d’abord traîné tous ses livres dans un lourd sac à dos pour s’apercevoir ensuite qu’elle n’avait qu’à apporter ceux dont elle avait besoin pour la journée. Elle supposait, aussi, n’avoir aucun devoir puisque les professeurs n’inscrivaient rien au tableau. Histoire de miner sa confiance encore davantage, elle sentait que bon nombre d’étudiants connaissaient d’emblée tous les rouages de l’université.

À 28 ans, Mme Chen est aujourd’hui titulaire d’une maîtrise en éducation de l’Institut d’études pédagogiques de l’Ontario, de l’Université de Toronto. Coordonnatrice des programmes de première année sur le campus de Scarborough de cette université, elle interagit quotidiennement avec les étudiants que l’on dit « de première génération ». Deux d’entre eux se sont d’ailleurs joints à nous dans un bureau des Services à la vie étudiante.

Faria Khandaker a eu de la difficulté à composer avec sa charge de travail à son arrivée à l’Université de Toronto en 2013. « Mes parents ont jadis fréquenté l’université au Bangladesh, où l’éducation postsecondaire est bien différente », indique la menue jeune femme de 20 ans, au manteau noir, à la tunique blanche et au hidjab violet, en précisant que ses parents n’ont pas pu guider ses premiers pas dans le monde universitaire canadien.

« J’ai eu beaucoup de difficulté à gérer mon temps les premières semaines. Un cours de physique m’était particulièrement pénible et je crai-gnais d’obtenir une mauvaise note. »

Elle avait heureusement participé à une séance de familiarisation pendant l’été, où un bénévole avait abordé les ressources offertes aux étudiants de première génération. Elle a donc fait appel à une mentore, une étudiante de quatrième année également dite de première génération, grâce à qui elle a appris à se servir d’un outil de gestion du temps. Elle a également su qu’il lui était possible d’abandonner son cours de physique.
« J’ignorais tout de l’abandon de cours. Je me pensais tenue de le terminer. »

La mentore a pris Mme Khandaker sous son aile tout au long de cette première année : communications régulières, rencontres pour discuter des préoccupations et textos sur la tenue de certaines activités. Elle l’a surtout motivée à prendre part à la vie étudiante afin que l’expérience universitaire ne se résume pas aux charges de travail et au stress.

Mme Khandaker sert aujourd’hui de mentore à Adela Zeng, une étudiante de 18 ans, originaire de Chine, qui a commencé ses études à l’Université de Toronto en septembre dernier. « À notre première rencon-tre, Faria m’a parlé de ses expériences et a apaisé mes craintes. Un cours de sociologie me causait beaucoup d’ennuis. Elle m’a donc proposé diverses stratégies de gestion du temps. Mes parents demeurent en Chine, ma mentore joue donc le rôle d’une amie ou d’une parente toujours prête à m’aider. »

Il est difficile de dénombrer les étudiants de première génération : plusieurs ne se déclarent pas comme tels et n’utilisent pas les services d’aide. Selon certaines études, ils représentent près d’un tiers des étudiants dans certaines universités canadiennes. Ils sont légèrement plus âgés que la moyenne des étudiants au premier cycle (de 18 à 25 ans) et proviennent souvent de familles à faible revenu où l’anglais est une langue seconde.

Toutefois, le principal obstacle aux études n’est pas d’ordre financier. Selon l’étude Mobilité intergénérationnelle en éducation : l’achèvement d’études universitaires selon le niveau de scolarité des parents réalisée par Statistique Canada en 2011, le fait qu’aucun membre de la famille ne soit allé au col-lège ou à l’université est un facteur plus important que le revenu familial.

D’autres statistiques soulèvent de profondes inquiétudes. Bien que la plupart des emplois exigeront un grade ou un diplôme au cours des prochaines décennies, seuls 53 pour cent des jeunes dont les parents ne sont pas allés à l’université ou au collège participeront à un programme d’études postsecondaires. Il y a une différence entre participer à un programme et terminer ce programme avec succès, selon un rapport publié en 2009 par l’ancienne Fondation canadienne des bourses d’études du millénaire. En 2009, le taux de diplomation atteignait seulement 23 pour cent chez les étudiants dont les parents n’avaient pas fréquenté l’université, contre 56 pour cent chez ceux dont les parents étaient titu- laires d’au moins un diplôme. Toujours selon ce rapport, les jeunes de première génération auraient moins tendance à planifier des études postsecondaires, à y voir des avantages et à obtenir des notes supérieures à la moyenne à l’école secondaire.

Danielle Lorenz, 30 ans, termine un doctorat en politiques de l’éduca-tion à l’Université de l’Alberta. Elle est la première de sa famille immé-diate à entreprendre des études postsecondaires. En 2009, elle a fait part de son expérience et de celle d’autres étudiants de première génération sur le site TalentEgg, un site d’emplois à l’intention des étudiants et des nouveaux diplômés des universités canadiennes. Elle cite au nombre des difficultés auxquelles elle a été confrontée des processus de demande et le jargon déroutants de l’établissement, le manque d’information concernant les attentes universitaires et les systèmes de soutien du campus, l’absence de soutien de la part des parents et de la famille, et un sentiment de culpabilité par rapport à l’expérience universitaire.

Ses parents (monteur de lignes électriques et mère au foyer) l’ont encouragée à poursuivre des études universitaires, mais ils n’ont pas été en mesure de la guider concrètement. Elle a dû se démener pour réussir ses deux premières années, tandis que certains de ses compagnons de classe obtenaient le concours de leurs parents pour le processus d’inscription et parfois la rédaction de leurs travaux. Son expérience n’est pas unique. Selon une étude publiée en 2012 dans le Journal of College Student Retention, les étudiants de première génération doivent composer avec un niveau de stress et d’angoisse plus élevé que les autres en raison d’un soutien parental insuffisant.

« La situation s’est améliorée, explique Mme Lorenz. J’ai fait mon baccalauréat à l’Université McMaster. À cette époque, je n’ai pas trouvé de ressources pour me guider. Aujourd’hui, l’Université est dotée d’un programme à l’intention des étudiants de première génération. »

Au cours des dernières années, bon nombre d’universités ont pris des mesures pour accompagner les étudiants de première génération. Il n’est pas étonnant que les programmes d’envergure touchent principalement l’Ontario, qui compte davantage de familles de nouveaux immigrants que les autres provinces. Pensons aux programmes First in the Family de l’Université de Toronto, First Generation Project de l’Université Algoma, Tri-Mentoring Program de l’Université Ryerson et au Programme pour les étudiants de première génération de l’Université d’Ottawa.

Sans implanter de programmes ciblés, certaines universités d’autres provinces offrent des ressources particulièrement utiles pour les étudiants de première génération admissibles, par exemple le programme UR Guarantee de l’Université de Regina et le Work-Study Program de l’Université du Nouveau-Brunswick.

Neil Buddel a élaboré le programme TURN (Transition to University: Residence Network) pendant ses études aux cycles supérieurs à l’Université de l’Alberta, en politiques de l’éducation. Ce programme aidait les étudiants de première génération à perfectionner leurs compétences universitaires, à accroître leur confiance en soi et à tisser de nouveaux réseaux sociaux, souvent grâce à un soutien des pairs. Aujourd’hui, c’est le programme BaseCamp qui facilite l’adaptation au milieu universitaire de tous les étudiants de première année, dont ceux de première génération.

Buddel, jadis étudiant de première génération, est maintenant directeur des services étudiants au collège Centennial de Toronto. La classe sociale jouerait un rôle décisif sur la façon dont les étudiants abordent l’enseignement postsecondaire. Les étudiants de première génération se disent souvent qu’ils n’ont pas les mêmes avantages que les autres étu-diants. C’est pour ce motif (selon les données de Statistique Canada) que les étudiants de première génération ont une tendance plus marquée à s’inscrire à un collège communautaire ou à une université jugée moins prestigieuse. « Les étudiants s’inscrivent à des établissements qu’ils estiment leur ressembler », ajoute M. Buddel.

Selon lui, même si les programmes de soutien par les pairs sont efficaces au quotidien, l’intervention précoce est le meilleur moyen d’épauler les étudiants de première génération ou toute personne ayant l’impression d’être en situation de désavantage. Il précise que dans les pays scandinaves, où les normes pédagogiques sont élevées en matière d’éducation préscolaire, la classe sociale des enfants n’est pas aussi intimement liée à celle des parents. Les enfants issus de milieux défavorisés réussissent nettement mieux leurs études postsecondaires.

Au Canada, le programme Passeport pour ma réussite a eu un succès retentissant. Il a motivé des élèves issus de milieux moins favorisés à terminer leurs études secondaires et à entreprendre des études collégiales ou universitaires. Mis en œuvre en 2001 dans Regent Park, un quartier pauvre de Toronto, le programme a eu des répercussions incroyables. Le taux de décrochage a chuté radicalement (de 56 à 10 pour cent) en moins de dix ans, et 80 pour cent des élèves inscrits au programme ont entrepris des études postsecondaires. Le programme d’intervention précoce englobe maintenant des collectivités de partout au pays.

Évidemment, certains étudiants de première génération n’ont aucune difficulté à faire la transition de l’école secondaire à l’université. Christine Le, doctorante en chimie organique à l’Université de Toronto, est une star du milieu universitaire; elle est la seule Canadienne à figurer au palmarès des 30 étoiles de moins de 30 ans du magazine Forbes cette année. Élevée par sa mère, une esthéticienne originaire de Chine, Mme Le était première de classe au secondaire. Motivée par ses professeurs, elle n’a eu aucun problème à s’adapter au premier cycle à l’Université Western. « J’étais une étudiante de première génération, mais je ne voyais pas la nécessité de m’identifier comme telle », précise-t-elle.

Même son de cloche du côté de Krista Kermer, coordonnatrice de la réussite scolaire à l’Université Trent, qui préconise plutôt une démarche globale. L’Université Trent compte environ 1 000 étudiants de première génération parmi ses 8 000 étudiants au premier cycle. Selon elle, bon nombre d’entre eux n’aiment pas ce terme en raison des stigmates de classe inférieure ou de milieu modeste qui y sont attachés. Ils préfèrent se fondre dans le groupe. « Nous ne voulons pas que les étudiants de première génération dont la transition se fait facilement commencent à se demander pourquoi ils n’ont aucun problème », explique-t-elle.

Même si le programme estival d’orientation comporte un volet pour les étudiants de première génération, l’équipe de Mme Kermer canalise surtout ses efforts sur de multiples activités informelles et sensibilisatrices. Un groupe de soutien entre pairs appelé Rebound aide l’ensemble des étudiants à surmonter leurs difficultés scolaires. Un réseau hors campus favorise également l’interaction entre de jeunes employés et les étudiants qui se qualifient d’étudiants de première génération.

Les étudiants qui se réclament de ce statut peuvent en effet avoir accès à une myriade de ressources. Venant à peine de quitter sa petite ville du sud-est de l’Ontario, Danielle Plumpton, 22 ans, n’avait pas d’amis à son arrivée à Peterborough. Sans connaître la différence entre une majeure et une mineure ni la teneur d’un baccalauréat spécialisé, elle a trouvé le processus d’inscription ardu. Par chance, elle a coché la case « première génération » du formulaire. Ainsi, environ un mois après le début des cours, elle a reçu un courriel de l’équipe de Mme Kermer l’invitant à discuter avec une personne de son âge pour obtenir des réponses à ses questions.

Férue de psychologie, elle a décidé de quitter le programme de baccalauréat en éducation pour s’inscrire à une double majeure en psychologie et en gestion. Elle compte maintenant s’inscrire à un programme de maîtrise. Elle s’est également jointe à un réseau de conseillers hors campus qui offre du soutien aux étudiants de première génération. « Je n’avais personne sur qui compter à mon arrivée, explique-t-elle, alors je peux maintenant devenir la personne-ressource de quelqu’un d’autre. »

Plus loin au nord, l’Université Algoma accueille environ 1 600 étudiants de toutes origines, notamment des étudiants des Premières nations et des étudiants étrangers qui, dans bien des cas, font partie des quelque 300 étu-diants de première génération à fréquenter le campus. Melissa Ouimette, qui travaille aux services étudiants comme préposée aux étudiants de première génération, a créé le First Generation Project, un projet qui est financé par la province et dont elle est maintenant la coordonnatrice. « C’est un travail de rêve, explique cette ancienne étudiante adulte de première génération à l’Université Algoma. Nous visons principalement le maintien aux études pendant quatre ans. J’adore voir les étudiants de première génération à la collation de grades. Nous leur remettons alors une épinglette d’étudiants de première génération. »

Mme Ouimette a servi de mentor à Kimberly Pelletier, une femme de 48 ans, mère de deux jeunes adultes, issue d’une minuscule réserve anichinabée. Lorsqu’elle s’est inscrite au programme de baccalauréat en travail social de l’Université Algoma il y a trois ans, Mme Pelletier était la première d’une famille de 13 enfants à fréquenter l’université. Elle craignait n’avoir aucun point en commun avec les jeunes étudiants. Elle a presque aussitôt rencontré Mme Ouimette, qui avait presque le même âge qu’elle et venait de la région. En un rien de temps, Mme Pelletier contribuait à l’or-ganisation d’activités de fin de semaine et faisait la rencontre d’autres étu-diants qui, comme elle, étaient de première génération. L’an passé, elle a présenté un exposé sur son expérience d’étudiante de première génération dans le cadre d’une conférence nationale sur le travail social, à Ottawa. En décrivant ses réalisations à l’Université Algoma, elle a pour ainsi dire résumé les pratiques exemplaires qu’il convient d’adopter dans toute démarche auprès des étudiants de première génération.

« Tout est lié à ma passion du travail social et à ma fibre anichinabée. Je peux me servir de mon expérience et de ma sagesse pour conseiller et guider les jeunes. »

 

Rédigé par
David Hayes
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