À son arrivée au département de physique de l’Université Queen’s, à Kingston, il y a 30 ans, Boris Castel a entrepris de parer les couloirs d’œuvres d’art.
Depuis, sa passion pour les arts l’a amené à laisser sa marque sur le campus d’une façon qui dépasse de loin son champ de spécialité. Rédacteur en chef du Queen’s Quarterly depuis 1992, il est reconnu pour avoir fait de cette revue, fondée il y a 114 ans, l’une des meilleures publications au pays. C’est également à lui qu’est attribué le revirement de fortune du bureau des arts de la scène instauré à l’Université il y a 50 ans. Il y a dix ans, avant qu’il ne prenne en main la série annuelle de concerts, l’événement faisait piètre figure. Aujourd’hui, tous les habitants de la région de Kingston peuvent acheter un laissez-passer au coût de 60 $ (35 $ pour les étudiants) et venir écouter l’Orchestre du Centre national des Arts, la violoniste Lara St. John et d’autres artistes acclamés sur la scène internationale. Et les concerts affichent toujours complet. M. Castel représente également Patrick Deane, vice-recteur aux affaires universitaires, dans les négociations relatives à la transformation d’un lieu historique local en un nouveau complexe de l’Université qui sera consacré aux arts. « C’est le délégué idéal », explique M. Deane, qui souligne son grand sens pratique et sa capacité de ne jamais perdre de vue l’intérêt des arts.
L’homme énergique de 69 ans à l’allure désarmante d’un grand-père et au regard vif et curieux peut souvent être aperçu à vélo dans la ville ou en train de lire sur la véranda accueillante du Quarterly. Juif polonais d’origine, il a grandi à Paris et joue très bien du piano. Ce professeur émérite donne toujours son cours, très apprécié, sur les physiciens à l’ère du nucléaire, qui attire des étudiants de toutes disciplines. « Nous souhaitons que nos étudiants s’inspirent de personnes comme lui, affirme Karen Hitchcock, rectrice de l’Université. Il incarne parfaitement ce que je considère comme l’essence même des arts libéraux. »
Sa façon de faire au Quarterly en est un très bon exemple.
Il y a 17 ans, le Quarterly était, selon M. Castel, la meilleure revue sérieuse du pays. Le problème? « Les numéros se ressemblaient tous. Les lecteurs savaient qu’ils ne devaient pas s’attendre à y trouver de la nouveauté. » Quand il a pris les choses en main, il a mis en place un plan pour faire en sorte que chaque numéro surprenne. Depuis, la revue présente une nouvelle conception graphique et des illustrations couleur, est davantage tournée vers le monde, aborde des thèmes qui vont du cinéma à la guerre et compte sur des collaborateurs de renom, dont le journaliste Robert Fulford, l’universitaire Michael Ignatieff et le philosophe John Ralston Saul. Le Quarterly tire aujourd’hui deux fois plus d’exemplaires et a remporté à cinq reprises le Prix Or de l’Association des magazines canadiens.
Selon Cathy Harland, professeure d’anglais et présidente du comité de rédaction du Quarterly, M. Castel a su y insuffler un inlassable esprit de recherche. « Le Quarterly vise le lecteur moyen doté de curiosité intellectuelle, soutient-elle. Voilà une qualité que Boris possède à la puissance mille. »
« Le Quarterly est maintenant lu par des « lecteurs volontaires », explique Clarke Mackey, directeur du département d’études cinématographiques et membre du comité de rédaction. La revue est lue par plaisir, et non par obligation. »
Pour Joan Harcourt, directrice littéraire, la transformation de la revue demeure une source d’étonnement. « Il a gagné toute ma confiance, soutient-elle. Je le vois souvent, absorbé dans une conversation téléphonique avec, qui sait, le premier ministre de Bulgarie? Puis nous recevons soudain un article de cette personne sans trop savoir comment cela s’est produit. »
M. Deane, vice-recteur aux affaires universitaires, ne perçoit pas M. Castel auréolé de mystère. « Il gère les budgets et le personnel avec une incroyable assurance. » Ainsi, au-delà du soutien en nature obtenu de l’Université, la revue et les concerts de musique classique couvrent leurs frais. Selon lui, l’attitude de M. Castel, par nature très discret, est un important facteur de réussite.
De son côté, M. Castel explique que ce sont les gens qui l’entourent qui dictent son approche. « Je crois sincèrement que nous pouvons réfléchir tous ensemble. J’espère que je peux amener les membres de l’équipe à sentir qu’ils sont à l’origine de notre succès. Il s’agit non seulement de respecter le point de vue des autres, mais également d’éveiller leur intérêt. »