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Où étiez-vous quand la pandémie a frappé?

Sept universitaires reviennent sur le moment où ils ont réalisé que le monde avait basculé.

par MOIRA MACDONALD | 30 JUIN 20

Journées épuisantes, insomnie, incertitude poignante et souci primordial du bien-être des étudiants, des professeurs et du personnel. Les universités ont été parmi les premières organisations à cesser leurs activités en personne et à recourir à l’enseignement à distance en réaction à la pandémie de COVID-19. Dans cette situation sans précédent, les universités ont montré ce dont elles sont capables. Les sept récits qui suivent nous proviennent de personnes occupant divers postes dans des universités de partout au pays. Ils témoignent de l’ingéniosité, de la ténacité et de la solidarité dont les administrateurs, professeurs, employés et étudiants ont fait preuve sur le plan personnel et communautaire pendant la période la plus éprouvante que ce milieu ait connue depuis des décennies. Nous avons posé à chaque personne les questions suivantes : Quand avez-vous constaté que la pandémie aurait des répercussions sur le milieu de l’enseignement supérieur et sur votre rôle? Comment avez-vous réagi? Quelle principale leçon en avez-vous tirée? Voici leurs réponses.

Danine Farquharson, doyenne associée, École des études supérieures, et professeure agrégée d’anglais, Université Memorial

Environ 40 pour cent de nos 4 000 étudiants aux cycles supérieurs proviennent de l’étranger. Ils nous ont fourni de précieux renseignements sur ce qui se passait sur le terrain dans les premiers jours de la pandémie. Au début de janvier, Andrew Kim, directeur des services d’inscription aux cycles supérieurs, était en contact avec un étudiant de la province du Hubei qui le tenait informé de la situation là-bas. Nous avions le pressentiment qu’une fois que des cas commenceraient à être recensés hors de la Chine, les risques de pandémie seraient énormes. Nous savions que la situation aurait des répercussions jusqu’ici.

Pour l’équipe de l’École des études supérieures, les étudiants et la sécurité ont toujours été la priorité. Du 13 mars jusqu’à la fin mars, nous avons répertorié les besoins des étudiants. Les besoins les plus urgents étaient surtout de nature financière. Notre doyenne, Aimée Surprenant, a décidé que les bourses seraient prolongées d’au moins un trimestre. La mise en place de cette mesure a exigé beaucoup de travail à l’interne.

Je m’occupe en partie de la présentation des mémoires et des soutenances de thèses. Nous avons dû organiser les soutenances à distance, même si les systèmes en ligne nous étaient peu familiers. Avec l’aide de deux membres du personnel, je me suis assurée que les documents se trouvaient sur des serveurs sécurisés et que seules les personnes autorisées y avaient accès. Nous avons aussi préparé un guide d’utilisation de la plateforme en ligne pour tous les participants. La pandémie nous a forcés à délaisser nos méthodes habituelles et à repenser chacune des étapes.

La dernière soutenance sur campus a eu lieu le 17 mars, et la première soutenance entièrement virtuelle, celle d’Augustine (AJ) Devasahayam, de la Faculté de médecine, s’est déroulée le 19 mars. C’était très angoissant. Je pense que j’étais plus nerveuse qu’AJ! Toutefois, je suis heureuse de dire que toutes les soutenances effectuées depuis se sont bien déroulées. Je suis très reconnaissante envers les étudiants, les directeurs et les examinateurs pour leur patience et leur générosité. Sans renoncer à leur rigueur et à leur intégrité, ils ont su rendre l’expérience aussi positive que possible dans les circonstances.

Robert Haché, recteur, Université Laurentienne

Nous avons créé un groupe d’intervention en cas de maladie infectieuse à la mi-janvier, lorsque la COVID-19 faisait la une en Chine, et nous nous sommes préparés à mettre notre plan d’intervention d’urgence en vigueur. Il nous est apparu clair – en partie grâce aux connaissances sur les rétrovirus que j’ai acquises au cours de ma carrière scientifique – que la nature de la transmission du virus constituerait le nœud du problème. Nous devions nous tenir prêts.

Le 10 mars en fin de journée, le service de santé publique de Sudbury a annoncé un premier cas : une personne travaillant dans un édifice du gouvernement provincial sur le campus et entretenant des liens avec des membres de notre université.

Nous avons immédiatement convoqué une réunion du groupe d’intervention. Après une réunion de deux heures et demie, il m’a semblé évident que nous devions réduire rapidement le nombre de personnes sur le campus. On m’a assuré que l’Université disposait des capacités techniques nécessaires pour offrir les cours à distance. Nous avons immédiatement annulé les cours en classe, et les cours à distance ont commencé le lendemain.

Au début, nous avons tenu des réunions quotidiennes avec des dirigeants de l’Université. Nous avons aussi beaucoup réfléchi aux façons d’offrir d’autres moyens de formation valables aux étudiants qui participent à des activités et à des travaux pratiques hors campus dans le cadre de leur programme d’études. Nous avons examiné la situation sous toutes ses facettes : ce qu’il se passait, ce que nous pouvions faire, comment les étudiants réagissaient, comment nous pouvions aider les étudiants et les professeurs et comment offrir notre soutien aux hôpitaux de la région et au service de santé publique.

La décision précoce de fermer le campus était risquée – nous étions la première université publique canadienne à le faire – mais nous pouvions rouvrir les classes au besoin, sachant que nous avions pris la meilleure décision selon l’information dont nous disposions. J’ai découvert l’importance de la communication. Je crois que si nous n’avions pas agi avec transparence et transmis à la collectivité le plus de renseignements possible, nous n’aurions pas eu une réaction aussi positive dès le premier jour.

Jason Kindrachuk, professeur adjoint, pathogenèse virale, Département de microbiologie médicale, Université du Manitoba

J’ai eu mon premier moment d’angoisse à la fin du mois de janvier. Je dirigeais un programme de sensibilisation aux sciences pour les étudiants de Nairobi, dans le cadre d’une collaboration que j’entretiens avec des partenaires du Kenya afin de préparer le pays à intervenir en cas d’épidémie virale, et de détecter les complications à long terme des survivants du virus Ebola. Alors que le confinement s’accélérait en Chine, le malaise face à la position précaire de l’Afrique advenant une propagation rapide de la COVID-19 en Asie s’intensifiait. Tout au long du mois de février au Laboratoire de recherche sur les virus émergents et réémergents, nous avons discuté des conséquences d’une telle propagation en Amérique du Nord. Pour nous, le moment déterminant s’est produit le 29 février lorsque l’État de Washington a décrété l’état d’urgence.

Notre laboratoire s’est penché sur la manière de se préparer à une fermeture prolongée. Ma principale préoccupation était de rassurer les étudiants devant l’incertitude. Nous savions qu’en cas de fermeture pendant une période indéterminée, les étudiants ne pourraient continuer leurs travaux de laboratoire, mais je leur ai assuré que leur temps et leurs allocations seraient protégés. J’ai aussi eu le privilège d’utiliser ma voix et mon expertise pour informer la population sur la COVID-19 dans les médias. J’ai eu la possibilité de redonner à la collectivité, entre autres par mes connaissances et en participant au dialogue, et je l’ai fait avec beaucoup d’humilité.

La plus grande leçon que j’ai tirée à ce jour est la suivante : concernant les virus émergents, il faut continuer à prévoir l’imprévisible. Les virus se propagent depuis longtemps dans la nature, mais nous ne sommes pas encore capables de prévoir leur comportement précis après leur émergence. Aussi, j’ai été épaté par la réaction des chercheurs du monde entier, qui ont utilisé les médias sociaux et la technologie pour transmettre de l’information sur leurs travaux, indépendamment des divergences politiques ou sociales. Je suis fier de participer à cet effort.

Brian Lamb, directeur, Technologie de l’apprentissage et innovation, Université Thompson Rivers

J’étais en vacances au Mexique à la mi-février lorsque j’ai entendu parler de la fermeture des écoles internationales en Chine. Je me suis rappelé que pendant l’épidémie de SRAS, alors que j’étais rattaché à un autre établissement, j’avais proposé à mon équipe de préparer des plans d’urgence. À mon retour au travail le 5 mars, nous savions que des campus allaient fermer aux États-Unis, y compris dans l’État de Washington, et nous nous sommes sérieusement préparés à cette éventualité.

Notre équipe a accéléré la mise à niveau prévue des systèmes. Nos collègues des TI ont augmenté considérablement notre capacité informatique. À l’intention des chargés de cours, nous avons créé des sites d’aide et des tutoriels pour différentes plateformes en ligne d’enseignement, de réunion et de vidéo. Avec d’autres départements et membres du personnel, nous avons lancé la ressource virtuelle Pivot to Digital, qui propose des stratégies d’enseignement, d’apprentissage et d’évaluation en ligne sous l’angle des services aux étudiants. Lorsque la suspension des cours en classe a été annoncée le 15 mars, nous étions terrifiés pour la suite, mais nous savions que nous nous étions préparés de notre mieux.

Nous avons organisé des séances d’aide en ligne sans rendez-vous. Nous avons créé les « Faculty Avengers », un groupe d’utilisateurs aguerris chargés d’aider leurs pairs et de nous communiquer les problèmes sans tarder. Nous avons configuré une plateforme interne de gestion du travail et lancé notre division de l’apprentissage ouvert de façon que le personnel soit prêt à faire du télétravail.

Le rythme de travail était effréné. Mike Caulfield, directeur de l’apprentissage mixte et de l’apprentissage en réseau à l’Université de l’État de Washington à Vancouver, a déclaré à peu près ceci : « En ce moment, être technicien en éducation équivaut à se lever tous les matins dans un appartement inondé après un refoulement d’égouts. » Il a raison, sauf que le problème change chaque jour et demeure imprévisible.

J’ai appris qu’aucune technologie ou ressource ne peut remplacer une équipe de collaborateurs compétents et passionnés. La détermination et l’attention démontrées par mes collègues et partenaires de l’Université ont été une source d’inspiration, même dans les pires moments.

Kim Lavoie, professeure, Département de psychologie, Université du Québec à Montréal, et codirectrice du Centre de médecine comportementale de Montréal

Notre domaine de recherche, à mon mari [Simon Bacon, de l’Université Concordia] et à moi, est la médecine comportementale, qui consiste à prévenir les maladies en favorisant l’adoption de comportements pouvant exiger des sacrifices. Nous avons donc eu le virus à l’œil dès que la nouvelle d’une épidémie en Chine a commencé à s’ébruiter. Un matin de février, j’ai mentionné que tous les efforts pour l’endiguer étaient de nature comportementale et que nous devrions examiner la question. Mon mari m’a répondu que nous avions déjà beaucoup de travaux en cours, ce qui était le cas, même si nous étions en année sabbatique.

Au moment de la relâche scolaire à la fin de février, nous soupçonnions que le virus pourrait avoir d’énormes répercussions. Nous avons fermé notre laboratoire le 12 mars. Les écoles et les universités ont fermé le lendemain soir. Le 18 mars, au réveil, j’ai dit à mon mari : « Nous devons faire quelque chose ». Le lendemain, nous avons rédigé une ébauche de proposition. Nous avons créé un sondage, l’avons mis à l’essai, et avons procédé à son lancement le 27 mars; une soixantaine de chercheurs du monde entier souhaitaient collaborer avec nous. Depuis, ce nombre a plus que doublé.

Le sondage, qui fait partie de l’étude iCARE (International COVID-19 Awareness and Responses Evaluation), vise à recueillir des données sur les attitudes et les comportements liés à la COVID-19. Nous avons été stupéfaits de la réaction. Pendant la phase 1, nous avons reçu plus de 35 000 réponses provenant de 143 pays. La phase 2 de l’étude devait commencer en mai. Nous travaillons maintenant à offrir les données en libre accès.

Nous sommes impressionnés par l’accueil que le milieu international de la recherche a réservé à notre étude, et nous lui sommes reconnaissants de l’aide efficace qu’il nous a rapidement apportée. L’étendue de la pandémie m’a aussi fait réfléchir aux priorités du milieu de la recherche et au fait que certains sujets auxquels nous avons consacré beaucoup de temps ont peut-être moins d’importance que nous ne le pensions.

Mery Mendoza Rengifo, présidente de l’Association des étudiants et étudiantes des 2e et 3e cycles (2019-2020), et doctorante au département de géologie de l’Université de la Saskatchewan

J’ai pris conscience de l’incidence de la COVID-19 le 9 mars, à mon retour d’un voyage de recherche d’une semaine à San Francisco. Il régnait une atmosphère tendue à l’Université et à Saskatoon. Mais ce n’est que le 16 mars, quand l’Université a annoncé la fermeture du campus jusqu’à nouvel ordre, que la gravité des conséquences de la pandémie sur le milieu universitaire, et sur les travaux de recherche, m’est apparue. Les travaux universitaires et de recherche étaient paralysés, ce qui nuisait grandement au transfert mondial des connaissances.

Mes travaux portent sur les mécanismes responsables de la toxicité du mercure. Pour les poursuivre, j’ai besoin du laboratoire et des installations de recherche sur le campus, où se trouve une source spéciale de lumière appelée synchrotron. J’utilise cet appareil pour étudier l’effet neutralisant du sélénium sur le mercure à l’échelle moléculaire. Ma capacité de mener à bien mes expériences est donc au point mort, ce qui me stresse beaucoup.

De nombreux étudiants aux cycles supérieurs se trouvent dans la même situation. À titre de présidente de l’Association des étudiants et étudiantes des 2e et 3e cycles (GSA), j’ai reçu plusieurs courriels d’étudiants inquiets. Le 6 avril, la GSA a écrit à la haute direction pour demander qu’un soutien soit offert aux étudiants aux cycles supérieurs. L’administration a répondu à certaines de nos demandes, et nous continuons à promouvoir les intérêts des étudiants. Nous avons aussi approuvé la mise en œuvre du service Empower Me, grâce auquel nos étudiants peuvent obtenir à distance du counseling et un soutien en santé mentale, indispensables en ce moment.

En tant qu’étudiante étrangère du Pérou, j’ai beaucoup de mal à composer avec la situation loin de ma famille. Cette expérience m’a montré l’importance du soutien familial, communautaire ou autre pour aider les étudiants à traverser les situations difficiles.

Wisdom Tettey, vice-recteur et principal, Université de Toronto à Scarborough

À la fin décembre, nos étudiants qui se trouvaient en Chine et nos équipes de recrutement nous ont alertés de l’éclosion à Wuhan et des éventuelles répercussions sur leurs projets. Nous étions aussi en contact avec les écoles partenaires de notre programme de recrutement en Chine et avec d’autres établissements canadiens d’enseignement postsecondaire, tout en tenant compte des conseils des gouvernements du Canada, des autorités de santé publique et de nos propres experts. Ainsi, nous avons pu prévoir les conséquences de la pandémie sur nos activités et nous y préparer.

Au début de l’année, alors qu’une crise majeure devenait inévitable, nous avons appliqué les protocoles d’urgence et de gestion de crise en place depuis une dizaine d’années. Vers la mi-janvier, l’Université a formé une équipe de gestion des incidents, composée de hauts dirigeants qui ont supervisé la planification des opérations sur les trois campus de l’Université, y compris le nôtre. Sur notre campus, une équipe d’intervention d’urgence guidait la planification de la continuité des affaires et de l’enseignement, la gestion de crise et la mise en œuvre des protocoles de santé, de sécurité et de recherche.

Au plus fort de la crise en mars, notre priorité était d’aider les étudiants et les professeurs à finir le trimestre. D’immenses efforts ont été déployés, et de nombreuses équipes ont travaillé sans relâche. Environ 6 000 cours de l’Université ont été déplacés en ligne entre le 13 et le 16 mars. Nous avons fourni un accès aux ressources Internet aux étudiants qui n’en avaient pas. Nous avons organisé le retour à la maison des étudiants en résidence et veillé au bien-être de ceux qui devaient rester. Nous avons aussi créé un fonds d’aide pour permettre aux étudiants de subvenir à leurs besoins urgents. Les services, y compris les services médicaux et de counseling ont été augmentés au centre de santé et de bien-être.

J’ai constaté l’importance de bien se préparer avant le début d’une crise. Grâce à notre cadre de préparation aux situations d’urgence, nous avons pris des décisions éclairées dans des circonstances extrêmes.

Rédigé par
Moira MacDonald
Moira MacDonald est journaliste à Toronto.
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