Le petit-fils par alliance de Lynn Cunningham, Andrew, maintenant âgé de 18 ans, vit avec elle depuis que la Société d’aide à l’enfance est intervenue quand il avait 16 mois. Andrew (que Mme Cun-ningham appelle « mon enfant, tout simplement ») arrive à sa dernière année d’études secondaires et, comme bien des parents, Mme Cunningham examine les possibilités d’études postsecondaires susceptibles de lui convenir. Toutefois, comme Andrew a une déficience, bien peu d’options s’offrent à lui.
Dans l’article, Mme Cunningham, professeure de journalisme à l’Université Ryerson, à Toronto, décrit ses démarches pour trouver un endroit où Andrew pourra continuer d’apprendre et devenir adulte.
La déficience d’Andrew ne correspond pas à l’idée qu’on s’en fait dans le milieu postsecondaire, surtout parce que les personnes comme lui sont absentes du milieu. Il n’utilise pas de fauteuil roulant, n’est pas malentendant et n’a pas besoin qu’on lui accorde du temps supplémentaire pour traiter l’information. Il est atteint du syndrome d’alcoolisation fœtale, qui se traduit par des lésions permanentes au cerveau causées par la consommation d’alcool de sa mère pendant la grossesse.
Son sens de l’organisation est quasi inexistant; il peut difficilement traiter plus de deux ou trois instructions à la fois; il écrit comme un enfant de 10 ans. À son âge, beaucoup d’enfants souffrant de ce syndrome ont abandonné l’école, certains vivent dans la rue ou se retrouvent même en prison.
Andrew, lui, a réussi le test de compétences linguistiques de l’Ontario l’an dernier. Il suit des cours sur l’histoire du Canada au XXe siècle et peut très bien décrire la guerre de tranchées de la Première Guerre mondiale. Avant les élections américaines, sans qu’on lui demande, il a expliqué de façon convaincante pourquoi il voterait pour Barack Obama s’il vivait aux États-Unis. Par ailleurs, il joue de la guitare depuis l’âge de 12 ans et il est loin d’être solitaire et marginal; ses amis, y compris les membres de son groupe, sont majoritairement « normaux ».
« À bien des égards, Andrew n’est pas différentiable de ses amis, y compris en ce qui concerne les comportements déplaisants des jeunes de son âge », affirme Mme Cunningham.
Andrew ne manque pratiquement jamais l’école, où il suit presque tous ses cours dans une classe ordinaire, mais fait aussi partie d’une classe spéciale où il est encadré par un professeur, un travailleur auprès des jeunes et, un jour par semaine, par un psychiatre. Sa difficulté d’appren-tissage étant reconnue, il bénéficie du soutien nécessaire pour faire ses devoirs et étudier pour ses examens.
Les experts admettent que l’éduca-tion postsecondaire est profitable pour les personnes ayant des difficultés d’apprentissage. Fréquenter un établis-sement postsecondaire est, « sur le plan culturel, la voie normative qui mène à l’âge adulte » et « permet aux jeunes de mûrir dans un environnement d’apprentissage », écrivent Bruce Uditsky et Anne Hughson dans un article sur l’éducation postsecondaire et les personnes souffrant de déficiences développementales.
Pour Andrew et les autres, le principal obstacle est cependant de trouver un endroit où poursuivre leurs études.
Mme Cunningham a entrepris ses recherches à l’Université Ryerson, où elle enseigne. Plusieurs possibilités sont offertes aux personnes ayant une déficience intellectuelle (accès à un tuteur, prolongation de la période pour passer les examens, modification des instructions d’un devoir pour compenser les difficultés liées au vocabulaire réceptif, etc.). Elle a cependant appris qu’il serait pratiquement impossible pour Andrew d’être admis conformément au processus normal étant donné que ses crédits sont dispersés entre des études techniques, collégiales et universitaires. Elle s’est rendu compte que cet exemple est typique du système universitaire ontarien.
Le Collège Humber admet chaque année 18 étudiants ayant une déficience intellectuelle à son programme de deux ans menant à un certificat, et trois autres collèges communautaires de l’Ontario (les collèges Lambton, Sault et, dernièrement, Durham) ont mis en place des initiatives semblables. Ces programmes s’adressent toutefois aux étudiants dont le développement intellectuel correspond à celui d’un enfant de première ou deuxième année du primaire, ce qui ne convient pas à Andrew.
L’Alberta est un chef de file mondial, puisque 19 collèges et universités de la province, dont l’Université de Calgary et l’Université de l’Alberta, admettent des étudiants qui ne pourraient normalement pas être admis en raison d’une déficience intellectuelle. Des entrevues remplacent le processus d’admission habituel. Les étudiants admis paient leurs frais de scolarité, ont accès à tous les services offerts aux autres étudiants, assistent aux cours réguliers et participent autant qu’ils le peuvent, avec l’aide d’accompagnateurs bénévoles. Les professeurs peuvent modifier la matière du cours afin de répondre aux besoins des étudiants. Le programme est similaire à celui des autres étudiants et les étudiants reçoivent une attestation au terme de leurs études.
Mais, pour bénéficier de ces programmes, Andrew devrait d’abord vivre en Alberta depuis au moins trois mois, être admissible au financement du programme provincial pour personnes souffrant de déficiences développementales, puis tenter d’être sélectionné pour occuper une place parmi les 85 qui sont offertes en moyenne chaque année, soit deux ou trois par établissement, 10 tout au plus.
Dans les années 1970, l’idée même qu’une université, ou tout autre établissement public, fasse un effort pour accommoder les étudiants ayant un handicap physique, aussi léger soit-il, était saugrenue. Aujourd’hui, cela va de soi au Canada.
« Dans 30 ans, je crois que nous verrons de la même façon les possibilités de véritable inclusion offertes dans le milieu universitaire aux Andrew de ce monde », écrit Mme Cunningham. Pour le moment, elle se demande néanmoins si Andrew aura la chance d’envoyer une demande d’admission.