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Un animal génétiquement modifié figure-t-il à votre menu?

Voici l’histoire d’un poisson et d’un porc.

par MARK WITTEN | 09 OCT 13

Ceci est un récit canadien de deux animaux génétiquement modifiés et des efforts déployés afin de les voir un jour garnir nos assiettes.

L’histoire commence en 1989, lorsque Garth Fletcher et Choy Hew, deux scientifiques de l’Université Memorial, créent un saumon de l’Atlantique génétiquement modifié capable d’atteindre la taille de mise en marché deux fois plus rapidement qu’un spécimen classique. Le poisson consomme moins de nourriture et permettra d’accroître la rentabilité de la pisciculture.

Dix ans plus tard, en 1999, le professeur de biologie Cecil Forsberg, de l’Université de Guelph, crée un porc dont les déjections contiennent moins de phosphore. Ainsi, tout ruissellement issu de fermes porcines ou de champs où on pratique l’épandage de fumier (pratique courante) aurait un effet moins polluant sur le bassin hydrographique local. Le professeur baptise son cochon haute technologie peu polluant Enviropig.

Le porc et le poisson représentent tous deux des réussites scientifiques de pointe. Pourtant, le porc n’a pu emprunter le chemin de l’assiette des Canadiens en raison d’un manque de soutien dans l’industrie et d’acceptation au sein de la population, tandis que le saumon continue de nager à contre-courant dans les eaux de la réglementation. En décembre dernier, la Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis a diffusé une évaluation dans laquelle elle concluait que le saumon génétiquement modifié n’aurait aucune incidence notable sur l’environnement. L’organisme avait déjà déclaré en 2010 que le poisson était propre à la consommation humaine.

Si la FDA statue un jour que le saumon génétiquement modifié peut être élevé et vendu en tant qu’aliment aux États-Unis (ce qui est encore loin d’être certain), la décision ouvrira toutes grandes les portes à l’expansion commerciale des animaux génétiquement modifiés. « Il s’agit d’une technologie qui fonctionne, et la moitié de la planète attend la décision de la FDA à ce sujet, indique M. Fletcher, aujourd’hui professeur émérite et directeur du département d’océanographie à l’Université Memorial. Si notre saumon reçoit le sceau d’approbation, le parcours réglementaire sera tracé pour les autres universitaires et entreprises dont les travaux portent sur des animaux tels que le poisson, la poule ou le porc. »

En 1992, les professeurs Fletcher et Hew ont accordé une licence d’exploitation à Elliott Entis, un entrepreneur américain du domaine de l’aquaculture capable de convaincre des investisseurs grâce à sa vision, à son sens aigu des affaires et à son savoir-faire en marketing. L’entreprise AquaBounty Technologies a donc vu le jour à Boston en 1994 dans le but d’assurer la commercialisation du saumon génétiquement modifié et a déposé une demande d’approbation à titre de nouveau produit pharmaceutique vétérinaire expérimental (Investigational New Animal Drug) auprès de la FDA dès l’année suivante. À ce jour, AquaBounty aurait dépensé 60 millions de dollars américains pendant ses 18 années de lutte incessante pour franchir le processus réglementaire de la FDA. L’entreprise a récemment été achetée par Intrexon, une entreprise de biologie synthétique américaine administrée par le milliardaire du secteur biotechnologique Randal Kirk.

De son côté, le porc a perdu pied dans sa quête d’un partenaire industriel d’expérience doté d’une bourse bien garnie et de reins assez solides pour surmonter les obstacles réglementaires et sociaux. M. Forsberg et l’Université de Guelph ont reçu des fonds de recherche-développement de la part de l’association Ontario Pork en début de projet. Toutefois, ils n’ont jamais pu dénicher un titulaire de licence, au pays ou ailleurs, ayant la volonté d’investir les sommes nécessaires au développement du produit, au processus réglementaire et à la mise en marché du produit.

Au printemps de 2012, Ontario Pork a mis fin au financement du projet, après y avoir investi 1,3 million de dollars. Les porcs ont été euthanasiés, mais des échantillons de leur ADN ont été congelés. « Nous avons sous-estimé l’ampleur du défi et de l’investissement nécessaire », reconnaît Rich Moccia, vice-recteur adjoint à la recherche à l’Université de Guelph. Le stigmate social associé au porc génétiquement modifié a également été trop lourd pour l’Université. « Nous avons servi de paratonnerre aux protestations », ajoute-t-il.

Les différences de perceptions envers le porc et le poisson peuvent avoir influé sur les résultats. « La plupart des habitants de pays industrialisés considèrent le poisson comme une créature moins évoluée et ayant moins de droits intrinsèques que le porc. Les gens estiment en effet que le porc est plus près de l’humain », explique M. Moccia.

La décision que rendra la FDA concernant le poisson génétiquement modifié et la manière dont les consommateurs réagiront si celui-ci est approuvé demeurent encore un mystère. Personne ne sait quand la FDA rendra sa décision, mais Mart Gross, professeur en science de la biodiversité à l’Université de Toronto, croit qu’elle donnera le feu vert à la commercialisation du poisson. « Il ne s’agit pas d’une décision facile, mais je crois que le saumon génétiquement modifié pourrait être approuvé. Il est nécessaire de produire davantage de nourriture et ceci représente un moyen d’avenir », indique-t-il.

Il ne fait aucun doute que si l’organisme de réglementation donne son aval et que la réponse des consommateurs est positive, de nombreuses autres espèces de poisson, et possiblement des porcs, des vaches et d’autres animaux, suivront. « La science et la politique se livrent bataille. Cette technologie peut servir à accroître la production alimentaire et la qualité des aliments offerts à la population mondiale croissante. D’autres entreprises attendent prudemment la tombée du verdict », conclut M. Fletcher.

Mark Witten est un rédacteur scientifique établi à Toronto.

Rédigé par
Mark Witten
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