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Lever le voile sur l’évaluation par les pairs

La sociologue Michèle Lamont partage ses analyses et découvertes sur le processus d'évaluation par les pairs après avoir eu un accès privilégié aux séances de délibérations de comités multidisciplinaires.

par PEGGY BERKOWITZ | 04 AOÛT 09

L’évaluation par les pairs est un processus mal compris; c’est assurément le cas chez les profanes, mais aussi en partie au sein des comités qui déterminent quels projets de recherche et quels chercheurs méritent d’être financés ou encouragés. C’est pourquoi Michèle Lamont, sociologue québécoise titulaire d’une chaire à l’Université Harvard, explore ce processus dans son dernier ouvrage, How Professors Think: Inside the Curious World of Academic Judgment (Harvard, 2009).

Mme Lamont a étudié 12 comités multidisciplinaires dans le cadre de cinq concours nationaux de financement aux États-Unis sur une période de deux ans. Elle a eu la chance inouïe d’observer trois des comités en action. Elle s’est aussi entretenue avec des membres et des présidents de comités ainsi qu’avec des représentants de programmes rattachés à divers domaines en sciences humaines. Son étude approfondie s’est en définitive centrée sur six disciplines où l’obtention de bourses de recherche et d’études est soumise à la concurrence : histoire, études anglaises, économie, anthropologie, sciences politiques et philosophie.

L’histoire et l’économie semblent les disciplines les mieux adaptées aux comités multidisciplinaires. L’histoire est une discipline vaste, et les historiens écrivent bien et s’intéressent à des sujets que les spécialistes d’autres domaines peuvent comprendre, explique Mme Lamont. De plus, les historiens s’accordent largement sur les projets qui devraient être financés. Les économistes aussi partagent une vision très claire de la façon de séparer le bon grain de l’ivraie. Mme Lamont estime cependant que la philosophie est « une discipline à problèmes » parce que les spécialistes de ce domaine croient ne pouvoir être évalués que par d’autres experts de leur domaine. Les chercheurs en études anglaises, en anthropologie et en sciences politiques s’en tirent pour leur part moins bien que les autres dans les concours en raison de désaccords entre les spécialistes de ces disciplines sur la définition de l’excellence.

Mme Lamont ne se contente toutefois pas de classer certaines disciplines les unes par rapport aux autres. Elle explique que son ouvrage porte essentiellement sur la notion d’équité et sur l’application de ce principe.

« La plupart des membres d’un comité jugent que le système [d’évaluation par les pairs] fonctionne bien, en partie parce qu’ils estiment faire le nécessaire pour en assurer le bon déroulement, précise-t-elle. Ils consacrent beaucoup de temps à la lecture des projets plutôt que de simplement se laisser guider par leur intuition au moment d’avancer des arguments. »

S’ils évaluent les projets avec autant de soin, c’est en partie parce qu’ils se savent eux-mêmes évalués par les autres membres de leur comité. En fait, la possibilité d’asseoir son prestige comme universitaire est l’une des raisons d’accepter de jouer le rôle de pair examinateur.

Mme Lamont arrive à la conclusion que l’évaluation n’est pas une expérience purement cognitive; les relations interpersonnelles et les émotions y jouent également un rôle important. « Beaucoup d’études précédentes consacrées à l’évaluation par les pairs considèrent que les émotions sont soit inutiles, soit néfastes. À mon avis, il s’agit au contraire d’un facteur essentiel à l’évaluation. »

Mme Lamont a également examiné de près la notion de diversité. Elle a constaté que les évaluateurs attachent beaucoup plus d’importance à la diversité des établissements ou des disciplines qu’à la diversité raciale ou à la répartition entre les sexes. Il s’agit à ses yeux d’une importante découverte, surtout dans la mesure où les questions sexospécifiques et raciales font l’objet de tant de débats dans le milieu de l’enseignement supérieur américain.

Mme Lamont pense que ces découvertes s’appliquent également au Canada, qui dispose d’un système analogue d’évaluation par les pairs. « Je crois que ces modèles culturels d’évaluation sont hautement institutionnalisés dans le milieu nord-américain de l’enseignement supérieur, en partie parce que les deux systèmes sont très homogènes », fait observer celle qui a récemment présidé un comité de spécialistes qui a examiné les pratiques d’évaluation par les pairs pour le compte du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH).

Depuis quelques années, au Canada et au CRSH, on incite davantage les chercheurs à publier leurs découvertes et même, dans certains cas, à inviter la collectivité à apporter sa contribution. Voilà des valeurs auxquelles Mme Lamont souscrit. Par contre, questionnée sur la possibilité d’inviter des non-universitaires à siéger à des comités d’évaluation par les pairs, elle répond que ce serait une très mauvaise idée. « Je pense que l’évaluation de la qualité de la recherche doit être laissée aux experts. »

Rédigé par
Peggy Berkowitz
Peggy Berkowitz is the editor of University Affairs.
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