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L’histoire pour tous

L'histoire publique de plus en plus populaire au Canada.

par TREENA HEIN | 09 OCT 07

L’histoire publique est une discipline qui semble gagner en popularité ces temps-ci. Selon Paul Litt, professeur d’histoire à l’Université Carleton, la réunion annuelle de la Société historique du Canada tenue cette année à Saskatoon dans le cadre du Congrès des sciences humaines aura été un point tournant. « Les historiens universitaires ont montré un grand intérêt envers ce que les spécialistes de l’histoire publique avaient à raconter, fait remarquer M. Litt. Les choses ont changé. »

L’histoire publique n’a pas toujours eu le respect des universitaires. C’est un domaine qui a longtemps été perçu comme un art appliqué plutôt que comme un domaine universitaire légitime. M. Litt croit que c’est en partie la soif insatiable du public pour tout ce qui touche l’histoire qui a fait changer les opinions.

L’histoire publique est un vaste domaine d’études. L’Université Western Ontario, qui offre un programme de maîtrise dans ce domaine depuis plus de 20 ans, décrit ainsi l’histoire publique sur son site Web : « C’est l’histoire vécue par chacun de nous et mise à notre portée. C’est l’histoire qu’on retrouve dans les films, les sites Web, les romans historiques, les musées, les livres populaires et les magazines. C’est aussi une plaque commémorative au coin de la rue ou un long métrage de Steven Spielberg […]. Voilà en quoi consiste l’histoire publique. »

Sur le site Web de l’Université Carleton, qui offre depuis 2002 un programme de maîtrise de un an en histoire publique, on l’évoque en ces termes : « C’est le domaine de l’histoire où se façonne la mémoire collective. Étudier l’histoire publique, c’est se réconcilier avec la nature discutable même de l’histoire. « À titre d’exemple, prenons la controverse passionnée et interminable au sujet d’un panneau, au Musée canadien de la guerre, qui soulève des questions au sujet de la campagne de bombardement des alliés pendant la Seconde Guerre mondiale.

Une profession en crise

Selon Bruce Craig, spécialiste de l’histoire publique et professeur au département d’histoire de l’Université de l’île-du-Prince-Édouard (UPEI), l’histoire publique aurait vu le jour au milieu des années 1970. « À l’époque, on considérait que la profession d’historien traversait une crise. De moins en moins d’étudiants se dirigeaient en histoire et, de surcroît, ceux qui obtenaient une maîtrise ou un doctorat dans la discipline ne trouvaient pas nécessairement de poste de professeur », et ce, en grande partie en raison de coupures dans le financement du gouvernement.

Robert Kelly, qui était alors professeur d’histoire à l’Université de Californie à Santa Barbara, a remarqué que de nombreux diplômés en histoire se sont mis à développer leur esprit d’entreprise. Ils faisaient par exemple de la recherche juridique pour des cabinets d’avocats ou encore travaillaient aux archives, dans des bibliothèques ou pour le Service des parcs nationaux des États-Unis. « Il a alors senti qu’il fallait offrir une formation distincte à ces jeunes diplômés », raconte M. Craig. M. Kelly a donc obtenu une bourse de la Fondation Rockefeller, et l’Université de Californie à Santa Barbara a pu offrir, en 1977, le premier programme de maîtrise en histoire publique à un groupe qui comptait neuf étudiants, dont M. Craig.

En 1978, l’établissement lançait sa première revue intitulée The Public Historian et, en 1979, il fondait le National Council on Public History, qui est encore aujourd’hui l’organisation professionnelle qui représente les spécialistes d’histoire publique aux États-Unis et au Canada. M. Craig explique que, dans les années qui ont suivi, d’autres universités ont mis sur pied des programmes d’histoire publique aux cycles supérieurs; aujourd’hui, on en compte environ 80.

Comme toute nouvelle discipline, l’histoire publique doit fait face à des difficultés. « Le mouvement a connu des moments difficiles à ses débuts parce que les professeurs qui enseignaient aux cycles supérieurs étaient souvent réorientés, sans vraiment recevoir une formation distincte, raconte M. Craig. Ces professeurs, souvent issus du domaine de l’histoire traditionnelle, retournaient pour la plupart à leur intérêt premier après quelques années. Les facultés confiaient alors l’enseignement à des professionnels embauchés comme professeurs adjoints qui, selon M. Craig, réussissaient très bien à inculquer aux étudiants les compétences pratiques dont ils avaient besoin et à susciter leur intérêt, mais comme les professeurs n’étaient pas permanents, ils étaient peu intéressés à développer un programme.

La plus grande difficulté consistait cependant à défendre la légitimité du domaine même. « Les grandes universités de la Ivy league ne veulent rien savoir de l’histoire publique, explique M. Craig. C’est une question de principe. Lorsque le mouvement a vu le jour, le monde universitaire croyait que ceux qui se tournaient vers l’histoire publique étaient ceux qui ne réussissaient pas à décrocher un poste à l’université. Autrement dit, l’histoire publique était considérée comme un art appliqué, une discipline de deuxième ordre. »

Ce genre de préjugé a causé du tort aux professeurs d’histoire publique. En effet, les universités accordent généralement la permanence à un professeur en fonction de ses résultats de recherche, à savoir les livres et les articles qui sont publiés dans des revues savantes. Bien que les professeurs du domaine publient ce genre de documents, ils sont souvent appelés à participer à des activités qui ne sont pas nécessairement reconnues par les comités chargés de la permanence et des promotions. « Ils participent à des expositions, à des activités de sensibilisation, à des entrevues; ils publient des documents (rapports, historiques d’entreprises, mémoires juridiques) qui ne sont pas considérés comme faisant partie de l’activité savante », ajoute M. Craig.

Les universités Carleton, Western et l’UQAM sont les seuls établissements canadiens à offrir officiellement une formation en histoire publique aux cycles supérieurs. Plusieurs autres, dont Concordia, offrent aux cycles supérieurs des programmes réguliers d’histoire avec spécialisation en histoire publique.

L’Université Waterloo offrait, entre 1983 et 2005, un programme de maîtrise en alternance travail-études qui connaissait un grand succès, mais qui a été interrompu. L’Université a choisi de se concentrer sur son nouveau programme de maîtrise interdisciplinaire en politique publique internationale. « Nous ne voulions pas que les deux programmes se livrent concurrence et ne disposions pas du personnel nécessaire pour soutenir les deux adéquatement », explique John English, professeur d’histoire à Waterloo.

Quelques autres établissements songent à joindre les rangs de Carleton et de l’UPEI, qui offrent au moins un cours d’histoire publique au premier cycle. M. Craig croit que de tels cours sont utiles pour présenter aux étudiants les possibilités de carrière qui s’offrent à eux dans ce domaine. Un cran plus haut, Concordia est la première université au Canada à offrir, depuis septembre 2006, un programme en histoire publique au premier cycle comme option dans le cadre du programme de baccalauréat spécialisé en histoire.

Selon les spécialistes du domaine, peu importe l’endroit où il sera offert, l’enseignement de l’histoire publique fera de plus en plus appel aux nouvelles technologies. William Turkel, directeur intérimaire du programme d’histoire publique à Western, explique que la numérisation croissante des documents, artéfacts et images dans les musées, les bibliothèques et les archives, rend cette option inévitable. En outre, la population s’attend à ce que « les dispositifs et les services qui leur sont offerts soient interactifs et bien conçus ». Le projet en ligne intitulé « Les grands mystères de l’histoire canadienne », élaboré en partie à l’Université de Sherbrooke, et celui de Concordia intitulé « Project 55 » (une visite guidée audio du boulevard St-Laurent à Montréal) sont d’excellents exemples d’utilisation novatrice de la technologie au service de l’histoire publique.

Titulaire de la Chaire de recherche du Canada en histoire publique à Concordia, Stephen High relate que la nouvelle technologie est en partie responsable du développement de cette discipline dans l’établissement. Grâce à un financement de 340 000 $ de la Fondation canadienne pour l’innovation, et de 75 000 $ provenant d’autres sources, « nous avons pu bâtir le premier centre d’histoire orale au Canada, qui comprend un laboratoire d’histoire orale numérique, un laboratoire de contes numérique, une salle de vidéoconférence, un centre de formation en histoire orale, un studio pour la prise de son ainsi qu’une salle pour les archives et les projets spéciaux ».

Si on en juge par ces nouveautés, le domaine est promis à un brillant avenir. M. Litt croit que c’est une « lame de fond », et ajoute pour provoquer « en fait, c’est l’histoire publique qui devrait être la norme, et l’histoire traditionnelle, sa déviation ».


Programmes d’histoire publique au Canada

University of Prince Edward Island

University of Waterloo (hiatus)

Carleton University

Université de Québec à Montréal

Rédigé par
Treena Hein
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