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Ne surtout pas abandonner!

Une initiative communautaire du sociologue Michel Perron visant à maintenir les jeunes aux études gagne des adeptes même loin de la région québécoise du Saguenay-Lac-St-Jean où elle a vu le jour.

par DANIEL DROLET | 13 SEP 10

Soudainement, la route 175, principale voie qui mène dans la région du Saguenay-Lac-St-Jean au Québec, quitte les Laurentides et la forêt boréale environnantes et s’ouvre sur une grande plaine au milieu de laquelle se trouve le lac St-Jean, sorte d’île au milieu de cette région difficile d’accès où des liens étroits unissent la population de 273 000 habitants presque exclusivement francophone « de souche ».

Sentiment d’appartenance ou fierté régionale, on ne sait trop ce qui a poussé les Jeannois à laisser leurs différences de côté et à unir leurs forces pour contrer le décrochage scolaire chez les jeunes. Quoi qu’il en soit, en très peu d’années, la région a réussi, grâce aux mesures mises en place, à maintenir les jeunes à l’école secondaire dans un premier temps, puis au collège et finalement à l’université. La recette de cette réussite a été reproduite ailleurs dans la province et a même capté l’attention de la France, où on tente actuellement de s’en inspirer pour contrer le décrochage scolaire.

L’homme derrière l’initiative est le sociologue Michel Perron. D’abord professeur au Cégep de Jonquière, M. Perron a récemment été recruté par l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), où il est maintenant professeur au département des sciences humaines et titulaire d’une chaire UQAC–Cégep de Jonquière sur les conditions de vie, la santé et les aspirations des jeunes.

Professeur distingué, érudit et sérieux, il défend très bien son point de vue et peut rapidement appuyer son propos par les ouvrages et les rapports qui garnissent les rayons de sa bibliothèque, seul décor de son bureau à l’UQAC. Sans être expansif ni timide, il semble motivé par sa conviction en la méthode adoptée par la région pour combattre l’abandon scolaire.

M. Perron est aussi à l’origine de la création, il y a 14 ans, du Conseil régional de prévention de l’abandon scolaire (CRÉPAS). Financé en partie par l’entremise d’un programme du gouvernement du Québec favorisant les initiatives régionales et appuyé par les commissions scolaires, les collèges, l’université, les syndicats, le milieu des affaires local ainsi que les parents et des bénévoles, le CRÉPAS aborde le décrochage scolaire comme un problème social et non comme une simple question d’éducation.

Jumelée à un programme de maintien aux études de l’UQAC, l’initiative a fait de la région un chef de file en matière de lutte contre le décrochage. Les statistiques recueillies par M. Perron (www.cartodiplome.qc.ca) montrent que le Saguenay-Lac-St-Jean se classe maintenant parmi les trois régions du Québec qui comptent les plus hauts taux de diplômés du secondaire, avec près de 76 pour cent des étudiants qui obtiennent le diplôme en sept ans : une hausse spectaculaire depuis 1998, alors que le taux était de 66,2 pour cent. (À titre de comparaison, Montréal se situe légèrement sous la moyenne provinciale de 70,5 pour cent.)

Les perceptions aussi ont changé dans la région. Des sondages révèlent que vers la fin des années 1990, moins de 38 pour cent des étudiants du niveau secondaire considéraient les études universitaires comme une option réaliste pour eux. Ces chiffres ont grimpé à 42 pour cent en 2002 et à plus de 53 pour cent en 2008. Les inscriptions à l’UQAC sont donc demeurées stables au fil des ans malgré le déclin de la population en âge d’étudier.

Selon Michel Belley, recteur de l’UQAC, comme davantage d’étudiants réussissent au secondaire, ils sont plus nombreux à fréquenter le cégep et, par la suite, à s’inscrire à l’université.

Il faut remonter à près de 20 ans en arrière pour trouver l’étonnante source de cette initiative de maintien aux études : l’étude d’une maladie débilitante.

La dystrophie myotonique est une forme rare de la dystrophie musculaire caractérisée par une faiblesse et une perte progressive des capacités musculaires. Il y a une vingtaine d’années, M. Perron et sa conjointe Suzanne Veillette, sociologue également, ont entamé une étude afin d’établir la prévalence de la maladie, qui n’est pas rare au Saguenay-Lac-St-Jean. Ils avaient pour objectif d’établir la corrélation entre la prévalence de la maladie et des facteurs comme la pauvreté et le niveau d’éducation. Leurs travaux ont capté l’attention au niveau international et ont permis de mieux comprendre la maladie, dont le marqueur géné-tique a depuis été découvert.

En 1993, le ministère de l’Éducation du Québec a demandé à M. Perron et à son équipe du Cégep s’il était possible d’appliquer leurs travaux de cartographie à la question de l’accès au cégep. (Les étudiants du Québec accèdent au cégep après la cinquième année du secondaire, ou 11e année d’études, et doivent réussir un programme de deux ans pour être admissibles à l’université.) L’équipe de M. Perron a donc recueilli des données sur l’accès au cégep et les taux d’obtention de diplômes ainsi que sur des facteurs pouvant avoir une influence sur ces données, comme le statut socioéconomique. L’équipe a pu situer les facteurs par code postal.

En 1995, M. Perron a participé aux états généraux de la région, qui ont réuni 600 personnes pour discuter de l’avenir du Saguenay-Lac-St-Jean. Par le passé, raconte-t-il, une telle rencontre aurait porté sur les principaux moteurs économiques de la région (l’aluminium, la foresterie, le tourisme) et personne n’aurait abordé la question de l’éducation. Cette année-là, M. Perron est arrivé bien documenté et a pu montrer, chiffres à l’appui, que la région perdait 200 millions de dollars par année en possibilités économiques en raison du décrochage scolaire. Il a aussi pu montrer des cartes précises aux politiciens locaux qui, soudainement, se demandaient pourquoi le taux de décrochage était si élevé dans leur circonscription.

M. Perron s’est alors mis à faire pression pour que les choses changent. Il s’est adressé aux chambres de commerce et aux clubs Rotary, il a fait pression sur ses collègues de l’enseignement et il est ensuite passé aux actes. « J’ai passé le rotoculteur! », s’exclame-t-il.

Parce qu’il était chercheur, il avait de la crédibilité et les gens l’écou-taient. Et parce que sa recherche était éloquente, les gens étaient motivés à agir. « L’innovation ne peut se faire sans un solide appui de la recherche », précise M. Perron.

À cette époque, Jeanne Lavoie, maintenant à la retraite, occupait le poste de conseillère au partenariat avec la communauté chez Alcan (aujourd’hui Rio Tinto Alcan). Elle raconte qu’Alcan, un des principaux employeurs de la région, a contribué à financer le CRÉPAS. C’était au départ une façon pour l’entreprise de se montrer bonne citoyenne, mais elle continue aujourd’hui de le faire. Il faut aussi dire que c’était dans son intérêt, explique Mme Lavoie. « Il faut préparer la relève pour avoir des employés qui sont compétents, qui peuvent enrichir la société et qui possèdent des diplômes qui les qualifient pour le marché de travail.

« Michel a été la bougie d’allumage. Il a sensibilisé la région au problème, puis il a pris la balle au bond, et a créé le premier comité et mis les choses en place », se rappelle Mme Lavoie.

L’intérêt que l’initiative a suscité auprès d’intervenants externes au milieu de l’éducation a grandement contribué à son succès. Parents, employeurs et responsables locaux du secteur de la santé ont compris que les personnes éduquées adoptent des comportements positifs à l’égard de la santé. Le travail du CRÉPAS est soutenu par quelque 60 bénévoles, dont bon nombre reçoivent aussi un appui de leurs employeurs.

« Dès le départ, une équipe s’est mise en place et a su rallier les acteurs autour d’un problème social. C’est ça la recette. C’est aussi ce qui a fait notre succès, » conclut Mme Lavoie, qui a dirigé les bénévoles du CRÉPAS pendant cinq ans. Mais, ajoute-t-elle, ce n’était pas toujours facile à faire comprendre aux gens que le décrochage scolaire n’est pas simplement une question d’éducation, mais un problème social.

Les entreprises locales acceptent de participer parce que les résultats sont mesurables. M. Tremblay relate que le CRÉPAS a signé, avec 85 entreprises locales, une entente dans laquelle l’employeur s’engage à limiter les heures de travail des étudiants afin qu’ils puissent se concentrer sur leurs études. Pendant la cohue des Fêtes, par exemple, un employeur pourra embaucher une personne supplémentaire au lieu de demander à un étudiant de faire des heures supplémentaires en période d’examens.

Les chercheurs du CRÉPAS ont très tôt découvert que l’un des meilleurs indices de réussite est en fait l’estime de soi, c’est-à-dire la perception qu’a l’étudiant de sa propre intelligence et de sa capacité à apprendre. Ils se sont donc empressés de renforcer l’estime de soi des étudiants en lançant le slogan « Chaque jeune a besoin d’encouragements chaque jour! » et en le martelant dans la tête de chacun par des campagnes publicitaires.

M. Tremblay affirme que, selon une étude, un nombre accru d’étudiants se sentent maintenant appuyés par leurs parents. En 1997, seulement 12,7 pour cent des étudiants du secondaire se sentaient entièrement appuyés dans leurs études par leurs parents, alors qu’en 2008, cette proportion atteignait 22 pour cent. Parallèlement, la proportion d’étudiants qui reçoit peu d’encouragement parental est passée de 20 pour cent à neuf pour cent au cours de la même période.

Michel Belley, recteur de l’UQAC, souligne que, malgré le nombre décroissant d’étudiants de niveau secondaire dans la région depuis une dizaine d’années, les effectifs étudiants de l’UQAC se maintiennent à environ 6 500. C’est en partie en raison du recrutement effectué dans d’autres régions du Québec et à l’étranger, mais aussi parce que les étudiants de la région sont de plus en plus qualifiés pour entrer à l’université. « Nous bénéficions du travail qui est fait en amont », poursuit-il.

L’Université a pour sa part investi dans le programme Opération réussite qui a pour objectif de maintenir aux études les étudiants inscrits. Carole Dion, doyenne des études au premier cycle à l’UQAC, raconte que des recherches ont été effectuées afin de déceler les causes de l’abandon et que toute une gamme d’initiatives a par la suite été élaborée pour y remédier. Le Centre de la communication orale et écrite ainsi que le programme Reconnaissance de l’implication des étudiants à la vie institutionnelle, qui reconnaît le bénévolat effectué dans le milieu universitaire, ont entre autres été mis sur pied. Le projet d’évaluation personnelle PROSPERE permet en outre à chaque nouvel étudiant à temps plein de connaître ses forces et ses faiblesses.

L’Université mise aussi sur le renforcement des compétences pédagogiques des professeurs, car on a remarqué que le manque de communication, ne serait-ce qu’avec un professeur, pouvait être à l’origine de l’abandon. « Il n’existe pas une seule et bonne façon d’aider les étudiants », explique Mme Dion, dont la thèse de doctorat portait justement sur le maintien aux études.

Les efforts déployés ont remporté un tel succès que la recette du Saguenay-Lac-St-Jean a inspiré l’an dernier la création, par le ministère de l’Éducation du Québec, d’une initiative provinciale de maintien aux études. Plus tôt cette année, le Secrétaire d’État chargé de l’Emploi auprès du ministre de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi de la France, Laurent Wauquiez, a rencontré M. Perron pour discuter de l’initiative. « Le modèle du CRÉPAS a essaimé », affirme M. Perron.

Est-il possible que la réussite du CRÉPAS soit telle qu’un jour on n’en ait plus besoin? Le ministère de l’Éducation du Québec vise à ce que, d’ici 2020, 80 pour cent des Québécois aient obtenu leur diplôme d’études secondaires avant l’âge de 20 ans, et M. Tremblay lance fièrement : « C’est notre région qui est la mieux placée au Québec pour atteindre cet objectif en premier. »

Même lorsque cet objectif sera atteint, il restera encore beaucoup à faire. Les cartes socioéconomiques créées par M. Perron indiquent un fossé entre les sexes qui laisse présager un autre problème grave : même si les taux d’abandon baissent, ils sont encore bien supérieurs chez les garçons que chez les filles. « Pour que les garçons se rendent à l’université, observe M. Perron, il faut d’abord qu’ils fréquentent le cégep, et pour cela, il faut qu’ils aient terminé leurs études secondaires. »

Tout le monde s’entend pour dire que le prochain défi à relever consistera précisément à réduire cet écart entre les garçons et les filles.

CRÉPAS

Mission et volets

Le Conseil regional de prevention de l’abandon scolaire (CRÉPAS) a installé ses bureaux dans une des tours jumelles du Cégep de Jonquière. L’organisation est d’abord et avant tout un facilitateur, explique Frédéric Tremblay, conseiller en communication pour le groupe. Il décrit les quatre volets du rôle du CRÉPAS :

  • Mobiliser: faire en sorte que tous les intervenants communiquent entre eux.
  • Promouvoir et sensibiliser: organiser annuellement une campagne de sensibilisation à la nécessité de terminer ses études.
  • Effectuer de la recherche et du transfert des connaissances: établir des preuves solides avant de s’attaquer à un problème.
  • Préparer et intervenir: cerner les problèmes spécifiques, comme les taux élevés de décrochage dans certaines régions rurales, et collaborer avec les gens de la collectivité
    pour trouver une solution.
Rédigé par
Daniel Drolet
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  1. Catherine Girard / 24 septembre 2010 à 14:19

    Le dynamisme et la passion de Monsieur Perron est sans contredit une source intarrissable d’inspiration pour la région du SLSJ. Parce que je m’intéresse au sujet de la scolarité et des conditions de vie chez les jeunes, je connais bien ses travaux et ses actions. J’aurais aimé lire le texte mais j’ai malheureusement buté sur la première phrase: « …cette région difficile d’accès… »??? À 100km/h, Chicoutimi est à environ 2hrs de Québec, sur une belle route avec tout plein de zones de dépassement. La Baie James est difficile d’accès. Blanc-Sablon est difficile d’accès. Le Maine est difficile d’accès si on a oublié son passeport. Montréal est difficile d’accès entre 7h et 9h. Dommage de débuter le portrait d’un homme si inspirant par un tel manque de jugement, un tel cliché.

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