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L’université comme moteur économique

Selon l'expert Mario Polèse, les chercheurs s'intéressent de plus en plus à la mobilisation des connaissances, mais sa portée reste difficile à cerner, et ce, particulièrement en région.

par MARIE LAMBERT-CHAN | 07 AVRIL 08

La mobilisation des connaissances est une expression fort à la mode depuis quelque temps chez les chercheurs et les organismes subventionnaires. Pourtant, la notion, selon laquelle les connaissances issues de la recherche universitaire sont transformées en actions concrètes dans l’intérêt de la société, est loin d’être nouvelle. « Le rapprochement entre les universitaires et le « vrai monde« est un enjeu qui préoccupe depuis toujours les gouvernements et les universités », remarque d’entrée de jeu Mario Polèse, professeur-chercheur au Centre Urbanisation, Culture et Société de l’Institut national de la recherche scientifique, à Montréal.

Que les chercheurs s’intéressent à la « mobilisation des connaissances « ou encore au « maillage » – une autre expression popularisée il y a plusieurs années -, ils doivent les associer aux besoins de la société, affirme M. Polèse. « On est condamné à rester dans nos nuages si on ne travaille qu’avec des statistiques froides, qui ont leur importance certes, mais qui ne possèdent pas la richesse du terrain », explique-t-il.

S’il existe un chercheur qui en sait quelque chose, c’est bien lui. Spécialiste de la dynamique territoriale des activités économiques, des politiques de développement économique régional et de l’économie des grandes villes, il arpente le Canada depuis des années afin de nourrir ses analyses. Il ne compte plus les études et les projets qu’il a réalisés pour les gouvernements canadien et québécois, divers groupes communautaires, le réseau des Sociétés d’aide au développement des collectivités du Québec, l’Agence de promotion économique du Canada Atlantique, la Banque mondiale, la Banque interaméricaine de développement, etc.

Bien que la mobilisation des connaissances soit nécessaire tant dans l’intérêt de la société que dans celle des chercheurs, sa portée reste difficile à cerner, et ce, particulièrement en région. Mario Polèse observe depuis longtemps l’impact des universités sur le développement économique régional. En juillet 1979, il publiait déjà une étude exploratoire sur le sujet, où il soulignait dès les premières pages que « l’université comme instrument potentiel de développement régional  » a un impact « très complexe, difficilement saisissable ».

Vingt-neuf ans plus tard, son constat demeure le même : « Le résultat de la présence d’une université et de ses chercheurs dans une région dépend des caractéristiques de l’établissement, du territoire et de la population. Bref, chaque cas demeure un cas d’espèce », indique-t-il.

Les exemples pour illustrer son propos ne manquent pas. Située au nord de la Finlande, à environ 150 kilomètres du cercle polaire arctique, la ville d’Oulu devrait être en déclin à l’image des autres bourgades environnantes, victimes de l’exode rural. Elle est pourtant devenue un des plus grands pôles technologiques du pays grâce à son université, l’Oulun Yliopisto.

« C’est un cas d’exception, commente Mario Polèse. Logiquement, la situation périphérique et le climat d’Oulu auraient dû lui nuire. Mais l’histoire a voulu que la deuxième plus grande université finlandaise « complète » y soit fondée au XXe siècle. Quand je dis une université « complète », ça veut surtout dire qu’elle possède une faculté de génie et une faculté de médecine. »

Selon lui, une université complète pourrait endiguer, voire renverser, le déclin d’une région. Attention cependant : cette affirmation n’est pas une norme, loin de là. Les caractéristiques de la région y jouent pour beaucoup. La ville de Sherbrooke, par exemple, affiche un développement réussi parce que ses atouts sont nombreux, notamment son emplacement géographique, non loin de Montréal et de la frontière américaine, qui constitue une situation idéale pour les industriels. Le rayonnement de l’Université de Sherbrooke, une université complète, ne peut que renforcer le succès de la ville et de ses environs.

Il en va autrement des universités du Québec à Chicoutimi, à Rimouski ou en Abitibi-Témiscamingue. « Avec toute la courtoisie que je leur dois, ces établissements sont des petites universités de sciences humaines. Aucune d’elle n’a une faculté de médecine ou de génie. Il est certain que la présence d’une université régionale est une bonne chose. Mais ce n’est pas suffisant pour s’assurer que ces régions se développeront, alors qu’elles se trouvent dans une situation de plus en plus périphérique dans un cadre continental. Cela pose un sérieux problème. »

Mario Polèse refuse toutefois de tomber dans le fatalisme. Ces régions ne s’éteindront pas, affirme-t-il. Cependant, elles seront assurément moins populeuses, et c’est une réalité avec laquelle les autorités devront composer. « On doit se sortir de la tête que le creux démographique implique forcément l’appauvrissement de la région et que, inversement, des stratégies de développement économique permettront de stopper ce déclin. Ce n’est pas vrai. »

C’est la thèse qu’il avançait avec Richard Shearmur dans l’étude publiée dans le journal Papers in Regional Science en mars 2006, intitulée « Why some regions will decline : A Canadian case study with thoughts on local development strategies ». Selon lui, les régions doivent songer à des stratégies de développement en fonction de leur niveau de population moins élevé.

« Il y a quelques années, raconte-t-il, je participais à un séminaire dans le nord de l’Ontario, où les choses vont vraiment mal. J’étais assis à côté d’un officier de développement local pour la ville de Thunder Bay. Ce dernier m’a expliqué que leur population est estimée aujourd’hui à 120 000 habitants, mais que, dans une quarantaine d’années, on ne comptera qu’environ 80 000 habitants à Thunder Bay. Leur objectif est de créer, d’ici là, une solide base économique qui assurera un bon niveau de revenu, d’emploi et de qualité de vie à leurs 80 000 habitants. »

Les régions doivent adopter cette attitude, « car on ne peut pas changer leur position géographique ni renverser leur déclin démographique », insiste M. Polèse. Cette nouvelle façon de penser est particulièrement essentielle quand on sait que l’université n’est parfois d’aucun secours, et ce, malgré la meilleure volonté du monde.

C’est le cas de l’île du Cap-Breton, en Nouvelle-Écosse, qui est « une catastrophe, surtout autour de la ville de Sydney, estime le professeur-chercheur. C’est une région froide, éloignée et dont l’économie est basée sur l’extraction de charbon. Or, comme on le sait, les régions minières ont toujours eu de la difficulté à se recycler. Résultat : les jeunes veulent faire leur vie ailleurs. » Et l’Université du Cape-Breton n’y peut pas grand-chose. « Elle fait un travail formidable auprès des jeunes, mais elle forme des gens qui ont l’intention de partir. J’ai interviewé plusieurs étudiants sur le campus et tous sont unanimes quant à leur désir de s’exiler après l’obtention de leur diplôme. »

L’efficacité du soutien qu’apporte une université à sa région est ainsi tributaire d’une conjoncture particulière, comme en fait foi l’expérience du Leslie Harris Centre of Regional Policy and Development de l’Université Memorial à Terre-Neuve-et-Labrador, dont l’objectif est de contribuer au développement socioéconomique de la province. La mobilisation des connaissances y a trouvé un terreau fertile, explique Mario Polèse. Le succès d’un groupe tel que ce centre dépend des personnes qui y œuvrent et du contexte dans lequel il se trouve. « Il faut qu’il soit très bien branché sur le pouvoir politique – qui est le consommateur des connaissances produites par la recherche – et qu’il puisse compter sur un leadership à la fois intellectuel et entrepreneurial. »

Pour M. Polèse, Rob Greenwood, directeur du centre, incarne ce leadership. « Derrière une organisation comme le centre Harris se trouvent toujours une ou deux personnes qui sont quasiment des missionnaires et qui ont cette capacité personnelle de « mobiliser » des universitaires, des hommes d’affaires, des groupes communautaires et des politiciens, et de les convaincre de travailler ensemble. C’est ça, la mobilisation des connaissances. Et ce n’est vraiment pas évident. Il faut avoir la foi pour y arriver et Rob Greenwood l’a. »

Ces différents exemples laissent dire au professeur-chercheur que, en dépit de quelques exceptions, l’université joue en général un rôle marginal, mais néanmoins positif dans le développement socioéconomique des régions. Sa seule présence physique constitue un symbole non négligeable dans la psyché régionale. « Dans une époque qui valorise l’économie du savoir, elle apporte un certain prestige à la région, pratiquement comme l’église pouvait le faire auparavant, analyse-t-il. Une région se sent un peu orpheline sans une université à laquelle on attribue quasiment une valeur identitaire. »

M. Polèse croit que la meilleure chose que les universités puissent faire pour apporter de l’eau au moulin des régions est de mener à bien leur mission d’origine : former des étudiants et faire de la recherche. Si elles le font bien, la mobilisation des connaissances coulera de source, ajoute-t-il. Il importe cependant de ne pas mettre la charrue avant les bœufs. « L’université ne doit pas se prendre pour un moteur de développement économique, conclut-il. Peut-être qu’elle le deviendra un jour, quand les organismes communautaires et l’état iront solliciter l’expertise de ses chercheurs, mais ce rôle doit lui être attribué grâce à l’accomplissement de sa mission et non l’inverse. »

Rédigé par
Marie Lambert-Chan
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