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Mobilisation des connaissances

Les activités de recherche concertées découlant d'un échange bidirectionnel d'information entre les chercheurs et la population gagnent du terrain.

par JOEY FITZPATRICK | 07 AVRIL 08

En avril dernier, l’Université de la Saskatchewan a réuni 12 personnes et leur a demandé d’imaginer l’avenir de l’agriculture dans la province. « Beaucoup des investissements nécessaires dans ce secteur doivent tenir compte d’une perspective à très long terme, affirme David Gullacher du Prairie Agricultural Machinery Institute. Si nos décisions reposent uniquement sur les enjeux actuels, nous pourrions faire de très mauvais investissements. »

L’événement, intitulé « Agriculture 2020 : comment l’imaginez-vous? » , était parrainé par le programme Impact du savoir sur la société du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH). Les participants devaient rédiger des dissertations, des pièces de théâtre, des sketchs ou des nouvelles dont l’action se déroule en 2020. L’événement s’adressait à tous, et, bien qu’il ait attiré des agriculteurs et des étudiants en agriculture, certains participants provenaient d’un domaine tout à fait différent. Les résultats ont été fascinants, selon M. Gullacher.

« Certaines œuvres relevaient carrément de l’extrapolation, mais d’autres ont formulé des idées totalement nouvelles. Des éléments que nous n’avions pas prévus ont commencé à émerger, se souvient-il. C’est le processus qui compte. »

Cet échange bidirectionnel d’information entre les chercheurs et la population se nomme « mobilisation des connaissances ». Le concept n’est pas nouveau, mais un concours de circonstances en a fait un sujet d’actualité sur plusieurs campus canadiens au cours de ces dernières années.

Le CRSH définit la mobilisation des connaissances comme le moyen de « transformer les connaissances en actions concrètes dans l’intérêt commun du plus grand nombre possible ». Cela peut signifier, entre autres choses, de se pencher sur des questions aussi diverses et complexes que le développement économique, la santé, l’immigration, l’environnement, l’éthique commerciale, la question des sans-abri, la toxicomanie, l’agriculture, la linguistique et l’intimidation.

« Il ne s’agit pas d’apporter une seule solution d’envergure, mais de contribuer à trouver des solutions grâce aux connaissances, à la recherche et à la formation », explique Gisèle Yasmeen, vice-présidente, Partenariats et mobilisation des connaissances, au CRSH.

En 2004, le CRSH a lancé un programme pilote de réseaux stratégiques de recherche dans le but d’établir des liens entre les chercheurs et les utilisateurs de la recherche. « Il visait à réunir, physiquement et virtuellement, des universitaires, des décideurs et des praticiens de divers domaines, déclare Mme Yasmeen. Essentiellement, le défi consiste à faire en sorte que les gens se connaissent, tissent des liens et échangent de l’information. »

Deux ans plus tard, le CRSH a versé sept subventions par l’intermédiaire des réseaux et accordé du financement supplémentaire par l’entremise de programmes comme Impact du savoir sur la société et Subventions de sensibilisation du public. Le CRSH consacre actuellement environ sept pour cent de son budget (soit 21 millions de dollars) à la mobilisation des connaissances.

La mobilisation des connaissances est parfois considérée comme le pendant plus récent du transfert de technologie, qui a de son côté vraiment commencé il y a plus d’un quart de siècle. Presque toutes les universités canadiennes comptent maintenant un service de transfert de technologie voué à la concession de brevets et de licences.

Il existe cependant d’importantes différences. Le transfert de technologie commercial est un domaine très concurrentiel, dans lequel environ cinq pour cent de la recherche génère 95 pour cent des revenus. Il n’est donc pas étonnant qu’on y cultive le mystère et l’exclusivité. En revanche, la mobilisation des connaissances en sciences sociales insiste sur l’accessibilité et l’inclusivité. Par exemple, le programme d’accès libre du CRSH rend les publications universitaires accessibles gratuitement en ligne. L’Université York donne des ateliers de rédaction en langage clair aux chercheurs et aux étudiants aux cycles supérieurs.

Le meilleur cadre pour observer la mobilisation des connaissances à l’œuvre est probablement les ateliers régionaux donnés par le centre Harris à Terre-Neuve-et-Labrador. Quatre fois l’an, un groupe de personnes douées et déterminées se donnent pour mission de promouvoir la mobilisation des connaissances dans les régions.

Étant la seule université de Terre-Neuve-et-Labrador, l’Université Memorial est tenue par la loi de contribuer au développement socioéconomique de la province. C’est dans cette optique qu’elle a créé le Leslie Harris Centre of Regional Policy and Development en octobre 2004. Comptant 17 500 étudiants à temps plein et partiel et plus de 900 professeurs à temps plein, l’établissement est la plus importante université à l’est de Montréal et le siège d’un vaste organisme de recherche d’avant-garde.

« Il n’est pas nécessaire de passer par nous pour entrer en contact avec l’Université, affirme Rob Greenwood, directeur du centre Harris. Mais si vous ne savez pas où vous diriger, nous vous servirons de navigateur, de courtier et de facilitateur. Nous sommes censés tendre la main, tisser des liens et faire notre part. »

À la fin de novembre, quelque 75 personnes de la région de Grand Falls assistent à une réunion de un jour. L’Université Memorial y délègue une équipe de chercheurs, le doyen de l’école de médecine et les directeurs des programmes de médecine rurale et de recherche appliquée en santé.

Trois réunions en petits groupes portant sur le développement économique, la santé en milieu rural et les ressources naturelles ont lieu simultanément, et leurs participants s’attaquent aux enjeux les plus pressants dans les régions rurales de Terre-Neuve-et-Labrador, comme l’accès aux soins de santé et l’exode des jeunes. Les discussions sont claires et animées, et les idées s’enchaînent.

La synergie qui règne dans la pièce peut sembler spontanée, mais la création d’un dialogue efficace entre des personnes issues de divers milieux n’a rien d’une coïncidence, explique David Yetman, chef de la mobilisation des connaissances au centre Harris.

« Tout dialogue comporte ce qu’on appelle une « architecture invisible«  qui n’est pas facilement discernable. Un intermédiaire doit s’y intéresser à l’avance et s’interroger sur les participants, leurs antécédents et leur mandat, ainsi que sur le recours à la politicaillerie et l’existence de querelles personnelles. »

Il n’y a pas de comité ni de table d’honneur, et personne ne se fait appeler par son titre honorifique. Le point de vue de chacun est d’importance égale. Des journalistes peuvent observer les discussions, mais pas les enregistrer. Cette mesure vise autant à encourager les personnes qui pourraient être intimidées par des caméras ou des dispositifs d’enregistrement qu’à décourager celles qui seraient tentées d’impressionner autrui.

« Tout le monde peut exprimer son point de vue, pourvu qu’il vise essentiellement des mesures cohérentes, soutient M. Yetman. Nous ne voulons pas de vieilles idées remâchées. »

À la fin de la journée, 42 idées de projets étaient proposées sous forme de liste. Quelques mois plus tard, M. Yetman souhaitait retourner à Grand Falls pour effectuer un suivi auprès d’un groupe de travail afin d’épurer cette liste. Dans certains cas, il se peut que des recherches existent déjà ou soient en cours, à l’Université Memorial ou ailleurs. Il se peut également que des projets conviennent mieux à un expert-conseil du secteur privé qu’à l’établissement.

« Lorsque j’y retournerai, nous discuterons des projets réalistes et faisables, déclare M. Yetman. Nous distribuerons ensuite la description des projets afin de recruter des professeurs, des étudiants et du personnel qui voudraient y participer. »

Les connaissances utiles devraient circuler librement au-delà des frontières et entre les territoires de compétences. Une décisionnaire torontoise qui s’intéresse aux logements de transition pour Autochtones devrait pouvoir recueillir autant de renseignements que possible de sources variées afin d’éclairer ses décisions.

Research Impact est le fruit d’un partenariat entre l’Université York et l’Université de Victoria qui est également financé par le CRSH. Il s’agit d’un prototype de base de données commune qui donnera accès à des recherches pertinentes menées n’importe où au pays. « Jusqu’ici, aucun outil ne le permettait », souligne David Phipps, directeur des services de recherche de l’Université York. Voilà pourquoi, selon lui, la plupart des partenariats s’établissaient à l’échelle locale. « Il n’est pas impossible de collaborer à distance, mais, pour ce faire, les gens doivent pouvoir se repérer. »

« La simple volonté de changer les choses contribue grandement à l’intérêt porté à la mobilisation des connaissances, avance Richard Keeler, vice-recteur adjoint à la recherche à l’Université de Victoria. Lorsque je demande aux étudiants au premier cycle pourquoi ils étudient à l’université, bon nombre d’entre eux me répondent qu’ils souhaitent apprendre à aider la société. »

Pour les universités de Victoria et York, les projets de mobilisation des connaissances ne sont pas habituellement liés au développement économique, comme c’est le cas à Terre-Neuve-et-Labrador. L’Université de Victoria se concentre sur des enjeux portant sur la santé et la société et collabore avec l’office régional de la santé à l’élaboration de projets de recherche axés sur des questions que l’autorité sanitaire n’arrivait pas à résoudre. Pour sa part, l’Université York insiste sur les enjeux liés aux quartiers déshérités, mais travaille également avec divers groupes comme les Premières Nations et les collectivités agricoles dans la très grande région de York, au nord de Toronto.

La mobilisation des connaissances fait maintenant l’objet de recherches visant à évaluer les répercussions des prises de décisions fondées sur des témoignages. « Ce qui est intéressant, c’est de constater comment la théorie formulée par les chercheurs s’harmonise avec cette nouvelle pratique au Canada, affirme M. Phipps. Des sources étayent maintenant ce que nous faisions déjà d’instinct. »

Le centre Harris organise un congrès international intitulé « Knowledge in Motion 2008 », qui explorera la façon dont les établissements d’enseignement supérieur mobilisent les connaissances afin d’influer sur le développement régional. L’événement se déroulera du 16 au 18 octobre à St. John’s.

Rédigé par
Joey Fitzpatrick
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