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Richesse génétique du Québec

Des chercheurs étudient les gènes d’un échantillon considérable de Québécois dans l’espoir de faire progresser la médecine.

par GERRY TOOMEY | 06 AVRIL 10

Professeur à l’Université Laval et médecin généticien, Claude Laberge aime voir grand – très grand même – et loin. Il est l’architecte d’une étude sur la santé et la génomique qui vient de démarrer et qui entend suivre 50 000 Québécois. Les résultats, de même que des échantillons de sang et d’urine, seront accessibles aux chercheurs au cours de 50 prochaines années.

Actuel conseiller scientifique de l’étude, Dr Laberge se rappelle que cet ambitieux projet, baptisé Cartagène (le nom officiel du projet s’écrit CARTaGENE), a réellement pris forme un soir de tempête de janvier 1999 dans un restaurant italien de Montréal. Bartha Knoppers, chercheuse principale du projet et directrice du Centre de génomique et politiques de l’Université McGill, faisait partie du groupe. L’idée était de cartographier la diversité génétique du peuple québécois en utilisant ce qui était une technologie de pointe à l’époque : des puces à ADN conçues par des chercheurs de McGill.

Pour Dr Laberge, dont le père et le grand-père étaient également médecins au Québec, Cartagène est l’aboutissement d’un rêve qu’il a caressé tout au long de sa vie professionnelle, soit mettre à profit plusieurs décennies d’expertise et de connaissances sur le génome humain au profit de la santé humaine. « Il ne faut pas rater le train, souligne-t-il. Nous devons être à l’avant-garde en ce qui a trait à produire et à comprendre les renseignements génomiques afin de les intégrer le plus rapidement possible aux politiques en santé, aux méthodes de dépistage ainsi qu’aux techniques de prévention et de validation des traitements, ce qui profitera à l’ensemble de la population québécoise. »

Convaincu que l’avenir de la recherche en génomique est prometteur, Dr Laberge souligne que les progrès médicaux réalisés au XXe siècle sont largement attribuables à des percées en biologie d’observation, en médecine et en médecine expérimentale réalisées depuis la fin du XIXe siècle. Les méthodes de prévention et de traitement de nombreuses maladies en découlent. Ces méthodes reposent toutefois en grande partie sur l’analyse de ce qu’on appelle les phénotypes, ces ensembles de caractères individuels observables qui correspondent à une réalisation du génotype en fonction de l’environnement; elles ne reposent pas sur la chimie sous-jacente à la vie.

La description révolutionnaire de la structure de l’ADN en 1953 par MM. Watson et Crick, et l’essor de la génétique moléculaire ont amené Dr Laberge à se poser la question suivante : puisque la biologie d’observation a donné lieu à de si importants progrès scientifiques, à quoi pourrait-on s’attendre si un nombre accru d’études reposait sur le fondement même de la biologie, l’ADN?

Dr Laberge, qui considère Cartagène comme un projet audacieux qui s’inscrit logiquement dans l’évolution des sciences médicales au Québec, estime également qu’il permet d’utiliser les fonds publics plus efficacement, car il réduit la concurrence inutile visant l’obtention de subventions de recherche.

Mme Knoppers insiste également sur l’importance de l’efficacité en recherche par le partage des ressources. En plus d’être la chercheuse principale du projet Cartagène, elle est la présidente fondatrice du Projet public de génomique des populations (P3G). Ce consortium aide les chercheurs de nombreux pays à harmoniser leurs travaux sur la génomique grâce au partage de méthodes de recherche, de données de même que de politiques et de procédures liées à l’accès aux biobanques, à la gouvernance et à l’éthique en recherche.

Le P3G met une véritable trousse d’outils internationale à la disposition de projets comme Cartagène. Il contribue à faire en sorte que différentes équipes de recherche couvrent les mêmes types de variables et que les données obtenues soient comparables d’un projet et d’un pays à l’autre. Grâce à cette uniformité, les scientifiques ont accès à un ensemble de données beaucoup plus vaste (ce qui améliore l’exactitude des résultats) et obtiennent parfois des résultats beaucoup plus rapidement que s’ils n’utilisaient que leurs propres données.

Cartagène est à la fois un bénéficiaire et une ressource du P3G.  À ce jour, le projet a répondu à plusieurs demandes de renseignements touchant les cadres procéduraux, éthiques et réglementaires formulées par des biobanques membres du P3G. Le projet québécois fait également partie d’une plus vaste étude nationale sur la maladie, le projet de partenariat canadien Espoir pour demain. Cette étude, qui s’intéresse particulièrement au cancer, compte cinq cohortes situées en Colombie-Britannique, en Alberta, en Ontario, au Québec et dans la région de l’Atlantique.

« Le projet Espoir pour demain profite de la vaste expérience de Cartagène en matière de recrutement et de création de biobanques », explique Elizabeth Eisenhauer, présidente du Groupe consultatif sur la recherche du Partenariat canadien contre le cancer, un des commanditaires du projet Espoir pour demain. Mme Eisenhauer ajoute que Mme Knoppers a joué un rôle de premier plan relativement « aux aspects éthiques, juridiques, sociaux et aux questions de protection des renseignements personnels qui étaient essentiels au bon fonctionnement de ce projet pancanadien ».

Après le démarrage de Cartagène au printemps dernier, Dr Laberge et son équipe ont lancé la première phase du projet à la fin de juillet. Cartagène a établi ses quartiers à l’Université de Montréal, et la phase A est financée par Génome Canada et Génome Québec.

La phase A porte sur la collecte d’échantillons biologi-ques et de renseignements personnels auprès d’une cohorte initiale de 20 000 Québécois âgés de 40 à 69 ans. Ceux-ci participent bénévolement au projet et ont été sélectionnés au hasard parmi les personnes inscrites auprès de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ). Ils proviennent de quatre centres urbains, soit Montréal, Québec, Chicoutimi (Saguenay) 
et Sherbrooke.

Outre la taille relativement importante de cette cohorte, d’autres facteurs font de Cartagène un projet particulièrement intéressant pour les chercheurs, explique Philip Awadalla, directeur scientifique du projet et professeur au département de pédiatrie de l’Université de Montréal.

D’abord, le projet ne recueille pas uniquement des renseignements d’ordre génétique (au moyen d’échantillons de sang), mais également une grande quantité de renseignements sur des sujets comme les habitudes de vie, les antécédents médicaux et les caractéristiques démographiques.

Selon M. Awadalla, « Cartagène se démarque par ses variables environnementales et les renseignements cliniques recueillis à quatre endroits différents du Québec. Cela permettra d’étudier l’interaction entre les gènes et le milieu, un facteur potentiellement important dans l’apparition des maladies chroniques, ainsi que les variations observables dans la province ».

Autre caractéristique particulièrement novatrice, les chercheurs extraient l’ARN (acide ribonucléique) ainsi que l’ADN (acide désoxyribonucléique) des échantillons de sang. « La plupart des grandes études sur les cas-témoins ne recueillent pas de données sur l’ARN », précise M. Awadalla. L’ARN étant une signature de l’expression génétique – soit la fréquence à laquelle les gènes sont activés et désactivés –, elle peut fournir des biomarqueurs qui serviront à des fins de diagnostic et de pronostic. Les échantillons sont entreposés dans une biobanque située à Chicoutimi et exploitée par Génome Québec et le Centre hospitalier affilié universitaire régional de Chicoutimi.

Un troisième élément qui illustre l’utilité de Cartagène est l’ascendance commune à la majorité des 20 000 participants. Bien que la cohorte compte des Québécois d’origines ethniques diverses (en particulier le sous-groupe montréalais), la grande majorité est canadienne-française. Dans certains projets de recherche, l’héritage génétique commun des participants permet de faire ressortir plus facilement les facteurs environnementaux qui contribuent à une bonne santé ou au développement de maladies chroniques. Lorsqu’il est question de variations attribuables à la génétique et à l’environnement, « il est intéressant de savoir que les observations ne sont pas biaisées par la présence de différentes ethnies ».

La relative homogénéité de la cohorte permet d’effectuer des « analyses des relations génétiques ». Les chercheurs peuvent ainsi faire des associa-tions entre les gènes communs aux membres d’une même famille et des maladies complexes sur le plan génétique comme les maladies cardiaques, l’hypertension et le diabète.

Comme l’explique Dr Laberge, ce type d’associations peut aider à ré-pertorier des personnes à risque qui autrement n’attireraient pas l’attention des médecins. Par exemple, certains profils génétiques augmentent les risques de maladie cardiaque chez des personnes – on les appelle les « individus silencieux » – qui présentent pourtant des taux de cholestérol normaux. « Nous voulons savoir où se trouvent ces personnes, ajoute Dr Laberge, et veiller éventuellement à l’intégration de leur profil génétique à leur évaluation médicale si elles présentent des antécédents familiaux. »

À la mi-février, plusieurs projets avaient déjà reçu l’approbation de Cartagène, dont une étude sur le méthylmercure menée par des chercheurs de l’Université Laval et un projet de M. Awadalla qui comparera l’influence des modes de vie urbain et rural sur l’occurrence des maladies chroniques.

Les entrevues et la collecte d’échantillons biologiques réalisées auprès des 20 000 participants de la cohorte initiale devraient être terminées à la fin d’octobre, ce qui coïncidera avec la fin du financement de la phase A. La réalisation de la phase B, qui ajouterait 30 000 participants au projet et élargirait la portée de l’étude à d’autres régions du Québec, dépend des progrès réalisés pendant la phase A. Étant donné la durée potentiellement longue du projet, sa viabilité financière préoccupe grandement les respon-sables du projet (voir l’encadré à droite).

Les questions éthiques revêtent une importance monumentale dès que des chercheurs ont accès aux renseignements personnels des participants à une étude à des fins d’analyse. Cartagène a mis en place d’importantes mesures pour garantir l’utilisation appropriée des ressources du projet, assure Dr Laberge. Par exemple, toutes les données de sondage stockées dans la base de données et la biobanque seront codées deux fois et chiffrées. Les codes seront changés pour chaque organisation partenaire ayant accès aux renseignements. Chaque transmission est par ailleurs sécurisée et chiffrée pour protéger l’identité des participants.

Les personnes autorisées à consulter et à utiliser les ressources de Cartagène feront l’objet d’un contrôle serré. Tout chercheur ou toute équipe de recherche souhaitant consulter la base de données ou avoir accès aux échantillons de sang et d’urine devra négocier une entente qui l’obligera notamment à faire part de ses résultats à Cartagène afin qu’ils deviennent accessibles à d’autres chercheurs. « Nous n’accorderons aucun accès avant que nos comités [d’examen] soient informés de la nature du projet et de l’objectif des chercheurs », précise Dr Laberge.

Cette stratégie n’a pas pour but d’empêcher les utilisateurs à breveter des inventions découlant de l’utilisation des données et des échantillons biologiques de Cartagène. « Les brevets sont l’unique moyen de faire profiter la population de produits qui permettent de traiter certains problèmes de santé », explique Dr Laberge, ajoutant que la conception de produits ne fait pas partie du mandat de Cartagène. Le projet peut toutefois donner accès à des données de qualité : « Nous croyons que c’est la façon la plus rapide de fournir des données sur la population aux dispensateurs de services, de tests ou de médicaments, qui sont ensuite en mesure d’aider la population qui a fourni les données ».

C’est une question de « citoyenneté publique », estime Dr Laberge. « Ces conditions obligeront les chercheurs à réfléchir à ce qu’ils font et au fait qu’ils utilisent une infrastructure publique de grande qualité qu’ils n’ont pas eu à mettre en place. Ils prendront alors le risque de partager leurs résultats ou choisiront de procéder autrement. »

Un observateur a proposé publiquement la nécessité de nommer un organe de surveillance indépendant pour garantir la reddition de compte et l’utilisation éthique des ressources du projet. Dr Laberge est d’accord et souligne qu’un organisme doté d’un mandat similaire a été créé à l’étape de la formation de Cartagène, mais qu’il a été mis de côté par le gouvernement du Québec après trois ans d’activité parce qu’il existait suffisamment de structures de gouvernance pour orienter et superviser le projet. Ces structures comprennent entre autres la RAMQ, l’agence responsable de la protection des renseignements personnels au Québec et divers comités d’éthique universitaires.

« Nous nous efforçons de faire preuve de transparence sur tous les plans. Nous ne cherchons pas à faire les choses en cachette », conclut Dr Laberge.

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Financement de la phase B

Les subventions à court terme « ne peuvent à elles seules » assurer la viabilité de l’infrastructure nécessaire à un projet qui s’étalera sur 50 ans, explique Claude Laberge, fondateur et conseiller scientifique de Cartagène. Il estime cependant que la feuille de route du projet à ce jour – conception des questionnaires et des mesures de protection des renseignements personnels, collecte de renseignements et d’échantillons biologiques auprès des participants, conception de logiciels, formation du personnel infirmier et d’autres intervenants et harmonisation des efforts avec ceux d’autres groupes de recherche canadiens et étrangers – peut servir de base solide à l’obtention de fonds pour la phase B. C’est d’ailleurs une des raisons qui a motivé Cartagène à organiser un débat public sur ses travaux en décembre dernier à Montréal. Des dizaines de partenaires de recherche, de représentants des gouvernements, de journalistes et de participants à l’étude y ont pris part. « Nous étions là pour répondre à leurs questions », souligne Dr Laberge.

Étant donné toute les leçons tirées de l’étape de préparation et de la première partie 
de la phase A, « les 30 000 prochains [dossiers de participants] coûteront beaucoup moins cher à produire que les 20 000 premiers, car nous possédons maintenant l’équipement, le logiciel, la base de données et la biobanque à Chicoutimi », estime Dr Laberge.

Le partenariat canadien Espoir pour demain devrait financer les entrevues de suivi auprès des participants à compter de 2011. Cartagène a demandé un financement supplémentaire à Génome Canada et à Génome Québec pour la phase B, mais aucune annonce de subvention n’a été faite jusqu’à maintenant.

Rédigé par
Gerry Toomey
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