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Transportons-nous en 2034

Qui dit anniversaire dit regard vers l’avenir. Nous avons donc demandé à Alex Usher, un expert-conseil en éducation postsecondaire, d’imaginer certains de grandes tendances pouvant avoir des répercussions sur les universités canadiennes. Dans un retournement de point de vue, il s’est imaginé en 2034, revenant sur les 25 ans qui se seront alors écoulés depuis le 50e anniversaire d’Affaires universitaires, en 2009.

par ALEX USHER | 05 OCT 09

Back to the future 448

À l’occasion du 75e anniversaire d’Affaires universitaires, on m’a invité à revisiter certaines des grandes tendances qui ont touché le milieu universitaire depuis le début du XXIe siècle, notamment celles qui ont secoué le secteur entre 2010 et 2030. Cela semble bien loin maintenant, mais la période qui a précédé 2010 en a été une de relative abondance pour le secteur de l’enseignement supérieur canadien. Le financement provincial aux établissements augmentait d’au moins sept pour cent par année, une croissance plus rapide que celle des dépenses en santé ou dans le système d’éducation de la maternelle à la 12e année. Les taux d’inscription grimpaient au premier cycle comme aux cycles supé-rieurs. Le financement des trois organismes subventionnaires atteignait des sommets inégalés, et on assistait à une explosion de projets de construction dans les établissements de recherche universitaire.

Puis vint la récession de 2008-2010. La menace est d’abord venue de la réduction des revenus : pertes essuyées par les fonds de dotation, malmenés par la chute de la valeur des actions, et pressions accrues exercées sur les caisses de retraite. Ces difficultés se sont toutefois révélées relativement mineures par rapport à ce qui allait suivre.

Première tendance : Compressions gouvernementales

Comme lors des récessions précédentes, les dépenses gouvernementales tempo-raires, visant à parer à la crise, ont été difficiles à éviter. Dès 2013, la dette des gouvernements fédéral et provinciaux s’alourdissait. À court terme, cela a permis aux universités de reporter les dures décisions financières qu’elles devaient prendre pour se maintenir à flot. Toutefois, quand la reprise s’est enfin enclenchée, les gouvernements ont commencé à prendre conscience non seulement de l’ampleur de leur dette, mais aussi des profondes répercussions financières du vieillissement de la population. Ils ont alors sabré la plupart des dépenses publiques, à part la santé. L’éducation postsecondaire n’a pas été épargnée.

Au cours des années suivantes, le secteur a vu son financement chuter de 10 à 20 pour cent; les provinces de l’Atlantique et le centre du Canada ont été touchés beaucoup plus durement que l’Ouest canadien et Terre-Neuve, où le prix des matières premières soutenait les finances publiques.

Cette perte de revenus ahurissante a donné lieu à des réactions diverses. Au Québec, les frais de scolarité ont dû augmenter. Il n’était plus possible de prétendre que les subventions provinciales aux universités suffisaient pour financer un système d’enseignement supérieur digne de ce nom. Les autres provinces ont tenté de contenir ces frais. L’éducation postsecondaire étant devenue largement accessible, les gouvernements craignaient de s’aliéner la classe moyenne s’ils augmentaient les frais de scolarité à l’heure où il fallait accroître les impôts pour s’occuper des aînés.

En mal d’argent, les universités se sont tournées vers ce qui semblait une source facile : le recrutement d’étudiants étrangers. Mais en 2015, le paysage de l’éducation internationale avait déjà changé, et les établissements canadiens ont découvert à quel point elles tiraient de l’arrière.

Deuxième tendance : L’université mondialisée

On sait maintenant que les années 2010 à 2015 ont marqué le début de l’université mondialisée. Dans la décennie précédente, certaines universités avaient tenté d’implanter des campus à l’étranger, en Asie de l’Est ou dans l’un des pays du Golfe Persique. Toutes les grandes univer-sités britanniques et nord-américaines établissaient alors des campus un peu partout dans le monde. L’enseignement offert sur ces campus satellites ne visait pas à amasser des capitaux, mais à promouvoir une image de marque. Le plus payant était d’attirer à fort prix des étu-diants dans les établissements d’attache ou vers les cours offerts en ligne en partenariat avec des intervenants locaux.

Cette période de cinq ans a également marqué l’adoption d’un mode d’organisation de l’enseignement supérieur à l’européenne en Asie. Le processus de Bologne était encore loin de la complétude, même en Europe, mais il avait généré trois idées clés qui commençaient à être reconnues partout dans le monde, sauf en Amérique du Nord :

• L’obtention de titres de compétences universitaires devait reposer sur des critères plus rigoureux que l’accumulation d’un certain nombre de crédits en fonction d’heures passées avec un professeur;

• l’assurance de la qualité était à prendre au sérieux, en partie parce que l’application de normes externes impartiales constituait la seule solution applicable aux problèmes liés à la reconnaissance des titres de compétences et aux transferts de crédits;

• chaque discipline devait disposer de critères explicites et largement reconnus pour l’obtention d’un grade, tant pour faciliter l’admission aux cycles supérieurs que pour envoyer des signaux pertinents au marché du travail.

Une fois ces principes acceptés mondialement, les pays qui n’y avaient pas souscrit sont rapidement devenus des destinations de deuxième ou de troisième ordre pour les étudiants étrangers.

Les universités canadiennes étaient dans cette situation. Si elles ne s’y opposaient pas farouchement, elles n’avaient pas retenu les leçons du processus de Bologne. La méfiance des établissements envers le gouvernement et la méfiance mutuelle entre les gouvernements fédéral et provinciaux avaient empêché la création d’un système national d’assu-rance de la qualité. L’inertie pure et simple avait court-circuité la redéfinition des crédits ou l’adoption d’un processus à l’européenne d’uniformisation des acquis des étudiants à l’issue des programmes d’études offerts par les établissements.

De plus, peu d’universités cana-diennes avaient sérieusement investi dans leur présence à l’étranger et encore moins dans l’établissement de campus, et presque aucune n’avait l’expérience requise en matière de marketing à l’étranger pour livrer concurrence aux établissements américains, britanniques et australiens, qui dominaient le marché. Le « plan B » de nombreuses universités devant les compressions gouvernementales, à savoir le recrutement d’étudiants étran-gers, s’est donc révélé impraticable.

La prise de conscience s’est faite au moment où les gouvernements retrou-vaient l’équilibre budgétaire. On était toutefois loin d’un retour aux généreux investissements gouvernementaux dans l’enseignement supérieur; les change-ments démographiques et le vieillis-sement de la population exerçaient des pressions accrues. C’est la mort du dernier espoir en un retour aux largesses gouvernementales qui a déclenché la réelle révolution dans le secteur canadien de l’enseignement supérieur.

Troisième tendance : Uniformisation de l’enseignement au premier cycle

Il a d’abord fallu réduire les coûts de l’enseignement au premier cycle. On a presque cessé d’offrir des postes menant à la permanence à des professeurs du premier cycle. L’enseignement a été confié le plus souvent à des professeurs adjoints. Pour économiser, on leur a demandé d’utiliser du matériel d’enseignement déjà tombé dans le domaine public. Ce matériel pouvait s’enrichir d’activités d’apprentissage électronique en classe, mais la conception de ces cours en ligne étant coûteuse, les établissements ont dû se regrouper pour partager les coûts.

On a donc assisté à l’uniformisation de l’expérience d’apprentissage au pre-mier cycle. Certains traditionalistes ont décrié cette tendance, mais elle était tout simplement le résultat de la croissance marquée de la fréquentation universitaire entamée au milieu des années 1990. Ce phénomène facilitait le transfert de crédits et, de là, la mobilité étudiante.

L’uniformisation des programmes de premier cycle, surtout en arts et sciences, a ouvert de nouvelles possibi-lités pour les établissements prêts à innover. Certains établissements, surtout dans les provinces de l’Atlantique, étaient bien placés pour offrir des diplômes traditionnels dans le domaine des arts libéraux, mais il leur fallait d’abord se libérer des restrictions gouvernemen-tales relatives aux frais de scolarité. Ils furent les premiers à s’extraire du secteur public pour s’appuyer uniquement sur les frais de scolarité et les fonds privés. Quelques établissements de grande taille se sont engagés en partie dans cette voie en créant en leur sein des « collèges spécialisés » pour les meilleurs étudiants au premier cycle.

Il a ensuite fallu redorer l’image du Canada sur la scène internationale et regagner sa part du marché. En 2020, gouvernements, universités et inter-venants s’étaient entendus sur les rudi-ments d’un cadre visant à établir des normes communes en matière de crédits et de grades, d’un processus d’harmoni-sation des acquis des étudiants à l’issue des pro-grammes d’études selon la discipline et d’un système pancanadien d’assurance de la qualité. Mais il y avait encore du travail à faire. Désormais, l’éducation interna-tionale signifiait autant aller vers les étudiants que les attirer au sein de l’établissement.

Quatrième tendance : L’Université du Canada

Quelques universités parmi les plus grandes ont tardivement commencé à fonder des campus à l’étranger, mais de nombreuses autres ont conclu que les risques associés à l’exploitation de campus à l’étranger, alors que nous avions du retard à rattraper, requéraient une solution plus radicale. C’est ainsi qu’a vu le jour l’Université du Canada, fruit d’une collaboration entre une vingtaine d’établissements. En trois ans, des campus ont été fondés en Inde, en Chine, en Indonésie, en Malaisie, au Maroc, au Mexique et aux Émirats arabes unis.

D’autres ont tenté de faire équipe avec des établissements étrangers pour émettre leurs diplômes à l’étranger. Il s’agissait d’une voie difficile et périlleuse, mais l’expérience des établis-sements canadiens en matière d’évaluation de la qualité et de systèmes de contrôle leur a facilité la tâche. De même, un pro-gramme intensif de création de matériel d’apprentissage électronique (financé par le gouverne-ment fédéral) pouvant être utilisé dans l’enseignement à distance à l’étranger a eu des résultats peu concluants à l’échelle mondiale, mais l’exercice a permis à tout le moins d’aider les établissements à accroître l’efficacité de l’apprentissage électronique au pays. Une fois de plus, l’interaction entre la soif de percer de nouveaux marchés et la nécessité de réduire les coûts à l’interne a entraîné des effets positifs.

L’évolution linguistique et culturelle constituait la dernière variable de l’équation à résoudre. Il a toujours été délicat pour une nation bilingue de se faire connaître comme une destination d’études auprès de personnes souhaitant surtout parler anglais, mais le Canada a fini par trouver le courage de le faire et par adapter sa publicité. C’est toutefois la capacité du Canada de miser sur ses liens avec les collectivités locales de la Chine, de l’Inde et du Moyen-Orient en s’adressant à elles en mandarin, en hindi ou en arabe qui a réellement permis de renverser la vapeur. Les établissements de Vancouver, de Montréal et de Toronto sont ceux qui en ont le plus profité.

Cinquième tendance : Universités axées sur la résolution de problèmes

Toutes ces mesures ont généré les fonds nécessaires pour financer les changements stratégiques qui ont mené à une renaissance du secteur canadien de l’enseignement supérieur axé sur les études aux cycles supérieurs et la recherche, que la crise financière n’avait absolument pas empêchés de gagner en importance. Malgré les ressources limitées, au cours de la décennie qui a suivi 2010 les établissements canadiens sont parvenus à tirer leur épingle du jeu dans les marchés internationaux de l’embauche; leurs concurrents américains étant affaiblis par la crise finan- cière de leur pays (pendant près de 10 ans, les pertes essuyées par les fonds de dotation en 2008 avaient bloqué la capacité d’embauche des universités privées). Sur une note plus positive, les investissements massifs dans l’infra-structure effectués au cours de la première décennie du siècle, notamment de la part de la Fondation canadienne pour l’innovation et des gouvernements de l’Alberta et de l’Ontario, ont doté le pays de laboratoires de renommée mondiale qui ont grandement contribué à attirer les meilleurs chercheurs.

La renaissance est aussi redevable à une nouvelle volonté des établissements de recherche d’embaucher de façon stratégique. Reconnaissant qu’ils ne pouvaient tout faire, ils ont centré leurs activités sur certains enjeux d’importance mondiale, susceptibles de les faire participer aux débats internationaux en science et en politiques publiques. Les universités des Prairies en particulier ont acquis une réputation dans l’étude des aliments, de l’eau et de l’énergie. Dans l’ensemble du Canada, d’autres établissements se sont mis à choisir leurs enjeux et à les formuler selon des thématiques touchant plusieurs établissements : le Pacifique en Colombie-Britannique, la francophonie au Québec et le vieillissement en Ontario. La tendance à la résolution de problèmes interdisciplinaires a eu un puissant effet pour attirer des chercheurs et des fonds. Elle a également contribué à un retour aux investissements publics massifs au milieu des années 2020.

En 2030, les universités canadien-nes avaient regagné tout ce qu’elles avaient perdu après 2010. Le parcours a été long et parfois douloureux. Certaines universités n’ont pas survécu à la transition. Celles qui ont essayé d’éviter les choix stratégiques difficiles ou qui se sont réfugiées dans les méthodes éprouvées de la fin du XXe siècle s’en sont plutôt mal tirées. Par contre, celles qui ont su gérer leur assise financière, faire des choix difficiles concernant certains domaines d’expertise, s’ouvrir sur le monde, prendre des risques, prendre le virage technologique et mettre l’accent sur la qualité ont découvert d’innombrables possibilités de l’autre côté.

Alex Usher est vice-président, recherche, et directeur pour le Canada à l’Educational Policy Institute.

Rédigé par
Alex Usher
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