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Zoom sur l'enseignement

Un flou entoure la confidentialité des données recueillies en classe

Faisons front commun pour demander l’intégration de mesures de protection des données à nos outils numériques d’enseignement.

par BONNIE STEWART | 12 OCT 22

Synonyme de rentrée, le mois de septembre me rend fébrile depuis la maternelle. Mais cette année, une pointe d’anxiété s’est ajoutée à la fébrilité.

Ce n’est pas seulement la reprise après la pandémie qui est en cause. Oui, le retour sur le campus après deux ans et demi d’enseignement en ligne a quelque chose de stressant (où ai-je mis ma carte d’accès, d’ailleurs?), mais, même si j’enseigne les technologies numériques, je suis heureuse de retrouver la dynamique d’une salle de classe.

Je suis anxieuse surtout parce que je me demande à quoi nous avons ouvert la porte.

Négligez-vous de lire les conditions d’utilisation des plateformes numériques? Vous n’êtes pas seul.e.s. Cocher « J’accepte » sans lire de quoi il en retourne, c’est une question de survie quand on est bombardé par des invitations de connexion, des témoins et des conditions que seul.e un.e avocat.e pourrait déchiffrer.

Mais à chaque clic, à chaque frappe – et même à chaque recherche supprimée – nous transmettons des données qui en disent long sur notre comportement. Ces données peuvent être vendues à des intermédiaires ou alimenter les interfaces d’intelligence artificielle ou la surveillance. Les infrastructures numériques contemporaines ont un prix : notre vie privée. Le capitalisme numérique nous a conditionné.e.s à voir ce sacrifice comme la rançon de la vie moderne. Sur le plan personnel, j’accepte quotidiennement ce pacte délicat.

En tant qu’enseignante par contre, je sens que ce n’est pas à moi de l’accepter. Je présente aux enseignant.e.s en formation les outils à leur disposition. En leur proposant une plateforme, je me porte implicitement garante de sa sécurité, non seulement pour mes étudiant.e.s, mais aussi pour toutes les classes qui leur seront confiées durant leur carrière.

Le fait est que les technologies de l’éducation évoluent si rapidement que je ne peux pas garantir la sécurité des données. Pendant la pandémie, l’éducation numérique a connu un véritable essor : les outils, tout comme leur utilisation, ont décuplé. Ces outils qui reposent sur les données en permettent l’extraction, si bien que les entreprises qui les fournissent ont accès aux recherches et aux habitudes de navigation des étudiant.e.s. Ces données peuvent donc tomber entre les mains des forces de l’ordre ou des compagnies d’assurance-vie. Il y a donc un risque non négligeable qu’en assistant simplement à mon cours, un.e étudiant.e expose par inadvertance des renseignements confidentiels, ce qui pourrait entraîner des conséquences bien concrètes.

Par ailleurs, les outils visant à assurer une surveillance numérique posent un risque. Certaines plateformes de surveillance d’examens créent des réseaux privatisés, qui recueillent non seulement chaque frappe, mais aussi des vidéos des étudiant.e.s et de l’intérieur de leur résidence. Ces outils sont parfois tellement stricts qu’ils interdisent aux étudiant.e.s de détourner le regard de l’écran pendant un examen. Ils peuvent en outre renforcer toutes sortes de préjugés sociétaux. Pendant la pandémie, certain.e.s étudiant.e.s racialisé.e.s n’ont pas pu accéder à leurs examens en ligne parce que les outils de surveillance n’arrivaient pas à reconnaître leur visage en raison de la couleur de leur peau. À mes yeux, ces risques ne sont pas acceptables sur le plan éthique.

Devrions-nous pour autant fermer nos ordinateurs et nous enfuir?

Je ne crois pas. J’ai consacré près de 20 ans de ma carrière à promouvoir les outils en ligne et en réseau qui favorisent la participation en éducation. Ils élargissent l’accès et facilitent même la création de liens. Les établissements et les conseils scolaires utilisent depuis longtemps des technologies pour organiser le travail et les communications des étudiant.e.s. Pendant la pandémie, bien des établissements ont offert des cours en direct par l’intermédiaire de Zoom et d’autres plateformes. Les enseignant.e.s ont aussi à leur disposition un éventail d’outils ayant une utilité précise : questionnaires, jeux, discussions, tableaux blancs numériques, et création d’affiches, de vidéos ou d’infographies. Ces outils sont précieux dans le contexte pédagogique d’aujourd’hui.

Or, les enseignant.e.s n’ont actuellement aucun moyen de rester au fait de la manière dont tous ces outils traitent les données.

Au début de la pandémie, je me suis demandé ce que mes collègues enseignant.e.s savaient des outils sur lesquels nous nous appuyions de plus en plus. J’ai mené à l’été 2020 un sondage sur les connaissances et les pratiques en matière de données des professeur.e.s d’université d’un peu partout dans le monde : plus de 300 personnes provenant de 26 pays y ont répondu. Elles enseignaient toutes en ligne à ce moment-là.

La conclusion : les enseignant.e.s ne lisent pas les conditions d’utilisation, même celles des outils qui ne proviennent pas de leur établissement. Nous ne savons pas où aboutissent vraiment les données de nos cours. Nous souhaitons que nos établissements prennent des décisions éthiques à l’égard des données des étudiant.e.s – ce point a été soulevé maintes fois dans le cadre du sondage et de l’étude qualitative de suivi que j’ai menée cette année – mais nous ne disposons pas de moyens accessibles et adaptés à notre réalité nous permettant de mieux comprendre la confidentialité des données et les risques qui y sont associés.

L’université, c’est l’un des seuls endroits dans notre société où l’on peut étudier la confidentialité des données de manière critique et savante. La gouvernance partagée d’une université repose par ailleurs sur le principe selon lequel les professeur.e.s connaissent les contextes et les infrastructures de l’établissement. Or, quand il est question de données, nous ne les connaissons généralement pas.

En septembre cette année, j’aurais donc été beaucoup moins anxieuse si les établissements accordaient clairement la priorité à la confidentialité des données et aux risques associés. On doit donner aux enseignant.e.s les moyens de comprendre l’ensemble des répercussions potentielles. Les données représentent la monnaie d’échange de ces outils qui facilitent l’enseignement. Et pourtant, aucun.e enseignant.e ne peut en assurer seul.e la sécurité : ces outils sont tout simplement trop nombreux, et il y a trop de conditions qui ne sont pas lues, ou qui ne traitent pas des questions éducationnelles ou éthiques.

Nous ne devons pas céder nos infrastructures d’enseignement à des sociétés ni à des intermédiaires. Nous pourrions unir nos forces et miser sur notre pouvoir d’approvisionnement collectif – tant sur les campus postsecondaires qu’à l’école primaire – pour exiger que les plateformes technologiques proposent des conditions de confidentialité des données claires, compréhensibles et axées sur l’éducation. Et en tant qu’établissements et enseignant.e.s, nous pourrions refuser d’utiliser les outils qui ne se conforment pas à cette exigence. Nous protégerions nos étudiant.e.s de l’extraction des données et de la surveillance, tout en les sensibilisant – ainsi que nous-mêmes – à la confidentialité dans le monde d’aujourd’hui.

Cela supposerait un changement de culture. Comme tout le monde cette dernière décennie, les enseignant.e.s ont adopté l’approche « cliquer oui et oublier » en matière de données.

Mais pour que la rentrée soit toujours associée à une joyeuse fébrilité, nous devons faire front commun pour demander l’intégration de mesures de protection des données aux outils numériques d’enseignement. C’est ainsi que nous pourrons proposer aux étudiant.e.s une éducation sûre et à la fine pointe.

À PROPOS BONNIE STEWART
Bonnie Stewart is an associate professor of Online Pedagogy and Workplace Learning in the faculty of education at the University of Windsor.
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