Trois heures du matin et je n’arrive pas à dormir. Je suis en nage et anxieux. Dans trois heures, je dois affronter 600 étudiants au premier cycle sans m’évanouir. Comme un athlète avant une compétition, je revois mentalement une à une les diapositives de mon exposé. Mon rythme cardiaque s’accélère. Comment un introverti, maniaque du génome, se retrouve-t-il dans une aussi fâcheuse situation?
Six mois plus tôt, le directeur du département m’avait présenté l’affaire sous un tout autre éclairage. « Dave, la génétique de deuxième année est un jeu d’enfant pour vous et tout à fait dans vos cordes. De plus, elle fait partie du programme de base en sciences biologiques et étoffera votre demande de permanence. Il s’agit d’une excellente occasion de parfaire vos compétences en enseignement », des compétences que je n’avais jusqu’ici mises à l’épreuve que dans le cadre d’un modeste séminaire. J’ai accepté d’emblée et quitté son bureau d’un pas assuré pour aussitôt chanceler à l’idée de me retrouver dans la salle 145, celle des sciences naturelles, la plus vaste du campus.
Arrivé au laboratoire une heure avant le cours, j’avale un café et passe en revue une dernière fois mes diapositives. (Je découvrirai que trop de répétitions et de café sont garants d’une performance mal assurée et dépassée). Je me dirige enfin vers la salle 145 et constate qu’une foule innombrable d’étudiants s’y engouffre.
L’appareillage de l’amphithéâtre s’avère plus compliqué que prévu. J’essaie d’actionner le système d’éclairage complexe et j’obtiens une salve d’applaudissements lorsque la salle tombe dans le noir le plus complet. Je projette ensuite ma boîte de réception de courriel sur deux immenses écrans haute définition. « Merde! », amplifie le système audio multicanaux alors que je me démène pour trouver ma présentation PowerPoint, que j’aurais dû laisser ouverte ou du moins accessible sur mon bureau MacBook. L’hilarité générale cède doucement place au silence. Je commence mon cours.
Perchés devant moi sur le podium, des dizaines de téléphones intelligents enregistrent tous mes bégaiements et vaines tentatives de blague. « Merde! », mais cette fois personne ne m’entend : les piles du microphone sont mortes. Un étudiant assis dans la première rangée pointe le doigt vers une petite boîte en carton remplie de piles. Je reprends bientôt où j’ai laissé, et je finis mon exposé 15 minutes trop tôt. Conjuguant les effets de la peur et du café Tim Hortons, j’étais devenu l’Usain Bolt des professeurs de biologie.
Avant même que je puisse me consoler en me disant qu’il me restait un cours de moins à donner avant la ligne d’arrivée, je suis assailli par une nuée d’étudiants qui me bombardent de questions. Je dirige tant bien que mal l’essaim vers le corridor; qu’à cela ne tienne, le cours suivant prévu dans la salle a maintenant du retard sur l’horaire.
De retour à mon bureau, je tente de travailler sur un texte. Impossible. L’expérience m’apprendra qu’après un cours, il vaut mieux aller se dégourdir les jambes ou se rendre au gym plutôt que d’essayer d’être productif. Je fixe mon écran d’ordinateur le regard vide, en pensant que, dans moins de 24 heures, je donnerai le même cours à un autre groupe de 600 étudiants. Pour chasser cette idée de mon esprit, je décide de répondre à quelques courriels. Juste ciel! J’ai 42 nouveaux courriels!
Au cours des mois suivants, les courriels continuent d’affluer. Ma boîte de réception devient un instrument de torture plutôt que de communication. J’apprendrai que les systèmes de gestion de cours en ligne, certes conçus pour rendre les enseignants furieux, sont aussi essentiels que les cours en classe – qui eût cru qu’une foire aux questions puisse être aussi utile?
L’examen de mi-trimestre : une autre grande initiation. Il faut passer d’une salle à une autre sur un total de neuf, dans quatre immeubles différents aux extrémités diamétralement opposées du campus. Mais, peu importe la salle, quelques minutes avant l’examen, je suis rapidement informé de toutes les erreurs grammaticales et logiques que j’ai trouvé le moyen de glisser dans quelques dizaines de questions à choix multiples, chacune d’entre elles ayant été rédigée à la sueur de mon front. Alors je réfléchis : a) je quitte mon emploi, b) je me mets à boire, c) je m’installe en Californie, ou d) toutes ces réponses.
À la fin du trimestre, mes étudiants ne se moquent plus de mon inexpérience et commencent à écouter mes cours, qui s’améliorent sans cesse. Je peux dorénavant changer des piles, manier le système d’éclairage des auditoriums et mener en troupeau de jeunes adultes dans les corridors comme un expert. Et chaque question d’examen est vérifiée deux fois plutôt qu’une.
En juin, j’ai reçu un épais dossier d’évaluations de cours, contenant des centaines de commentaires : certains cruels, d’autres hilarants ou constructifs. « M. Smith n’a pas la sagesse et l’expérience des professeurs plus anciens. » Bien vrai. Mais les commentaires comme « vous m’avez fait aimer la génétique, ce que je n’aurais jamais cru possible » m’encouragent à poursuivre et à croire que tout cela en vaut bien la peine.
David Smith est professeur adjoint en sciences biologiques à l’Université Western. On le trouve en ligne au arrogantgenome.com.