Qui d’entre nous n’a pas intérieurement poussé un cri après avoir reçu une évaluation par les pairs trop sévèrement jugée? La critique fait partie intégrante de l’expérience qu’il faut acquérir avant de publier. En fait, pour nous, néophytes de la publication savante, savoir réagir aux critiques des pairs représente sans doute une compétence essentielle à l’obtention d’un poste universitaire – et bien que bon nombre de doctorants ne l’avouent pas, la plupart caressent l’idée de devenir professeurs.
Les circonstances du marché font en sorte que les titulaires de doctorat frais émoulus doivent avoir de nombreuses publications à leur actif avant même de poser leur candidature à un poste de professeur. Bien que nous ayons personnellement connu du succès par les évaluations par les pairs, il a fallu en payer le prix. C’est bien connu, pour se tailler une place dans le milieu universitaire, il est essentiel de se faire une carapace. Et trop souvent on oublie que, pour en arriver à la carapace, il y a d’abord la formation de cals qui s’accompagne de grandes douleurs et de cris (avant la guérison).
Pour former leurs cals, les étudiants aux cycles supérieurs, comme les professeurs chevronnés, doivent apprendre à accepter et à réagir de manière collégiale aux coups portés par leurs pairs. Un apprentissage inévitable pour parvenir à publier ses travaux et à démontrer ses prouesses intellectuelles aux comités d’embauche et aux auditoires universitaires. Malheureusement, les étudiants sont souvent laissés à eux-mêmes pour apprendre comment transformer la douleur intérieure en quelque chose de productif. Savoir composer avec des émotions négatives, réagir stratégiquement aux évaluations anonymes, et négocier avec tact les relations avec le superviseur ou le comité sont toutes des compétences nécessaires pour participer au match universitaire.
Alors, après une planification soignée, nous avons mis au point et offert un atelier intitulé « Using Rejection for Success » (Transformer le rejet en réussite), appuyé par le département de sociologie et d’anthropologie et par le centre de développement pédagogique de l’Université Carleton. L’atelier était conçu pour inciter les étudiants à réfléchir aux manières d’utiliser la critique et le rejet du milieu universitaire comme une motivation à réussir, et à trouver des moyens de réagir aux commentaires des évaluateurs et des superviseurs. L’atelier avait deux principaux objectifs d’apprentissage. Le premier était de nature affective : reconnaître que le rejet, et tous les effets négatifs qui y sont associés, est un élément intrinsèquement lié à la réussite universitaire. Le deuxième, psychomoteur : comment décomposer la critique superficiellement intimidante en fragments de taille gérable.
Pour atteindre ces objectifs, nous avions divisé l’atelier en deux parties. La première présentait les évaluations sévères que nous avions reçues et qui suscitaient de fortes émotions négatives. Les participants devaient alors répondre aux questions : Si cette évaluation portait sur vos propres travaux, comment vous sentiriez-vous? Comment feriez-vous pour réagir de manière claire et professionnelle à ce texte tortueux et à caractère potentiellement offensant? La deuxième partie invitait les participants, regroupés deux par deux, à appliquer certaines des stratégies de la première partie à leurs propres travaux.
Nous avons bien l’intention d’offrir de nouveau cet atelier qui nous a permis de retenir deux principaux points. Tout d’abord d’apprendre à quel point le fait de mettre en commun sa vulnérabilité est efficace lorsque cela se passe en lieu sûr. Comme les étudiants aux cycles supérieurs sont souvent placés en situation de socialisation professionnelle hautement concurrentielle, nous avions annoncé et prévu que l’atelier leur permettrait de baisser la garde par rapport à la constante comparaison sociale.
Nous avons créé ce lieu, quoique temporaire, en donnant l’exemple. Ce sont nos propres évaluations qui ont servi d’études de cas. Les commentaires et l’appui de nos pairs dans cet environnement étaient rassurants et ont montré qu’il est tout à fait correct de parler à des pairs dignes de confiance des critiques qui nous sont adressées. Les professeurs aussi devraient prendre l’initiative de créer de tels lieux de soutien, car ils peuvent nous aider en parlant ouvertement de la manière dont ils ont su transformer le rejet en réussite, et nous guider au pays de la critique.
Ensuite, de manière plus générale, il est aussi ressorti de l’atelier que le discours portant sur le mentorat des étudiants aux cycles supérieurs doit englober la manière de les préparer à réagir aux critiques qu’ils reçoivent sur leurs travaux. Cet aspect est tout particulièrement important pour les étudiants qui commencent des études supérieures et qui n’ont probablement reçu auparavant que de brefs commentaires écrits dans la marge de leurs travaux. Le plus difficile lorsqu’on reçoit une critique directe pour la première fois, c’est de ne pas y être préparé. Dans le cadre de l’atelier, de nombreux étudiants qui songeaient à publier pour la première fois ont découvert à quoi s’attendre et comment s’y préparer sur les plans émotif et professionnel. Plus la préparation à ce douloureux marathon est efficace, plus rapidement nous trouverons des manières polies, professionnelles et productives de réagir.
Matthew Sanscartier et Matthew Johnston sont tous deux doctorants en troisième année au département de sociologie et d’anthropologie de l’Université Carleton.