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Conseils carrière

Enseignement en ligne : « le médium est le message »

L’enseignement en ligne exige l’apprentissage de nouvelles compétences et la connaissance de son auditoire.

par HOWARD RAMOS & MARK C.J. STODDART | 15 JUIN 20

Contraints de passer à un environnement virtuel, les universités et leurs professeurs ont dû s’organiser rapidement pour offrir des conférences, des exposés, des réunions et tout le reste en ligne. La situation est angoissante pour les professeurs qui ont toujours eu un auditoire devant eux et des échanges en personne. Nous avons récemment assisté à des exposés virtuels et nos expériences ont été, à tout le moins, inégales : un mélange de prestations correctes, ratées ou ennuyeuses. Les mesures de distanciation demeureront en vigueur lors de la prochaine année universitaire, et selon toute vraisemblance, bon nombre des changements qui ont été apportés feront partie de notre « nouvelle normalité » après la pandémie. Il faudra donc apprendre à vivre avec le virus et, par le fait même, s’habituer à faire des exposés et à organiser des événements dans un environnement virtuel. À ce sujet, nous croyons que les études sur la technologie, les communications et les performances peuvent être riches en enseignements.

Nous devons prendre en considération les affordances (c’est-à-dire les atouts ou les opportunités) de la technologie et être assez humbles pour reconnaître que nous devons changer nos méthodes. À ce sujet, il est utile de prendre au sérieux l’observation de Marshall McLuhan selon laquelle « le médium est le message » et de s’intéresser aux études sur les médias et la performance. Le milieu universitaire pourra ainsi faire son entrée dans le XXIe siècle et profiter des nouvelles possibilités qu’il présente d’échanger des idées, de stimuler la découverte, de présenter de l’information et de mobiliser les connaissances auprès d’un vaste auditoire.

Les universitaires ont beaucoup à apprendre des youtubeurs, ces vidéastes Web au style visuel et dynamique qui maîtrisent l’art des brefs exposés et qui interagissent avec leurs abonnés au moyen de clavardage ou d’autres outils. Ce n’est pas en lisant un article, en projetant des présentations PowerPoint surchargées, en parlant d’une voix monotone et en restant statique que vous retiendrez l’attention de votre auditoire.

En raison des affordances de la technologie, les participants peuvent être tentés de faire plusieurs choses à la fois et de se laisser distraire par leurs courriels et leur fil d’actualités Twitter ou Facebook. Vous n’avez pas beaucoup de chances de captiver votre auditoire si vous utilisez Zoom pour lire un article à voix haute comme si vous étiez en répétition devant votre chat. Vous devriez plutôt envisager la possibilité de segmenter votre exposé et d’y intégrer des GIF animés, des vidéos ou d’autres liens intéressants.

L’éclairage, le son et la connexion Internet sont aussi à considérer lorsqu’on s’intéresse aux affordances de la technologie. La caméra est-elle placée dans le bon angle? L’éclairage est-il placé devant le conférencier de façon à illuminer son visage ou au contraire est-il placé derrière lui, lui donnant les airs du Parrain ou d’un personnage tout droit sorti d’un film noir? Les conférenciers doivent également porter attention au son transmis par leur micro. Il peut être intéressant d’utiliser un casque d’écoute ou un micro externe qui isole la voix et élimine les bruits de fond. Pensez aussi au fait que l’image pourrait figer et que la technologie ne permet pas à deux participants de parler en même temps. Soyez prêt à réagir à ces deux éventualités.

Enfin, les universitaires doivent tenir compte de l’auditoire auquel ils s’adressent. On pense ici à Josh Bernoff et à son judicieux conseil sur l’écriture, qui peut s’appliquer aux communications en général : considérez que le temps des participants est encore plus précieux que le vôtre. Il suffit de penser un tant soit peu à votre public. Les conférenciers doivent réfléchir à ce que ces participants en particulier doivent retenir de leur travail pour qu’ils changent d’opinion sur un sujet ou qu’ils améliorent leurs propres pratiques. S’ils le font, c’est qu’ils tiennent compte non seulement des affordances de leur exposé, mais aussi de celles de leur auditoire. Cette question est au cœur même de la performance et nous pouvons en tirer plusieurs leçons.

Les signaux envoyés par les participants ne sont pas les mêmes pendant une vidéoconférence et une conférence en personne. Les conférenciers doivent donc adapter le rythme de leur exposé en fonction des participants et réfléchir à ce qui pourrait les faire réagir. De ce point de vue, le contexte de leur exposé ressemble à celui des humoristes à la télévision ou des animateurs qui ont enregistré leur émission sans public pendant la pandémie. Les conférenciers peuvent aussi s’inspirer du modèle de mise en récit dynamique qui caractérise la baladodiffusion de bonne qualité. Ils devront alors apprendre à visualiser leur public et ses réactions, et à se servir de cette énergie pour poursuivre l’exposé. Les temps morts, les périodes de flottement et les décalages sont à éviter. C’est pour cette raison qu’il est important de garder le rythme.

Pour réussir sa transition vers un environnement virtuel, le milieu universitaire devra reconnaître que les exposés en ligne sont un genre à part entière, au même titre que les articles, les exposés, les citations dans les médias et les rapports, et que ce genre exige des compétences et des méthodes particulières. Les exposés virtuels et devant un public ne sont pas interchangeables. Les universitaires devront acquérir de nouvelles compétences, se familiariser avec les nouvelles affordances et tenir compte du type d’auditoire auquel ils s’adressent.

Faisons une analogie avec les genres musicaux pour bien comprendre. Même si vous êtes un guitariste de jazz exceptionnel, vous n’arriverez pas à maîtriser d’autres styles de musique si vous ne prenez pas le temps de décoder leurs conventions. Par exemple, Neil Peart du groupe Rush avait eu l’humilité de suivre des cours de jazz même s’il était considéré comme l’un des meilleurs batteurs de l’histoire du rock.

Qu’est-ce que cela signifie pour les universitaires? Vers qui doivent-ils se tourner pour se familiariser avec les affordances et les critères de performance pour les exposés virtuels? Nous leur recommandons de regarder du côté de ceux qui se sont approprié les plateformes médiatiques et qui ont réussi la transition, par exemple la génération Z, les youtubeurs, les baladodiffuseurs, les humoristes et les conteurs.

C’est donc dire qu’à titre d’universitaires, nous devons investir temps et énergie pour apprendre à faire des exposés virtuels captivants et de grande qualité. Si nous ne sommes pas prêts à faire l’effort de nous adapter aux affordances de l’enseignement en ligne, nous aurons toujours l’impression que les espaces virtuels sont de piètres substituts aux échanges en personne. Mais si nous arrivons à faire la transition, ce nouveau monde virtuel créera à long terme des espaces d’enseignement inclusifs et moins gourmands en carbone qui auront alors une place inestimable dans le répertoire des communications universitaires.

Howard Ramos est sociologue politique et professeur à l’Université Dalhousie. Mark C. J. Stoddart est professeur au département de sociologie de l’Université Memorial.

COMMENTAIRES
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  1. Denys Lamontagne / 18 juin 2020 à 13:23

    Très juste.
    Est-ce que l’affordance de cette attitude existe pour des chercheurs ? Comment valoriser leurs efforts pour améliorer leurs cours en ligne?

    Pour des départements qui valorisent essentiellement la recherche et peu l’enseignement, comment leur faire découvrir les avantages?

    À voir ce qu’ils infligent aux étudiants, je pense qu’on pourrait commencer de ce côté.

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