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Responsabilités potentielles

Un mentor doit savoir lâcher prise et prendre des risques

Votre rôle est de créer des conditions qui favorisent l’autonomie d’autrui.

par ANDRE COSTOPOULOS | 31 JUILLET 19

Le rôle du mentor n’est pas d’obtenir des résultats. Le mentorat, à l’instar d’autres formes de leadership, consiste à créer des conditions propices à l’épanouissement de l’autre et à l’atteinte de ses objectifs. Si vous avez bien fait votre travail et mis en place les conditions requises, la réussite de l’autre n’est plus de votre ressort. Si seulement…

Dans mes temps libres, j’aime piloter. J’ai appris à piloter au début de la quarantaine alors que j’étais déjà professeur et doyen associé. J’avais déjà fait beaucoup d’enseignement et de mentorat. Mes instructeurs de vol étaient tous au début de la vingtaine, et il s’agissait de leur premier véritable emploi. En m’abandonnant à leur enseignement, j’ai beaucoup appris sur le rôle de mentor et de professeur.

Mon moment d’apprentissage le plus intense, tant sur le plan du pilotage que du mentorat, s’est produit un matin lorsque, à la fin d’une séance où nous avions fait plusieurs exercices d’atterrissage, mon instructeur de vol m’a soudain demandé de le déposer en bout de piste et de redécoller, mais seul cette fois-ci. J’allais faire mon premier vol en solo.

Cette décision avait été prise par un jeunot dans la vingtaine avec lequel je n’avais volé que quelques heures. Comment savait-il que j’étais prêt? Comment pouvait-il prendre l’immense responsabilité de me laisser les commandes de cet engin fragile pour que je le fasse décoller tout seul, puis atterrir en un seul morceau sans blesser quiconque? Je me rappelle avoir médité ces questions en rentrant chez moi ce jour-là.

Si mon instructeur avait mal évalué mon état de préparation, s’il s’était trompé sur les conditions météorologiques ou sur un million d’autres facteurs, ou s’il n’avait pas créé les bonnes conditions pour mon premier vol en solo, les conséquences auraient pu être catastrophiques. J’ignore s’il a eu du mal à prendre cette décision, mais il n’en a rien laissé paraître et n’a jamais montré de doutes à mon égard. Il a simplement détaché sa ceinture, est descendu de l’avion et m’a dit d’y aller.

Je me suis souvenu de la fois où j’avais décidé de confier à des étudiants aux cycles supérieurs la supervision d’un groupe d’étudiants au premier cycle, sur un site archéologique. Je savais qu’ils étaient prêts à enseigner, à planifier et à effectuer un relevé et des fouilles. Ils étaient prêts à veiller à ce que tout le monde reste au chaud et au sec, mange et dorme suffisamment, bref à assurer le bien-être et la sécurité de toute l’équipe. Je savais qu’ils étaient prêts à servir de mentors aux plus jeunes. C’était ce qu’on attendait d’eux.

Mais par-dessus tout, je me suis demandé s’ils étaient prêts à faire face à l’inattendu? À une urgence? Avaient-ils développé les modèles mentaux nécessaires pour s’adapter rapidement à une situation qu’ils n’avaient encore jamais vécue? Ramèneraient-ils toute l’équipe saine et sauve?

Si la réponse était affirmative, je les laissais partir. Mais j’étais tout de même responsable de l’ensemble du projet et de la sécurité de tous; si l’expédition avait mal tourné, c’est moi qu’on aurait blâmé, personne d’autre. Malgré cela, je me souviens de ne pas avoir hésité. Je savais que toute hésitation de ma part signifiait qu’à mon avis, les étudiants n’étaient pas prêts. Ou plutôt, que je n’étais pas prêt à lâcher prise et à prendre un risque. Je ne me suis trompé qu’une seule fois, et malgré la gravité de la situation, personne n’a heureusement subi de conséquences à long terme.

En pilotage comme en archéologie, les mentors doivent souvent faire des choix difficiles, parfois même prendre des décisions de vie ou de mort. Cependant, les leçons qu’ils enseignent s’appliquent aussi au mentorat effectué tous les jours en classe, en laboratoire ou au travail.

Le rôle principal du mentor est de créer des conditions qui favorisent l’autonomie de l’autre et de le guider vers cette autonomie. Sa principale décision est de choisir le moment où lâcher prise tout en sachant qu’il n’exerce aucun contrôle sur les résultats, mais qu’il en demeure largement responsable, du moins pour un certain temps.

Cette décision est encore plus difficile puisque vos protégés, en voie d’autonomie, peuvent prendre des décisions différentes de ce que vous auriez décidé ou agir différemment de vous. Et c’est ce qui importe, justement! Si vous avez bien fait votre travail, ils accompliront de grandes choses auxquelles vous n’auriez pas pensé et prendront de bonnes décisions que vous n’auriez pas pu imaginer. Si seulement.

Pour le savoir, vous devez lâcher prise.

Andre Costopulos est vice-provost et doyen aux affaires étudiantes de l’Université de l’Alberta.

À PROPOS ANDRE COSTOPOULOS
André Costopoulos is the vice-provost and dean of students at the University of Alberta. Previously he served as dean of students at McGill University.
COMMENTAIRES
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  1. Yvon Chouinard / 1 août 2019 à 09:09

    Merci pour cette réflexion très inspirante et pertinente sur le rôle du mentor. J’ai relayé votre texte sur les réseaux sociaux de Mentorat Québec car vous avez bien décrit la difficulté pour les mentors de laisser aller leur mentoré quand ceux-ci sont prêts à sortir de leur zone de confort. L’envie qu’ont parfois certains mentors d’engendrer des « mini-moi » ou de se retrouver dans un mentoré qui leur ressemble est un obstacle à l’autonomie qui permet au mentoré de devenir ce qu’il est vraiment.

  2. Andre Costopoulos / 1 août 2019 à 10:42

    Yvon Chouinard: Oui, c’est tout à fait ça. Merci de votre commentaire.

  3. Guy Labrecque / 5 août 2019 à 14:33

    Merci pour ce partage d’expérience qui démontre bien l’importance d’apprendre à tous les âges et de personnes de tout âge!

    Pour travailler à l’encadrement académique d’étudiants-athlètes, je dois dire que l’expérience que vous présentez est très enrichissante. Merci!

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