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Thèsez-vous?

Le commun : une piste pour repenser la rédaction académique

Revisiter des initiatives sous la loupe des « communs » laisse plusieurs questions en suspens.

par SARA MATHIEU-C | 22 FEV 18

Dans un billet précédent (dans la section Conseils Carrière), je soulevais quatre logiques qui teintent le rapport des étudiants et des chercheurs à la rédaction et, plus largement, à la poursuite de leurs projets de recherche. Ce portrait a mené à des discussions très fertiles avec plusieurs étudiants. Je dois cette première chronique pour ce nouveau blogue à Felix Lebrun-Paré (maîtrise en sciences de l’environnement, Université du Québec à Montréal) avec qui je réfléchis activement à la question des « communs » comme référent pour repenser la rédaction académique.

Du besoin individuel à l’émergence d’une communauté

Le monde universitaire est souvent taxé d’individualiste. La limitation croissante des ressources, particulièrement dans certains secteurs, peut expliquer que les étudiants en viennent à opter pour une attitude compétitive et des choix dont l’unique fonction est de se démarquer de ses pairs. Néanmoins, des initiatives comme Thèsez-vous? laissent croire que ce contexte peut engendrer d’autres types de réactions, qui reposent davantage sur une mise en commun des préoccupations, des parcours et des ressources.

J’ai d’abord été candidement surprise par la grande popularité des activités de rédaction organisées par notre petite équipe. L’évaluation continue de nos activités a toutefois permis d’identifier des facteurs susceptibles d’expliquer ce vif intérêt. Au premier plan, ces activités répondent à un besoin immédiat : celui d’avancer sa rédaction dans la perspective de déposer le mémoire ou la thèse dans les délais prescrits. Rédiger en étant entouré de ses pairs permet de compenser pour des obstacles vécus par une majorité d’étudiants : baisse de motivation, mauvaise gestion du temps, isolement, etc. Mais, au-delà des séances de travail où les étudiants rédigent en parallèle, comment expliquer l’émergence d’une communauté dont l’interdépendance des membres est palpable et dépasse la simple participation aux activités proposées?

Tenter de définir un « commun de rédaction »

Fortement inspirée des écrits de Dardot et Laval (2014), un « commun de rédaction » pourrait être défini comme une coactivité où les étudiants s’engagent dans une tâche similaire qui, au-delà du simple fait de rédiger, contribue à une construction collective de ce qu’est la recherche. Ce « commun » émerge du fait qu’il y a quelque chose d’universel dans la pratique de la rédaction, à savoir que l’ensemble des étudiants, à un moment donné et dans des conditions similaires, s’engagent dans la même tâche, malgré d’importantes différences au niveau de leurs intérêts disciplinaires et leur positionnement épistémologique.

Ce « commun de rédaction » dépasse les activités ponctuelles. Il s’apparente à un cadre avec des règles plus ou moins explicites qui permettent de régir les interactions entre étudiants. Plus que des installations ergonomiques, par ailleurs favorables au bien-être et à l’efficacité personnelle des étudiants, le « commun de rédaction » propose une forme d’organisation où une vision individualiste et compétitive du passage aux cycles supérieurs se voit remplacée par une approche de copratique et de réciprocité. Ainsi, la rédaction se vit comme une expérience collective. Cette copratique permet aux étudiants de renouer avec un sentiment de compétence individuelle (« je retrouve le goût d’écrire », « je constate que je suis capable lorsque je suis dans des conditions adéquates ») et d’inscrire leur travail dans une démarche scientifique qui se voudrait coopérative (« je sens que je participe à quelque chose de plus grand que moi »).

Les règles qui régissent un tel commun supportent des interactions non hiérarchiques, l’entraide entre étudiants ainsi que la reconnaissance de la contribution potentielle de chacun à l’avancement des connaissances. Dans le cas de Thèsez-vous?, le caractère interdisciplinaire et interuniversitaire de l’ensemble des activités favorise le respect de ces règles implicites. De plus, le recours à des stratégies de gestion de temps permettent de maintenir une structure relativement uniforme d’une activité à l’autre, en plus de répondre au besoin individuel d’atteinte d’objectifs des étudiants. Par exemple, l’adaptation de la technique pomodoro à un contexte de groupe encadre les rencontres entre étudiants en prévoyant une alternance de périodes allouées à la production du travail scientifique et de périodes allouées aux échanges informels. Ces échanges sont essentiels pour solidariser la communauté.

Anticiper les dérives d’un « commun de rédaction »

Un tel « commun » paraît fragile, notamment, car il repose en grande partie sur l’engagement bénévole de ses membres. De plus, la formule n’est pas dégagée d’un risque réel de récupération par d’autres instances prioritairement intéressées par l’augmentation de la productivité scientifique individuelle des étudiants. Pour prémunir ce « commun de rédaction » d’influences néfastes et d’une récupération utilitariste, il semble préférable de le maintenir dans un espace intermédiaire, entre l’entreprise individuelle et son institutionnalisation par les universités ou l’État. Pour que cette coactivité demeure à l’abri de l’appropriation, son examen critique et récurrent est nécessaire. À ce propos, l’une des stratégies qui semble porteuse est l’adoption d’une approche « par et pour les étudiants », qui exige un renouvellement continu de la gouvernance. La visée d’une telle approche est de maintenir les étudiants au cœur d’un « commun de rédaction » et d’assurer l’ajustement de ses règles en fonction des transformations du système universitaire et de la société.

Revisiter des initiatives sous la loupe des « communs » laisse plusieurs questions en suspens et soulève son lot de tensions. Par exemple, on peut se demander si un tel environnement permet de diminuer les inégalités sociales entre les étudiants et, de façon plus concrète, quelles sont les stratégies à adopter pour ne pas reproduire les inégalités observées dans le milieu académique? On peut aussi se questionner sur la pertinence d’un réseau de « communs de rédaction » national ou international et quel est le degré d’adaptation culturelle nécessaire? Enfin, n’y a-t-il pas un risque d’enfermement au sein d’un « commun » au détriment d’une ouverture sur le monde? Ce qui mène à une question fondamentale : à quoi ressemblerait un « commun de rédaction » à travers lequel les étudiants se retrouvent, mais qui entretient un dialogue riche avec les différentes sphères de la société?

À PROPOS SARA MATHIEU-C
Sara Mathieu-C
Après un baccalauréat en sexologie, Sara Mathieu-C bifurque vers les sciences de l’éducation pour la maitrise, puis le doctorat. Dans le cadre de sa thèse, elle s’intéresse au design de jeu vidéo à des fins d’éducation à la sexualité. Elle est aussi cofondatrice de Thèsez-vous?, une étiquette qui lui colle à la peau et qui suscite une belle dose de bonheur, de fierté et de défis quotidiens. Inévitablement, ces engagements teintent ses propos.
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