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Que signifie le portrait changeant du financement philanthropique pour les universités?

Certaines universités bénéficient de dons records, mais il est important de faire preuve de transparence pour éviter les malentendus.
par MARK CARDWELL
28 JUIN 22

Que signifie le portrait changeant du financement philanthropique pour les universités?

Certaines universités bénéficient de dons records, mais il est important de faire preuve de transparence pour éviter les malentendus.

par MARK CARDWELL | 28 JUIN 22

Le don de quatre millions de dollars de Bill Tatham qui a servi à la construction du bâtiment qui porte son nom, et qui abrite le plus important service d’enseignement coopératif universitaire au Canada, n’est pas, aux yeux du donateur, le plus beau cadeau qu’il ait fait à l’Université de Waterloo. Pas plus que le million de dollars qu’il a donné plus tard pour l’aménagement d’un nouveau salon étudiant.

Ce titre revient plutôt aux 1 000 dollars versés il y a quelques années, dans le cadre d’une campagne de financement étudiante visant à rénover les postes d’étude de la bibliothèque des arts de son alma mater. « Ça m’a absolument ravi », assure ce diplômé de l’Université de Waterloo, qui a fait carrière dans la conception et le développement de systèmes informatiques pour les entreprises après avoir trouvé sa vocation lors d’un stage coop chez IBM au début des années 1980. Il a ensuite fondé Janna Systems, une entreprise de logiciels pour les services financiers, qu’il a vendue pour plus de 1,76 milliard de dollars en 2000.

M. Tatham se souvient avoir passé un nombre incalculable d’heures à un espace de travail précis à la bibliothèque de l’établissement. Ce même espace a par la suite été utilisé par ses trois enfants lors de leurs études à l’Université de Waterloo. « C’est là que je me réfugiais sur le campus, surtout par les grands froids de l’hiver, quand j’avais des cours à plusieurs heures d’intervalle, se rappelle-t-il. Il m’a épargné de longues marches le long d’un chemin de fer abandonné pour rentrer chez moi. »

Pour lui, la philanthropie permet d’investir dans des lieux, des établissements et des causes qui profitent à l’ensemble de la société et améliorent la vie de nombreuses personnes, dont la sienne. « Je veux apporter ma contribution, confie-t-il. Ça me remplit de joie de voir les retombées et les réactions positives suscitées par mes cadeaux. »

Le milieu de l’enseignement postsecondaire met de plus en plus d’énergie à la recherche de financement auprès de philanthropes comme M. Tatham. Les subventions et les dons provenant de particuliers ou d’organisations, qu’ils soient en argent, en biens, en oeuvres d’art ou en équipement, sont devenus essentiels pour appuyer et stimuler la vitalité de l’enseignement et de la recherche.

Au Canada, en 2021, plus de 250 000 donateurs privés, fondations, fiducies, sociétés et autres groupes ont versé plus de 1,7 milliard de dollars à des établissements d’enseignement postsecondaire, ce qui représente environ 1 700 dollars par étudiant à temps plein. C’est ce qui ressort d’une enquête réalisée par le Conseil canadien pour l’avancement de l’éducation, en collaboration avec le Conseil pour l’avancement et le soutien en éducation, son équivalent américain.

Mené auprès de 54 universités, collèges et instituts canadiens (dont plusieurs des plus grands établissements), ce sondage est le plus récent et le plus complet sur la question du financement philanthropique de l’enseignement supérieur au pays. Il nous apprend aussi qu’un quart de cette somme était destiné à l’aide financière pour les étudiants, un autre quart aux programmes de recherche, et un troisième quart aux projets d’immobilisations.

« Le financement public et les droits de scolarité financent nos activités principales, mais ce sont les dons qui nous permettent de maintenir la qualité d’enseignement qui fait notre renommée et de poursuivre notre quête d’excellence. Comme dans toutes les universités canadiennes, la recherche de financement appuie directement notre mission. »

Selon Statistique Canada, les fonds publics constituent toujours la plus grande part des revenus des universités et des collèges décernant des grades universitaires, soit 46 %, suivis des droits de scolarité, qui comptent pour 29 %. Mais dans le contexte d’une diminution du financement public et d’une augmentation des coûts de fonctionnement, les dons privés deviennent plus cruciaux que jamais.

Comme le Canada d’aujourd’hui recèle une richesse méconnue, on y dénombre plus de 50 milliardaires et 1,7 million de millionnaires, la plupart des universités ont donc mis sur pied des services de développement, qui tissent et entretiennent des liens avec des donateurs de tous les horizons, en particulier ceux qui ont les moyens d’investir de très grosses sommes pour financer des projets d’envergure.

« Notre université a affecté 330 personnes à cette tâche, précise David Palmer, vice-recteur au développement à l’Université de Toronto. C’est énorme. Le financement public et les droits de scolarité financent nos activités principales, mais ce sont les dons qui nous permettent de maintenir la qualité d’enseignement qui fait notre renommée et de poursuivre notre quête d’excellence. Comme dans toutes les universités canadiennes, la recherche de financement appuie directement notre mission. »

En 2021, l’Université de Toronto a récolté 445 millions de dollars en dons de bienfaisance, une somme que le vice-recteur qualifie de « sans précédent » dans le milieu universitaire canadien. Environ les deux tiers proviennent de plus de 21 000 donateurs, dont la grande majorité a donné entre 5 et 5 000 dollars par versements ponctuels ou réguliers.

Ce résultat record s’inscrit dans la foulée de la campagne Boundless, qui a permis à l’Université d’amasser 2,64 milliards de dollars entre 2011 et 2018. C’est sans compter la somme faramineuse de 250 millions de dollars remise en 2020 par James et Louise Temerty, deux philanthropes qui n’ont pas fréquenté l’établissement. Leur contribution servira, entre autres, à la création d’un centre de recherche sur l’intelligence artificielle dans le secteur de la santé au sein de la faculté de médecine rebaptisée en leur honneur. Il s’agit du plus important don du genre dans l’histoire du Canada, dépassant le don de 200 millions de dollars reçu par l’Université McGill en 2019.

Au cours des derniers mois, l’Université de Montréal a également inscrit son nom au tableau des bénéficiaires de dons de grande envergure. En février et avril derniers, coup sur coup, l’établissement a reçu deux dons qualifiés d’« historiques » s’élevant respectivement à 40 millions de dollars et à 159 millions de dollars. Provenant de la Fondation Courtois, le plus récent don, qui est aussi le plus important jamais accordé en sciences naturelles au Canada, servira à créer l’Institut Courtois qui se concentrera sur la recherche portant sur les propriétés de la matière.

Nourrir les relations

Selon M. Palmer, c’est en nouant et en entretenant des relations avec les diplômés et les donateurs potentiels attachés à l’établissement (pour des raisons personnelles ou d’affaires) qu’on crée les meilleures conditions pour récolter des dons importants et répétés.

« Les données sont éloquentes, soutient-il. Il faut prendre le temps d’apprendre à connaître nos donateurs potentiels, et entretenir ces liens pour recevoir des dons, en particulier pour les dons qui atteignent les centaines de millions. Quand on donne, c’est qu’on veut faire changer les choses. Les donateurs sont souvent intellectuellement ou personnellement attachés à des causes comme la lutte contre les changements climatiques, l’avenir des villes ou l’équité sociale, autant de problèmes complexes qui nécessitent des solutions tout aussi complexes. Les grandes universités comme la nôtre, qui regorgent de talents et de ressources dans de nombreux domaines, et dont l’expertise est reconnue dans le monde, constituent des pôles idéaux pour s’attaquer à ces questions. Si on arrive à être sur la même longueur d’onde et à démontrer aux donateurs l’étendue des retombées potentielles de leur financement, alors on peut s’entendre sur des sommes importantes. »

Heather McCaw abonde dans le même sens. Vice-rectrice au développement et aux relations avec les diplômés de l’Université de la Colombie-Britannique, elle constate que la plupart des particuliers qui contribuent aux quelque 210 millions de dollars de dons reçus annuellement par l’établissement sont poussés par le désir de faire avancer la recherche et de soutenir la communauté étudiante dans des domaines qui correspondent à leurs objectifs philanthropiques. « Ces personnes veulent contribuer au changement, assure-t-elle. Environ 40 % des dons vont donc à la recherche. »

« Les donateurs qui soutiennent la communauté étudiante sont emballés par l’idée de rendre les études supérieures accessibles au plus grand nombre. Souvent, ils ont eux-mêmes bénéficié de bourses au cours de leurs études et veulent rendre la pareille. »

L’aide financière à la population étudiante n’en profite pas moins : elle obtient 45 % des sommes recueillies. « Les donateurs qui soutiennent la communauté étudiante sont emballés par l’idée de rendre les études supérieures accessibles au plus grand nombre. Souvent, ils ont eux-mêmes bénéficié de bourses au cours de leurs études et veulent rendre la pareille. »

Mme McCaw cite plusieurs initiatives financées par des dons, parmi lesquels un projet pilote de programme de bourse, qui offre une aide financière et d’autres formes de soutien à 13 personnes noires inscrites au premier cycle. Né d’un don testamentaire, ce programme renouvelable viendra en aide à 100 étudiants sur une période de quatre ans. « Notre mission consiste aussi à offrir des chances égales à toutes les personnes, en favorisant l’équité, la diversité et l’inclusion », rappelle la vice-rectrice. L’Université de la Colombie-Britannique transmet également à ses donateurs des rapports détaillant l’utilisation de leurs dons. « Nous maintenons un contact régulier avec eux, poursuit-elle. Le donateur d’aujourd’hui est souvent celui de demain. »

Savoir éviter les écueils

Cela dit, il arrive que les attentes du donateur par rapport à un don important soient mal comprises, et que ce malentendu se mue en problème. Ce fut le cas en 2014, lorsque Peter Allard, avocat à Vancouver, a fait à l’Université de la Colombie-Britannique un don de 30 millions de dollars assorti d’un certain nombre de conditions, notamment celle de renommer la Faculté de droit en son honneur. Au bout de cinq ans, il a présenté une requête à la Cour suprême de la Colombie-Britannique afin que son nom apparaisse sur tous les diplômes en droit de l’Université, requête finalement rejetée en 2021. Néanmoins, Mme McCaw voit dans ce litige une mise en garde contre le manque de clarté relativement aux attentes et à l’affectation des fonds. « N’oublions pas que les parties ont des points de vue différents, prévient-elle. Nous devons prendre le temps de régler les moindres détails du don pour lever toute éventuelle ambiguïté. »

David Robinson, directeur général de l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université, affirme qu’une relation de longue date s’est établie entre philanthropie et universités. Or, les dons peuvent compromettre la liberté académique, l’autonomie et l’intégrité universitaires lorsqu’ils sont motivés par le désir d’influence.

« Il est essentiel d’établir des politiques et procédures spécifiques aux dons », souligne-t-il, citant plusieurs différends ayant opposé des universités canadiennes à leurs bienfaiteurs ces dernières décennies. Il recommande aux universités,u pour éviter tout problème, d’élaborer des lignes directrices protégeant leur liberté académique et leur autonomie institutionnelle, comme l’a fait le bureau du provost de l’Université de Toronto en novembre dernier.

M. Robinson déplore par ailleurs que les grands établissements d’enseignement supérieur, qui jouissent d’une forte notoriété, se taillent la part du lion du financement privé. « Face à la baisse du financement public, les universités cherchent à combler le manque à gagner par les revenus issus des étudiants étrangers et des dons. Les petits établissements régionaux risquent de ne pas pouvoir suivre la
cadence », regrette-t-il.

Brigitte Alepin, professeure en fiscalité de l’Université du Québec en Outaouais, reconnaît que cette menace est bien réelle au Québec. Les dons de bienfaisance que recueillent les 18 universités de la province ne sont pas pris en compte dans la répartition de l’enveloppe de fonds publics.

« Cette injustice creuse les écarts entre les établissements », fait remarquer celle qui réclame depuis longtemps une enquête publique à ce sujet. Selon elle, le gouvernement du Québec empire les choses en versant aux universités l’équivalent du montant des dons recueillis, dons qui procurent aussi aux donateurs un crédit d’impôt (ou, dans le cas d’entreprises, uner déduction fiscale) à hauteur d’environ 50 %. Ces avantages fiscaux représentent un important financement public indirect, qui n’a jamais été pris en compte jusqu’ici dans les pourparlers entre le gouvernement et les universités pour la distribution des fonds.

Dans le milieu universitaire francophone du Québec, il était d’usage de trouver du financement auprès du gouvernement et de l’Église catholique. La philanthropie est une source de revenus relativement nouvelle et peu exploitée, qui commence toutefois à rapporter beaucoup. Un sujet qu’a d’ailleurs abordé le ministre québécois de l’Économie et de l’Innovation, Pierre Fitzgibbon, lors du dévoilement de l’important don de la Fondation Courtois à l’Université de Montréal. Celui qui a qualifié le don de 159 millions de dollars de « geste d’une grande générosité » s’est empressé de préciser qu’il aimerait que « ce genre de bonne nouvelle » arrive plus fréquemment. « Je souhaite que cette pratique encore trop peu répandue se propage et fasse
des petits », a-t-il affirmé sans détour.

Même si la philanthropie se fait encore rare, l’Université Laval a amassé depuis sa fondation des millions de dollars dans le cadre de sept grandes campagnes de financement, qui ont servi à propulser l’établissement vieux de 170 ans en un pôle de recherche de classe mondiale.

« Pour rester à l’avant-garde, l’Université Laval doit continuellement se réinventer, notamment en créant de nouveaux programmes d’enseignement et de recherche », note Alain Gilbert, président-directeur général de la Fondation de l’Université Laval, qui gère les activités de développement.

Selon lui, les dons de bienfaisance aident son établissement, la plus ancienne université francophone en Amérique du Nord, à moderniser ses installations et son équipement, en vue d’attirer et de fidéliser les meilleurs talents. « C’est d’autant plus vital depuis le début de la pandémie en 2020, précise-t-il. Notre communauté de recherche a grandement contribué à trouver des solutions pour limiter la propagation de la COVID-19 et à évaluer les conséquences de la crise sur le système de santé public, l’économie et la population. »

Rompue aux campagnes de financement, Lisa Browne a été nommée première vice-rectrice au développement à l’Université Memorial en juin dernier. Elle soutient que l’unique université de Terre-Neuve-et-Labrador inspire du respect et de l’attachement à toute la population de la province, et pas seulement aux personnes qui l’ont fréquentée. Elle espère pouvoir transformer cette affection en financement.

« Notre mission consiste à soulever l’enthousiasme des donateurs, en leur expliquant ce à quoi servira leur argent – une bourse d’études, un centre d’entrepreneuriat ou autre chose, dit-elle. Nous déployons beaucoup d’efforts dans nos relations avec les diplômés, pour leur donner la chance de s’impliquer et de nous mettre en contact avec d’autres donateurs potentiels. »

C’est d’ailleurs dans le cadre d’une initiative du même genre que M. Tatham a fait un premier don à son alma mater, après ce qu’il appelle sa « liquidation » – la vente de son entreprise pour plus d’un milliard de dollars – qui l’a laissé sans emploi, mais fabuleusement riche. « J’ai eu la chance d’avoir un ami au conseil d’administration de l’Université de Waterloo et un oncle particulièrement altruiste, explique-t-il. Ce sont eux qui m’ont fait comprendre l’importance de redonner à la communauté. »

De plus, sa fibre philanthropique a particulièrement été titillée par l’accueil réservé à son allocution pour l’inauguration du Centre William M. Tatham. « Mes anciens professeurs m’ont souligné toute leur fierté de voir un ancien étudiant poser un tel geste. » Par la suite, il a contribué aux quelque 60 millions de dollars recueillis pour un projet de l’Université York en organisant des soupers à sa résidence torontoise. Des expériences qui lui ont inspiré une grande fierté, et le désir d’en faire encore plus.

Rédigé par
Mark Cardwell
Journaliste chevronné et auteur, Mark Cardwell est établi dans la région de Québec.
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  1. Sylvain Marois / 30 juin 2022 à 08:57

    Bonjour,

    Bel article, mais un peu naïf il me semble. Outre un ou deux exemples de légères dérives, le texte ne questionne pas la diminution du financement public, ni l’influence directe de la philanthropie sur les chercheurs (ou leurs résultats de recherche). La course effrénée à ce type de financement privé (avec l’embauche de centaines de personnes pour recruter et séduire les donateurs) détourne les universités de leurs missions premières : enseignement, recherche et services aux collectivités.

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