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Les relations délicates entre universitaires et médias

Les universitaires ont besoin des médias pour publiciser leurs travaux de recherche, mais lorsque leurs propos sont déformés, il peut s’ensuivre des années de méfiance.

par TIM JOHNSON | 10 SEP 12

Leur message n’a pas été entendu comme ils le souhaitaient. Lorsque Andrew Weaver et Neil Swart, de l’Université de Victoria (UVic), ont publié un article dans la revue Nature Climate Change en février dernier, les deux climatologues souhaitaient démontrer que tous les combustibles fossiles sont dangereux et que des mesures doivent être prises pour contrer leurs effets néfastes sur le réchauffement planétaire. Malheureusement, ce n’est pas ce que les médias nationaux ont rapporté.

Au lieu de cela, les grands médias ont insisté sur le fait que les sables bitumineux avaient, en comparaison, un impact moindre que les autres combustibles. Les titres tapageurs, que M. Swart a qualifié « d’exagérés et de sensationnalistes », donnaient aux lecteurs l’impression que les sables bitumineux de l’Alberta n’étaient pas aussi nocifs qu’on l’avait d’abord cru. « Nous étions déçus et aussi contrariés de constater que l’information et les points de vue que nous avions fournis avaient apparemment été ex-clus et fait place à un message déformé », relate M. Swart.

Ce genre d’incident n’est que trop familier pour certains universitaires. Comme le corps professoral et les principaux medias évoluent dans des mondes différents et s’adressent à des auditoires différents, il est normal qu’ils ne soient pas toujours sur la même longueur d’ondes. Une réalité qui peut engendrer des interprétations erronées et même de la méfiance.

Le domaine de la recherche sur les vaccins en est un bon exemple, car le sujet fait souvent les manchettes. En 2007, le magazine Maclean’s présentait un article de fond qui portait sur le vaccin contre le virus du papillome humain Gardasil, intitulé : « Nos filles ne sont pas des cobayes ». L’article laissait entendre que l’inoculation planifiée des adolescentes était « la plus grande expérience scientifique des dernières décennies » et que le vaccin présentait de graves risques pour la santé.

« L’article adoptait une démarche biaisée, plutôt alarmiste, et a paru au pire moment possible : lors du lancement des premiers programmes de vaccination », relate David Scheifele, spécialiste de la vaccination et professeur à l’Université de la Colombie-Britannique. Qualifiant la situation de « très frustrante », il souligne que, dans les régions où se concentre le lectorat du Maclean’s, soit principalement en Ontario, beaucoup moins de jeunes filles ont été vaccinées. « La moitié des écolières de l’Ontario ne sont pas vaccinées contre cette affection potentiellement cancérigène, et c’est en partie en raison d’une mauvaise couverture médiatique », poursuit M. Scheifele.

C’est aussi décourageant pour les universitaires de voir leur recherche boudée par les médias. Marni Brownell, professeure adjointe au département de sciences de la santé communautaire de l’Université du Manitoba, se rappelle de cas où la presse a complètement ignoré sa recherche, même lorsque celle-ci pouvait avoir d’importantes répercussions pour la population et malgré des efforts concertés pour la faire connaître.

« C’est décevant lorsqu’un projet qui a nécessité beaucoup d’efforts et dont les résultats sont prometteurs ne bénéficie pas de la couverture médiatique à laquelle on s’attendait, ajoute-t-elle. On se demande alors comment aurait-on pu faire passer le message autrement? »

Un groupe d’universitaires spécialisés en soins de santé tente de répondre à cette question. EvidenceNetwork.ca, une organisation récemment créée à cette fin et subventionnée par les Instituts de recherche en santé du Canada et le conseil de recherche du Manitoba, est dirigée par Noralou Roos, professeure à la faculté de médecine de l’Université du Manitoba. En activité depuis un peu plus d’un an, le projet en ligne tente de fournir des renseignements fondés sur des données probantes en mettant les journalistes en contact avec les experts des politiques en santé.

Le réseau invite les scientifiques également à écrire des articles d’opi-ni-on. Cette tactique incite les universitaires à diffuser leurs messages et leur permet d’en contrôler le contenu. EvidenceNetwork.ca a connu un immense succès avec près de 200 lettres d’opinion publiées à ce jour.

Finalement, M. Weaver de l’UVic s’est aussi tourné vers la lettre d’opi-nion pour tenter de rétablir les faits relativement aux répercussions des sables bitumineux. Il a écrit un texte pour le Toronto Star dans lequel il précise exactement ce que M. Swart et lui ont voulu dire. Les deux chercheurs ont accordé des centaines d’entrevues dans les médias, et M. Swart a affiché des commentaires sur les articles en ligne ainsi que fourni des liens vers son site Web dans lequel les conclusions de l’étude sont clairement énoncées. Il a aussi été très actif sur Twitter et dans d’autres médias sociaux.

La leçon, qui a servi d’avertissement, a été très instructive et n’a pas découragé M. Swart dans ses relations avec les médias. « Être cité de manière sélective dans les médias afin de servir certains intérêts est réellement problématique, observe-t-il. Toutefois il y a encore de nombreux journalistes qui font un excellent travail, retracent les faits et les transmettent de manière précise.

Rédigé par
Tim Johnson
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  1. BDNf / 12 septembre 2012 à 13:51

    Sans compter qu’il faut à cela ajouter les dépêches publiées par les services de relations publiques des institutions elles-mêmes, morceaux souvent eux aussi sensationnalistes et racoleurs repris tels quels par nombre de journaux qui ne se donnent pas la peine de lire l’article original (pour autant qu’ils aient même quelqu’un pour le faire; le comprendre, une autre paire de manches!).

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