Après avoir pris ma retraite en 2013, j’ai poursuivi les travaux de recherche sur les enjeux autochtones que j’avais menés pendant des décennies. L’annonce fracassante des 215 tombes anonymes retrouvées près du pensionnat autochtone de Kamloops est tombée en mai 2021. À mesure que la nouvelle faisait le tour du monde, on s’est bientôt mis à parler de « fosse commune ». Le premier ministre Justin Trudeau et une foule d’autres autorités ont vite exprimé leur solidarité avec la Première nation Tk’emlúps te Secwépem.
Mais quelque chose ne tournait pas rond, à mon sens. L’annonce s’appuyait sur les découvertes réalisées à l’aide d’un radar à pénétration de sol qui permet de trouver des objets souterrains sans pour autant cerner de sépulture, chose qui nécessite des fouilles. Je n’avais jamais encore mené de recherche sur ces pensionnats. J’ai donc pris contact avec un groupe d’universitaires qui avaient contribué à l’ouvrage From Truth Comes Reconciliation publié par le Frontier Centre for Public Policy plus tôt cette année-là. Très vite, je me suis retrouvé pris par des échanges de courriels avec une douzaine d’autres collègues, menant des recherches sur l’histoire de Kamloops ainsi que sur d’autres annonces qui sortaient sur des atrocités commises dans des pensionnats.
Lorsque nous avons voulu publier les résultats de nos travaux de recherche, qui remettaient en cause la thèse de la torture et du meurtre dans les pensionnats et de l’enterrement clandestin des victimes infantiles infortunées, les grands médias nous ont fermé leur porte. Ce fut choquant parce que cela faisait des décennies que nos articles figuraient périodiquement dans des presses universitaires, des publications revues pas les pairs et des quotidiens métropolitains. Nous avons donc opté pour des médias alternatifs, à savoir des sites Web et des revues en ligne comme Dorchester Review, Quillette, Unherd, True North, C2C et plusieurs autres.
Après quelques années de travail, une sélection des articles les plus intéressants a été publiée dans un ouvrage intitulé Grave Error : How the Media Misled Us (and the Truth about Residential Schools) (Grave erreur : comment les médias nous ont induits en erreur [et la vérité sur les pensionnats]). L’historien C.P. Champion et moi-même en avons assuré l’édition, tandis que la publication a été réalisée par la société de médias True North, avec la coopération de la revue The Dorchester Review. Le livre est vendu uniquement par l’entremise d’Amazon, qui s’est chargée de l’impression, du marketing et de la distribution.
Ce nouveau moyen de publication par une société de médias qui travaille par l’intermédiaire d’Amazon est rapide, efficace et plus rentable pour les auteures et auteurs que les presses universitaires ou même les éditeurs commerciaux classiques. Pourtant, je n’aurais probablement pas emprunté ce chemin si je n’étais pas à la retraite. Pendant mes 50 années de travail dans le milieu universitaire, je me souciais de publier mes articles dans de « bons endroits », à savoir des publications revues par les pairs et des presses universitaires. Désormais, je n’ai plus qu’à me soucier d’écrire un livre que les gens voudront acheter et lire. Plus de contrôle de textes! Adieu les responsables de l’acquisition de livres, les lectrices et lecteurs critiques et les comités de rédaction.
Toutes les personnes qui ont fait carrière dans la recherche universitaire savent que le modèle d’édition classique offre de nombreux avantages, puisque les responsables de l’acquisition de livres et les comités de rédaction veillent à ce que la qualité des publications soit à la hauteur de ce qui est attendu dans le milieu universitaire. De plus, les responsables de la lecture critique cernent les erreurs et font des propositions d’importance. La révision, quant à elle, permet d’avoir un manuscrit « propre ».
Cependant, ce modèle présente également de graves problèmes. D’abord, il produit beaucoup trop de livres que personne ne voudrait lire. Et le contrôle, aussi précieux soit-il, aboutit souvent à l’imposition d’un conformisme intellectuel étouffant. Souvent, les lectrices et lecteurs critiques ont travaillé sur des publications abordant des sujets connexes et hésitent à accepter des travaux de recherche qui leur sont contradictoires. Il est connu que si l’on ne respecte pas les règles du jeu telles que voulues par ces personnes, son travail de recherche risque de ne pas voir le jour. Il ne sera jamais publié et l’auteure ou l’auteur risque de ne pas être promu ou titularisé.
À un moment donné, j’ai réalisé que tout cela ne me concernait plus. Je pouvais désormais m’attaquer à un sujet polémique sans que mon gagne-pain soit en jeu.
Il ne s’agit pas seulement de l’histoire d’une personne à la retraite qui a du temps libre et un goût prononcé pour la controverse. Tout gouvernement démocratique dans une société libre s’appuie principalement sur des débats ouverts et la liberté d’expression. Il arrive parfois, dans les démocraties, qu’un consensus se forme autour d’un récit qui n’est tout simplement pas vrai. Sans la possibilité de remettre en question les idées reçues, de faire remarquer que l’empereur n’a pas d’habit du tout, l’erreur peut prendre de l’ampleur.
Les gens qui critiquent les idées reçues ont parfois tort. Peut-être les personnes ayant contribué à la rédaction du livre Grave Error se sont-elles trompées sur certains aspects des pensionnats. Telle est la nature des questions complexes liées aux affaires publiques. Généralement, on compte autant de gens du côté de la vérité que de l’erreur, et personne n’a entièrement raison ou entièrement tort. Mais il est toujours bon que les personnes qui adoptent le discours dominant soient capables et désireuses de le défendre. Cela rappelle ce qu’a écrit John Stuart Mill : « Celui qui ne connaît que ses propres arguments connaît mal sa cause. ».
C’est pourquoi le processus de tri est très important. Les opinions doivent être soumises à un examen minutieux afin que la vérité puisse finalement émerger. C’est là où les professeures et professeurs retraités peuvent jouer un rôle encore plus important que lorsqu’ils avaient un emploi. Grâce à leur relative immunité contre les représailles, ces personnes peuvent plus facilement se permettre de critiquer les croyances populaires. À raison ou à tort, leur remise en question est bénéfique pour la société.