« Tu devrais publier ce texte! » Voilà une phrase en apparence anodine que les universitaires ont tous déjà entendue. Intéressée par la question, lorsque j’étais étudiante aux cycles supérieurs, j’ai lu des ouvrages sur le sujet et suivi des ateliers pratiques. J’ai alors découvert qu’il était souhaitable d’écrire chaque jour. Si je me fie aux sources que j’ai consultées, cette habitude me permettrait d’être davantage concentrée sur mes travaux et d’acquérir de bons réflexes d’écriture en plus de faire de moi une meilleure rédactrice, plus productive. Les auteurs, blogueurs et animateurs d’ateliers se réclamaient d’une étude publiée par Robert Boice, professeur de psychologie à l’Université de l’État de New York qui, par des stratégies d’intervention précises, a démontré que les professeurs qui écrivaient tous les jours étaient les plus prolifiques et les plus créatifs.
En tant qu’étudiante assidue, je tenais à remettre ma thèse à temps et je me suis mise à écrire chaque jour. Mon horaire me le permettait. C’était, apparemment, la meilleure solution pour parvenir à mes fins. C’est alors que je me suis demandé s’il s’agissait de la seule stratégie efficace pour devenir un auteur universitaire fécond.
Selon de nombreuses sources, oui. Mais si on en croit l’étude d’Helen Sword, pas du tout! Son récent article paru dans le International Journal of Academic Development sous le titre «‘Write every day!’: a mantra dismantled » (écrire chaque jour : un mantra démantelé) dévoile que de nouvelles données empiriques prouvent que les auteurs universitaires prolifiques ont des pratiques d’écriture personnelles très variées. Seule une minorité d’entre eux écrivent chaque jour.
Mme Sword, directrice du Centre pour l’apprentissage et la recherche en éducation supérieure de l’Université d’Auckland en Nouvelle-Zélande, s’est entretenue avec 100 chercheurs universitaires qui se distinguaient par leur productivité ou étaient considérés par leurs pairs comme des auteurs accomplis. Les participants étaient issus de diverses disciplines et provenaient de 45 universités situées sur quatre continents. Elle a aussi soumis 1 223 participants (chercheurs postdoctoraux, étudiants au doctorat, personnel enseignant et rédacteurs professionnels universitaires) à un questionnaire anonyme distribué dans le cadre d’ateliers de perfectionnement rédactionnel qu’elle a donnés dans différents établissements et lors de conférences.
Mme Sword a été étonnée des résultats de son étude. En fait, elle s’attendait à confirmer le principe de base de M. Boice, alors qu’en réalité, moins de 13 pour cent des participants ont rapporté écrire ou vouloir écrire tous les jours. Elle mentionne qu’environ sept universitaires sur huit n’écrivent pas tous les jours et que des habitudes quotidiennes d’écriture ne constituent pas des marqueurs ou des indicateurs fiables garantissant le succès universitaire.
Les chercheurs universitaires avec lesquels elle s’est entretenue ont recours à différentes pratiques d’écriture. Certains écrivent la nuit, d’autres l’après-midi ou le matin. Certains écrivent seulement sur le campus, d’autres dans des cafés, à la maison ou dans des endroits tranquilles. Certains d’entre eux sont adeptes des séances d’écriture intensives alors que d’autres préfèrent les séances régulières. Il en ressort que les auteurs universitaires prolifiques adoptent des pratiques d’écriture qui correspondent à leurs préférences. Leurs habitudes varient, mais tous écrivent avec efficacité.
Ces résultats ne sont pas surprenants, et plutôt sensés, mais ils étaient difficiles à prévoir étant donné la prédominance du principe de M. Boice dans la documentation sur le sujet.
Dans son article, Mme Sword analyse brillamment la méthodologie de M. Boice et remet en question ses principales constatations. Elle découvre ainsi des failles dans son travail, particulièrement dans sa célèbre expérience de 1983 basée sur 27 professeurs répartis en trois groupes. En effet, la petite taille de la cohorte, sa limitation à un seul campus et le fait qu’elle était composée exclusivement de procrastinateurs autoproclamés laissent planer un doute sur la fiabilité des résultats. Aussi, dans le cadre de l’exercice, le groupe qui avait reçu la directive de n’écrire que lorsque c’était nécessaire était soumis à de nombreuses contraintes (dix personnes se sont désistées, ce qui indique, selon Mme Sword, que la méthodologie de M. Boice n’était pas adaptée à bien des universitaires).
De surcroît, Mme Sword fait remarquer que, pour justifier leurs propres méthodes et croyances, des universitaires ont souvent utilisé les résultats de M. Boice aveuglément ou de manière simpliste. Voilà pourquoi il faut remettre en question l’étude de M. Boice.
Pour ma part, je me lève tôt pour écrire de 30 à 45 minutes, six jours par semaine. Je tiens aussi un journal de mes séances d’écriture et pour me motiver à la tâche, je me mets en relation avec des réseaux d’auteurs. En d’autres mots, j’ai adopté plusieurs des pratiques suggérées par M. Boice. Elles ont fonctionné pour moi. J’écris et je publie mes travaux. Je vais certainement continuer à le faire, même si mes fonctions ne l’exigent pas.
Néanmoins, j’abandonne doucement cette méthode que j’ai adoptée avec enthousiasme il y a cinq ans, et je prône désormais « que chacun fasse ce qui fonctionne pour lui ».
Isabeau Iqbal est spécialiste en développement pédagogique au Centre pour l’enseignement, l’apprentissage et la technologie de l’Université de la Colombie-Britannique.