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Réduire l’écart entre les sexes

Il semblerait que les garçons performent moins bien que les filles à l’école. Or, nul ne sait vraiment pourquoi ni ce qui peut être fait pour corriger la situation.

par DANIEL DROLET | 10 SEP 07

En 2001, lorsque la portion de femmes admises à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal a dépassé 70 pour cent, un comité spécial d’admission a été constitué pour se pencher sur la question. L’année suivante, le comité a indiqué que, selon lui, le processus d’admission était équitable, et l’effectif féminin a alors atteint 80 pour cent des étudiants.

Le taux est maintenant redescendu près de 70 pour cent, mais il n’en demeure pas moins que la médecine continue de se féminiser. Cette tendance s’observe depuis les années 1980 dans de nombreux programmes de formation professionnelle partout au pays et dans les universités en général, sauf dans certaines disciplines. Si vous visitez un campus, quel qu’il soit, vous y croiserez beaucoup plus de femmes que d’hommes.

Le Canada n’est pas le seul dans cette situation. En effet, l’écart entre les sexes s’observe dans la plupart des pays de l’OCDE. Mais s’agit-il uniquement d’un phénomène sociologique intéressant ou d’un symptôme attribuable à un problème plus profond chez les hommes? Pour le moment, nul ne le sait vraiment.

« Il existe très peu d’études sur le sujet au Canada, explique Michael Hoy, professeur au département d’économie de l’Université de Guelph et un des chercheurs canadiens étudiant l’écart entre les sexes. Selon moi, il s’agit d’un phénomène intéressant sur lequel il faudrait se pencher pour juger s’il y a réellement un problème. »

En avril de l’année dernière, M. Hoy et deux de ses collègues économistes de l’Université de Guelph ont publié un article intitulé The Gender Imbalance in Participation in Canadian Universities, qui tente de cerner les raisons de l’écart entre les sexes. D’après des données recueillies entre 1977 et 2003, ils ont conclu que les femmes pouvaient s’attendre à un avantage salarial associé aux études universitaires plus élevé que les hommes. Autrement dit, un diplôme universitaire rapporte relativement plus aux femmes qu’aux hommes qui, traditionnelement, ont un plus vaste choix d’emplois bien rémunérés, même sans éducation postsecondaire.

« Les signaux du marché du travail poussent les hommes et les femmes à obtenir un diplôme universitaire, mais encore plus fortement les femmes », affirme Herb O’Heron, conseiller principal, Affaires nationales, Association des universités et collèges du Canada.

Cependant, l’enjeu ne touche pas uniquement le nombre de femmes sur les campus; il semble également qu’elles affichent un meilleur rendement que leurs confrères masculins. Les garçons accuseraient-ils un retard?

Or, de nombreuses recherches américaines indiquent que les garçons réussissent quand même bien, mais que les filles réussissent mieux. Une étude portant sur des étudiants américains et publiée en juin 2006 par Sara Mead, l’ancienne analyste principale des politiques du groupe de réflexion Education Sector, à Washington (D.C.), avance que, « à quelques exceptions près, les garçons américains réussissent mieux et se réalisent plus pleinement que jamais auparavant, mais que les filles progressent encore plus rapidement dans certaines disciplines. Les filles ont donc resserré, voire comblé certains écarts scolaires qui favorisaient auparavant les garçons, tandis que des écarts de longue date favorisant les filles se sont accentués, amenant ainsi à croire que les garçons accusent un retard. »

Il faut se réjouir de cette situation, et non s’en inquiéter, déclare Mme Mead. « À entendre les commentateurs, les campus deviennent des enclaves féminines. En réalité, le rendement scolaire et le niveau d’instruction des garçons en général n’ont jamais été aussi élevés », poursuit-elle.

Rob Crosnoe, psychosociologue à l’Université du Texas à Austin, indique que les chercheurs tentent toujours de comprendre pourquoi les femmes réussissent mieux que les hommes. Par exemple, des statistiques américaines montrent que les filles ont rattrapé les garçons en sciences et en mathématiques. « En fait, comme c’est le cas dans les autres matières, les filles réussissent maintenant beaucoup mieux que les garçons dans ces deux matières », explique-t-il.

Mais un mystère demeure : si les filles obtiennent de meilleures notes en général en mathématiques et en sciences, les garçons réussissent mieux les tests normalisés. « On tente toujours de comprendre pourquoi il en est ainsi, poursuit M. Crosnoe. Peut-être parce que les résultats scolaires des filles dans ces deux disciplines tiennent compte de facteurs comme le comportement et l’effort, ce qu’un test normalisé ne fait pas. »

Certains chercheurs avancent que les filles ont réussi à accroître leur rendement en mathématiques et en sciences grâce au réseautage entre filles dans les classes, créant ainsi des groupes de soutien. Ce type de groupes ne motive pas autant les garçons, plus stimulés par la compétitivité. Cela pourrait expliquer pourquoi ils réussissent mieux les tests normalisés que les filles.

« Les garçons veulent surpasser leurs camarades, tandis que les filles veulent être dans les mêmes classes que leurs copines, explique M. Crosnoe. Il s’agit là de deux attitudes totalement opposées, et celle des filles tend à les avantager. »

Toutefois, d’autres études montrent que même si les femmes sont plus nombreuses à poursuivre des études aux cycles supérieurs, il subsiste une disparité salariale considérable entre les sexes. Une étude réalisée par Michael Shannon, de l’Université Lakehead, et Michael P. Kidd, de l’Université d’Aberdeen, en Écosse, publiée en 2001 dans Analyse de Politiques, prévoit que cette disparité devrait se maintenir jusqu’en 2031 au moins.

Une autre étude, menée par Statistique Canada et parue en juin dernier, laisse entendre que le maintien de la disparité salariale est entre autres attribuable « à la baisse du salaire réel dans les disciplines à prédominance féminine, telles que la santé et l’éducation, et à l’augmentation du salaire réel dans les disciplines à prépondérance masculine, telles que le génie, les mathématiques, l’informatique et les sciences physiques ».

Dans la même veine, une étude publiée plus tôt cette année dans Analyse de Politiques, intitulée « You’ve Come a Long Way, Baby? », a révélé que la proportion croissante de l’effectif féminin au niveau postsecondaire ne s’est pas traduite par une intégration des femmes dans la plupart des domaines d’études. En effet, certaines disciplines où sont offerts des emplois prestigieux et bien rémunérés comme l’ingénierie et l’informatique, demeurent à prédominance masculine. Lesley Andres, coauteure de l’article et professeure en sciences de l’éducation à l’Université de la Colombie-Britannique, qualifie cette tendance de « troublante ». Selon elle, ce n’est qu’en sciences de la santé que des progrès importants ont été réalisés au chapitre de l’intégration des femmes.

D’autres études laissent entendre que l’écart entre les sexes révèlerait un problème beaucoup plus grave : il concernerait tous les hommes et toucherait l’ensemble du système d’éducation, depuis le primaire jusqu’à l’université.

Il y a un siècle, les industries primaire et manufacturière offraient de nombreuses possibilités d’emplois n’exigeant aucun diplôme secondaire ou universitaire. Dans une large mesure, ces emplois étaient occupés par des hommes et, jusqu’à aujourd’hui, ces derniers ont toujours été plus enclins à poursuivre des études collégiales ou universitaires en période de récession que lorsque la conjoncture est favorable et que les emplois non spécialisés et bien rémunérés abondent.

Mais dans le contexte d’une économie mondiale du savoir, un manque d’instruction est un sérieux handicap. Quatre-vingt-deux pour cent des hommes canadiens de 18 à 21 ans ne fréquentent pas l’université, ce qui, selon certains analystes, fait en sorte qu’ils seront moins bien préparés à la nouvelle économie que les femmes.

Tom Mortenson, chercheur principal au Pell Institute for the Study of Opportunity in Higher Education, de Washington (DC), fait partie des analystes qui croient que les jeunes hommes sont réellement en difficulté. « Si les hommes agissaient de façon rationnelle, économiquement parlant, ils afflueraient vers les programmes d’enseignement supérieur, puisque de plus en plus d’emplois exigent un diplôme d’études supérieures », explique-t-il.

M. Mortenson croit que le système d’éducation est orienté, dès la maternelle, en fonction des besoins des filles, ce qui démotive les garçons. « Les données semblent indiquer que l’environnement collégial d’une salle de classe ne convient pas aux garçons. »

Il cite une étude de 2005 révélant que les hommes américains, au cours de leur première année universitaire, consacraient plus de temps à s’entraîner, à regarder la télévision, à faire la fête ou à s’amuser à des jeux vidéo que leurs homologues féminines (par exemple, 22,3 pour cent des hommes consacraient plus de six heures par semaine aux jeux vidéo par rapport à 3,3 pour cent des femmes).

Toutefois, lorsqu’on parle de choses sérieuses, les chiffres sont inversés : les femmes consacraient plus de temps à des clubs ou groupes étudiants, à faire des travaux ménagers et à s’occuper des enfants ainsi qu’à faire du bénévolat et à étudier. Autrement dit, les femmes s’appliquent à faire leur travail pendant que les hommes fêtent ou flânent.

Ces propos concordent avec ce que Clive Keen entend au Canada. « Les hommes peuvent travailler fort pour obtenir quelque chose qui leur tient à cœur, mais ils doivent avoir un but. » Selon lui, la structure actuelle des universités n’est pas attrayante pour les hommes.

M. Keen dirige le Centre for Life-Long Learning de l’Université de l’Île-du-Prince-Édouard. Tout comme M. Mortenson, il participe au Boys Project, groupe rattaché à l’Université de l’Alaska, à Fairbanks. Le groupe affirme que les jeunes hommes s’éloignent de l’école et ne parviennent pas à réaliser leur plein potentiel.

M. Keen cite en exemple l’Université de l’Île-du-Prince-Édouard : les hommes y sont 40 pour cent plus susceptibles que les femmes d’être mis en probation et 2,5 fois plus enclins à l’échec. « Tous les parents que je rencontre me disent que les filles réussissent bien à l’université, mais que les garçons se découragent », dit-il en ajoutant que les universités ne prennent pas la question suffisamment au sérieux.

Actuellement, le nombre de jeunes en âge de fréquenter l’université commence à décliner. Au cours de la prochaine décennie, la capacité à attirer un plus grand nombre d’hommes pourrait par conséquent devenir une question cruciale pour les universités. « Dans les provinces de l’Atlantique, de 2006 à 2026, les universités accuseront une baisse de 29 pour cent des effectifs âgés de 19 à 24 ans, prévoit M. Keen. Cette baisse devrait d’ailleurs commencer dès 2010. »

Les universités devront augmenter leurs taux de participation si elles veulent maintenir les taux d’inscription actuels. La meilleure façon d’y parvenir consiste à attirer un plus grand nombre d’hommes. M. Keen estime que pour inciter de nouveau les hommes à fréquenter l’université, les établissements devront modifier radicalement le type de cours qu’ils offrent pour mieux les adapter aux hommes.

D’autres sont plutôt d’avis que l’écart entre les sexes en éducation ne date pas d’hier. À l’automne 2006, trois chercheurs de l’Université Harvard (Claudia Goldin, Lawrence Katz et Ilyana Kuziemko) ont examiné l’écart entre les sexes dans une étude intitulée « The Homecoming of American College Women », publiée dans le Journal of Economic Perspectives. Ils ont conclu que cet écart avait, d’une certaine façon, toujours existé.

« Le fossé actuel entre les sexes au niveau universitaire reproduit curieusement celui qu’on a constaté au niveau secondaire, au cours de la première partie du XXe siècle, où une proportion accrue de femmes, dans toutes les régions, terminaient leurs études secondaires », écrivent-ils. Autrement dit, il y a un siècle, les femmes surpassaient déjà les hommes.

Et on peut remonter encore plus loin dans le temps. En effet, on trouve des références à l’esprit rebelle et à l’insouciance des hommes, de la Grèce antique jusqu’à la Renaissance italienne. John Locke, dans Quelques pensées sur l’éducation, publié en 1693, se penchait sur la sous-performance des garçons en latin par rapport à la facilité des filles en français.

Revenons à Guelph. Michael Hoy a commencé à observer rétrospectivement l’écart entre les sexes au Canada afin de savoir s’il s’agissait uniquement d’un phénomène réémergent après des décennies de prédominance masculine dans l’éducation. Ses collègues et lui ont recueilli des données sur le Canada, mais ils ne peuvent encore en dégager une explication.

M. Keen déplore également le manque de données canadiennes, particulièrement sur les taux d’abandon universitaire. « Peu de données sont recueillies sur le sujet », mentionne-t-il. Les seuls chiffres fiables dont il dispose portent sur l’Université de l’Île-du-Prince-Édouard, qui indiquent que les hommes abandonnent dans une proportion de quatre points de pourcentage au cours d’un programme postsecondaire. « Si 40 pour cent de l’effectif inscrit est masculin, environ 36 pour cent de la promotion sera constituée d’hommes. »

Lesley Andres croit elle aussi que d’autres études sont nécessaires. « Le domaine de l’éducation dans son ensemble est négligé par les chercheurs », affirme-t-elle. Ses recherches montrent qu’au secondaire les garçons et les filles ont les mêmes aspirations : obtenir une bonne instruction et se trouver un bon emploi. Toutefois, les femmes privilégient encore certaines disciplines et délaissent les autres. « Nous devons absolument nous pencher sur la question et ne pas tenir pour acquis que les femmes font d’énormes progrès. »

Ses recherches montrent qu’au secondaire les garçons et les filles ont les mêmes aspirations : obtenir une bonne instruction et se trouver un bon emploi. Toutefois, les femmes privilégient encore certaines disciplines et délaissent les autres. « Nous devons absolument nous pencher sur la question et ne pas tenir pour acquis que les femmes font d’énormes progrès. »

Complément de lecture : Le livre Les garçons et l’école de Jean-Claude St-Amant, récemment publié aux éditions Sisyphe, 2007, a fait l’objet d’un article par Louis Cornellier du Devoir en août dernier. L’intégral de cet article se trouve ici.


L’écart, en chiffres

Les femmes ont commencé à affluer dans les universités dans les années 1960 et 1970 et à dépasser les hommes sur les campus à partir de la fin des années 1980. Le rapport Tendances dans le milieu universitaire, publié en 2007 par l’AUCC, indique que les Canadiennes ont atteint la parité au baccalauréat en 1987 et qu’elles représentent maintenant 58 pour cent de l’effectif au premier cycle.

La parité parmi les étudiants à la maîtrise a été atteinte en 1997 et se maintient depuis.

Les hommes composent toujours la majorité des étudiants au doctorat. Les femmes représentaient 25 pour cent de l’effectif au troisième cycle en 1976 comparativement à 45 pour cent aujourd’hui.

Les taux de participation des hommes et des femmes ont tous deux augmenté au fil des ans, mais celui des femmes s’est accru plus rapidement. Selon le rapport de l’AUCC, en 2006, 28 pour cent des Canadiennes de 18 à 21 ans fréquentaient l’université par rapport à 18 pour cent des hommes.

Il s’agit d’un phénomène international. En effet, l’édition du rapport Regards sur l’éducation de l’OCDE indique que les taux d’obtention de diplômes postsecondaires chez les femmes dépassaient ceux des hommes dans 19 des 22 pays membres.

Rédigé par
Daniel Drolet
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