Lorsque Bob Mcginnis est devenu directeur général de Brown Bagging for Calgary’s Kids (ou BB4CK) en 2005, l’organisation caritative était dans un état désastreux. Elle cumulait des dettes de près de 40 000 $ et devait compter sur la générosité d’un seul donateur pour payer les produits d’épicerie et les autres factures. Elle n’avait ni vision claire ni valeurs propres et, pire encore, ses actions allaient exactement à l’encontre de sa mission visant à empêcher les jeunes de se retrouver dans la rue : ses services encourageaient plutôt les jeunes sans-abri à y rester. De plus, l’organisation ne servait que 300 repas par semaine aux enfants démunis. Elle était constamment en pénurie puisque ses ressources étaient insuffisantes.
« C’était une petite organisation en difficulté. Un gestionnaire aurait tout de suite constaté qu’il existait un besoin urgent de changer. Lorsque je suis arrivé en août 2005, j’ai été en mesure d’amorcer des changements progressifs continus », raconte M. McGinnis.
Quatre ans plus tard, BB4CK sert 15 000 repas chaque semaine. L’organisation possède une mission claire et un ensemble de valeurs propres ainsi que de nombreux bailleurs de fonds qui lui ont permis, malgré la récession, de terminer l’année 2009 avec un excédent sans avoir eu recours au financement public.
Vétéran du secteur des organisations à but non lucratif et fort d’une longue expérience comme gestionnaire de services internationaux et de reprise après sinistre pour la Croix-Rouge, M. McGinnis a mis son expérience à profit pour redresser l’organisation. Il attribue toutefois cette réussite en grande partie à l’éducation et à la formation qu’il a reçues lorsqu’il est retourné à l’école à l’âge de 48 ans pour suivre le programme de baccalauréat en administration des affaires pour les organisations à but non lucratif à l’Université Mount Royal de Calgary. Il affirme que sa formation l’a aidé à créer une structure organisationnelle adéquate, à établir un ensemble d’objectifs précis, à comprendre les états financiers de l’œuvre caritative et à mettre en place un modèle de financement éprouvé, entre autres choses.
Concernant sa décision de retourner aux études, M. McGinnis affirme : « J’ai compris que la passion que j’éprouvais pour mon travail ne suffisait pas. » Il souhaite qu’un plus grand nombre de dirigeants de petites et moyennes organisations à but non lucratif suivent le même parcours. « Les directeurs généraux dirigent souvent les activités de leur organisation avec leur cœur. Cependant, je crois que nous devons gérer nos organisations avec notre cœur et notre tête. »
La nécessité d’allier passion et professionnalisme est devenue particulièrement importante au cours des trente dernières années, alors que le secteur bénévole a connu une période de forte croissance. D’après Statistique Canada, le secteur des organisations à but non lucratif représente actuellement 7,1 pour cent de l’économie canadienne. Selon les plus récentes données accessibles, le PIB de ce secteur était de 80,3 milliards de dollars en 2003. Bien que ce soit difficile à croire, cette proportion est supérieure à celle des secteurs de l’agriculture et de la construction de véhicules combinés. Le secteur des organisations à but non lucratif compte 1,2 million de travailleurs salariés, soit plus de 7 pour cent de la main-d’œuvre du pays.
Owen Charters, directeur général de CanaDon, un portail en ligne qui a recueilli plus de 100 millions de dollars pour des milliers d’œuvres caritatives canadiennes depuis sa fondation il y a 10 ans, constate que la perception du public ne correspond plus à la réalité. Malgré le fait que de nombreuses organisations à but non lucratif soient devenues complexes et disposent de milliards de dollars, « dans ce secteur, on nous perçoit encore comme des personnes simples, naïves et candides qu’on se plaît à aimer, déclare M. Charters. Toutefois, cette image est défavorable, car il faut que les gens sachent que ce secteur doit être géré par des professionnels; la gestion ne peut être confiée à un bénévole bien intentionné qui travaille trois heures par semaine sur le coin de sa table de cuisine. »
Kathy Brock, professeure à l’école d’études des politiques de l’Université Queen’s et l’une des plus éminentes spécialistes du secteur bénévole au Canada, remarque que la nature des organisations à but non lucratif a commencé à se transformer sérieusement au début des années 1980. Au cours de cette période, les gouvernements conservateurs du Canada, des États-Unis et du Royaume-Uni ont entrepris de transférer de plus de plus de responsabilités au secteur privé et au secteur des organisations à but non lucratif. Au même moment, un nombre accru de citoyens ont été touchés par les compressions et ont commencé à utiliser davantage les services des organisations à but non lucratif et à tirer profit de leurs activités de promotion d’intérêts. À mesure que ces organisations gagnaient en influence, elles se sont mises à exiger une participation à l’élaboration des politiques. Leur rayonnement s’est également accéléré à l’aube de l’ère numérique. « L’avènement de l’informatique et d’Internet a permis aux organisations de différents pays d’apprendre les unes des autres et d’échanger entre elles », constate Mme Brock.
En plus du programme de baccalauréat de l’Université Mount Royal, il existe, dans d’autres universités, plusieurs programmes menant à un grade, à un certificat ou à un diplôme qui portent sur la gestion des organisations à but non lucratif. On en compte entre autres à l’UQAM et aux universités de Regina, de Sherbrooke, de Montréal, de Moncton, de Toronto, Western Ontario et Dalhousie. De nouveaux programmes sont également créés. L’école d’administration publique de l’Université de Victoria lancera bientôt un programme en ligne de maîtrise en développement communautaire pour les professionnels en poste.
En 1983, l’école d’administration Schulich de l’Université York a été parmi les premières au Canada et au monde à offrir un programme de certificat dans ce secteur, qui est ensuite devenu le premier programme de MBA en gestion des organisations à but non lucratif au pays. (L’Université Trinity Western offre aussi un MBA spécialisé dans la gestion des organisations publiques et à but non lucratif.) À l’école d’administration Schulich, les étudiants en gestion des organisations à but non lucratif apprennent les mêmes notions fondamentales (comme le marketing et la finance) que leurs pairs du MBA régulier, mais se concentrent sur le secteur bénévole en suivant des cours optionnels par la suite. Brenda Gainer, directrice du programme, précise qu’il s’agit d’un vrai programme de MBA et que les étudiants qui choisissent le profil axé sur les organisations à but non lucratif reçoivent une éducation rigoureuse en gestion et en leadership.
Les étudiants de ce volet suivent des cours spécialisés en matière de promotion d’intérêts et de marketing social et explorent des va-leurs différentes non axées sur les profits ainsi que des théories très intéressantes. « Certains se demanderont si le marketing est nécessaire lorsqu’on ne recherche pas la rentabilité », mentionne Mme Gainer. Elle explique que recueillir des ressources auprès de certains groupes pour ensuite les attribuer à d’autres ajoute à la complexité des opérations. « Je crois que le marketing à but lucratif est beaucoup plus simple que le marketing à but non lucratif. »
Christina Topping, diplômée de l’école d’administration Schulich et actuellement vice-présidente du marketing et des communications de la filiale canadienne du Fonds mondial pour la nature, affirme que les cours qui portent sur la complexité du secteur des organisations à but non lucratif étaient très utiles. « Les résultats diffèrent de ceux des entreprises et sont envisagés autrement, mais quel que soit le secteur, il faut savoir gérer ses objectifs. »
Les étudiants de ce secteur sont généralement plus âgés et se trouvent en milieu de carrière. Certains occupent déjà des postes de dirigeants dans ce milieu et souhaitent améliorer leurs compétences; d’autres présentent un parcours plus traditionnel dans le monde des affaires. Cependant, actuellement, un nombre croissant d’étudiants s’inscrivent aux programmes de premier cycle immédiatement après leurs études secondaires ou proviennent d’un autre secteur.
Le BAA axé sur les organisations à but non lucratif de l’Université Mount Royal est très apprécié, selon le directeur du programme, Keith Seel. Les nouveaux diplômés trouvent facilement un emploi de cadre intermédiaire ou supérieur dans le secteur. « Je n’ai jamais entendu parler d’un diplômé qui n’a pas trouvé d’emploi », ajoute-t-il.
M. Charters a été recruté par le secteur bénévole avant même d’avoir terminé son programme à l’école d’administration Schulich. Il a suivi les cours de sa deuxième et dernière année tout en travaillant à temps plein comme coordonnateur des relations avec les donateurs pour Dystrophie musculaire Canada. Il est rapidement devenu directeur national du marketing et du développement, puis vice-président du développement pour la Fondation Sunnybrook et ensuite directeur général de CanaDon.
Il affirme que, en plus de lui avoir enseigné à lire des bilans et à améliorer ses compétences en analyse et en stratégie, sa formation professionnelle à l’école d’administration Schulich lui a permis d’apprendre une nouvelle langue. « Savoir parler le même langage que les financiers, qu’il s’agisse des vérificateurs ou des collègues, constitue un réel avantage », déclare-t-il.
M. Charters espère que tous ces progrès permettront de modifier la perception publique du secteur bénévole qui y gagnera ainsi en respect.
« C’est un secteur immense du point de vue du travail accompli et du rayonnement. On parle ici non seulement de vies humaines, mais aussi d’influence politique à différents ordres de gouvernement. Ce secteur détient un pouvoir incroyable et façonne la société canadienne. Néanmoins, pour une raison inconnue, les gens présument que les organisations à but non lucratif sont gérées par des bénévoles bienveillants qui travaillent dans leur sous-sol. »