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Vous êtes sans doute joueur de basket…

Dans son ouvrage paru récemment chez Fernwood Publishing, You Must Be a Basketball Player: Rethinking Integration in the University, Anthony Stewart, professeur à l’Université Dalhousie, s’en prend à la « suprématie blanche » dans le milieu universitaire.

par ANTHONY STEWART | 08 FEV 10

Dans l’extrait reproduit, M. Stewart s’appuie sur son expérience personnelle pour démontrer que, au Canada, les universitaires issus des minorités visibles sont traités différemment de leurs collègues de race blanche, et souvent moins bien intégrés.

Le titre de l’ouvrage de M. Stewart évoque en fait un incident survenu lors d’un banquet où l’auteur, présenté à un juge néo-écossais nouvellement retraité, s’était vu lancer par celui-ci : « Vous êtes sans doute joueur de basket… ». À l’époque, M. Stewart s’était évidemment demandé s’il était déjà arrivé à ce juge, quand il siégeait, de se forger ainsi une opinion fondée sur l’apparence ou sur divers préjugés. Dans son ouvrage, M. Stewart pose d’ailleurs carrément la question : Qui peut prétendre éviter, en toutes circonstances, de tels jugements préconçus?

Selon M. Stewart, les chercheurs en sciences humaines, et notamment en philosophie, en histoire et en littérature, sont en principe tenus de faire preuve de rigueur quand ils s’expriment par écrit; ils doivent faire preuve de « désintéressement », comme l’exprimait en 1865 Matthew Arnold dans un essai. M. Stewart précise avoir « toujours apprécié la vision de M. Arnold, du moins en théorie. Le désintéressement, le refus d’une vision pragmatique des choses et la liberté de pensée exigent le respect des valeurs démocratiques que sont le mérite, l’objectivité et l’équité… ».

Toutefois, l’essai de M. Arnold date d’un temps où tous les universitaires européens étaient semblables : des hommes blancs issus des classes moyennes ou supérieures. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que M. Arnold ait eu, à l’époque, une telle certitude de la validité de ses affirmations. Selon M. Stewart, cependant, les gens de couleur adhèrent souvent à la « vision pragmatique des choses », que M. Arnold considère comme incompatible avec l’esprit critique. « Comment pourraient-ils faire autrement? », demande M. Stewart, avant de relater un autre incident à caractère racial survenu cette fois à Kingston, en Ontario, pendant ses études supérieures. Un incident qui l’a révolté et lui a finalement fait comprendre que « son parcours aux cycles supérieurs ne pouvait qu’être différent de celui de ses confrères étudiants ».

M. Stewart se remémore les propos tenus vers 1994 par Charles Mills, un professeur de philosophie à l’Université de l’Illinois. Afro-américain, M. Mills avait à l’époque expliqué qu’il comptait parmi la petite centaine de membres noirs, sur 11 000, de l’American Philosophical Association. Il affirmait que chaque fois qu’il voulait parler philosophie lors d’une ren-con-tre quelconque, il devait d’abord décliner ses titres et compétences. Ses collègues blancs n’avaient, eux, évidemment pas à se plier à ce genre d’exercice.

« Ces propos m’avaient frappé à l’époque, mais ils m’interpellent encore plus aujourd’hui, écrit M. Stewart. Cette impression de toujours devoir se justifier, expliquer à quel titre et de quel droit on se trouve là où on ne nous attendait pas… Cette insécurité, ce sentiment de faire constamment l’objet de soupçons dont parle M. Mills, quel universitaire de couleur ne les a pas connus au Canada? »

Ce qu’il faudrait, selon M. Stewart, ce n’est pas tant que les personnes de couleur commencent à s’assumer pleinement; c’est simplement que chaque universitaire prenne un peu mieux conscience de sa propre attitude. Tout en admettant que son accession au poste de professeur témoigne d’un certain progrès, M. Stewart déplore que l’on assimile trop souvent de telles avancées ponctuelles à la résolution globale du problème.

Conformément à l’approche qualifiée de « promotion sociale », les comités d’embauche universitaires sont tenus de se demander si le recrute-ment d’un candidat donné peut favoriser l’intégration des personnes de couleur. C’est tout ce qu’ils doivent se demander, précise M. Stewart : « L’embauche de ce candidat peut-elle favoriser l’intégration? Est-ce un objectif valable en soi? Hélas, la situation qui a cours au sein des trois plus importantes facultés de sciences humaines au Canada semble indiquer que ces questions ne sont que brièvement envisagées, puis vite écartées. Quand on ne s’empresse pas tout simplement d’y répondre par la négative… »

Rédigé par
Anthony Stewart
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  1. Aquila / 23 février 2010 à 10:31

    Lorsqu’on sait que plusieurs nations occidentales pratiquent la discrimination positive (affirmative action, ne pas embaucher d’homme blanc hétérosexuel et catholique pour privilégier les minorités), il est normal que l’on se demande si un non-blanc a obtenu un poste pour ses réelles qualités ou pour que la direction puisse atteindre un seuil de représentativité ethnique qui lui a été imposé.

    Ensuite, vouloir écrire un bouquin à cause d’un épisode personnel…s’il fallait que les blancs écrivent un livre toutes les fois qu’ils se font refuser un poste car « trop blanc » ou « trop mâle »…mais évidemment, dans la période historique actuelle, les blancs sont les seuls qui n’ont pas le droit de s’en sentir offusqué, comme si l’acceptation de la dimunution de sa présence serait bénéfique pour la poursuite du bien commun.

  2. Labonté / 24 février 2010 à 00:30

    Je ne pense pas qu’il s’agisse d’épisode personnel. Ce genre d’injustice existe bel et bien dans les universités canadiennes.

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