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L’Université devant la Commission Parent

par Gilles Dussault
Publié en avril 1963, vol. 4, no. 4

Il serait relativement assez facile de démontrer que la création d’une Commission Royale d’Enquête sur l’Enseignement dans le Québec a répondu à une impérieuse exigence de l’histoire: l’expansion vertigineuse de tous les secteurs du système scolaire après le second conflit mondial, l’explosion démographique de ces années d’après-guerre, la naissance publique d’une minorité aussi agissante que non-conformiste, un climat nouveau favorable à la liberté de pensée et de parole, voilà autant de facteurs qui devaient inévitablement forcer la société du Québec à s’interroger ouvertement sur son système d’enseignement.

Un événement précis occasionna l’institution de la Commission Royale : la demande de la Compagnie de Jésus de fonder à Montréal deux nouvelles universités. De sorte que dès le départ, les problèmes de l’enseignement supérieur exigeaient une attention spéciale tant des membres de la Commission que de ceux qui se présenteraient devant elle.

Plusieurs groupes et institutions ont traité, dans leurs mémoires, des problèmes de l’enseignement supérieur; mentionnons seulement les contributions les plus importantes : celles de McGill, de Laval, de l’Université de Montréal, de l’Université de Sher­brooke, de l’Association des professeurs de l’Université de Montréal, de la Commission universitaire de la Compagnie de Jésus, de l’Association d’Éducation du Québec. Quant au contenu des mémoires de ces groupes et institutions, il faut dire que le seul résumé de leurs propositions les plus importantes ne pourrait tenir dans les cadres d’un exposé de la dimension du présent article. Nous nous limiterons donc à développer un seul point, après avoir mentionné deux recommandations majeures et constantes.

La liberté des universités

Le rôle de plus en plus nécessaire et important qu’assume l’État dans le domaine de l’éducation, ne doit point entamer la liberté académique des universités. Celles-ci ont de toute évidence besoin d’argent pour remplir adéquatement leur mission. Mais l’aide financière de l’État détruirait ce qu’elle veut sauver, si elle entraînait une pression de la politique sur l’administration et la pensée des universités. L’indépendance et l’autonomie des universités est un bien sacré : pour dépolitiser le secours de l’État, tous les mémoires mentionnés plus haut s’entendent pour réclamer la création d’une Commission provinciale des Universités chargée d’évaluer les besoins des diverses institutions et de distribuer les subsides.

La recherche à l’université

Une université véritable ne saurait (être telle si, se limitant à la transmission de la science, elle ne consacrait pas le meilleur de ses énergies à l’acquisition du savoir, à la recherche. Transmettre sans se préoccuper de découvrir du neuf, cela se conçoit normalement d’une institution de niveau secondaire, non d’une université. Sur ce point encore, l’unanimité des universitaires du Québec est parfaite. D’où les diverses recommandations exigeant une aide financière accrue de l’État à la recherche, la fondation d’un Centre de recherches provincial, la preuve, de la part de toute université qui désire l’accréditation, qu’elle est en mesure d’entreprendre des recherches.

Le problème du baccalauréat

« L’enseignement au niveau des baccalauréats est, à n’en pas douter, le secteur névralgique de la question universitaire. » (Mémoire de l’Université de Montréal).

Ce « secteur névralgique » est un fardeau propre au secteur français de l’enseignement au Québec. Depuis des décades et des décades, les collèges classiques du Québec préparent leurs étudiants au baccalauréat ès arts, diplôme qui couronne huit années d’études dont le programme s’apparente à celui des lycées de France.

Par ailleurs, les universités françaises du Québec admettent dans leurs facultés et écoles bon nombre d’élèves n’ayant qu’une onzième ou une douzième année, s’obligeant par le fait même « de faire de l’enseignement secondaire et même de l’enseignement technique ». (idem)

La confusion est totale. Si elle se prolongeait encore, on en arriverait bientôt à voir nos universités dégénérer en maisons d’enseignement secondaire et les collèges classiques se transformer « en une centaine de pseudo­universités comptant chacune une poignée d’étudiants au niveau universitaire et s’occupant toutes principale­ment d’enseignement secondaire ». (Mémoire des professeurs de l’Université de Montréal). Coincé entre ces deux genres d’institution, et faisant figure de parent pauvre, le cours secondaire public, moins long que le cours classique, est de contenu extrêmement maigre.

Aucune des grandes institutions ou associations du Québec ne désire entretenir plus longtemps cette pénible équivoque : ni les universités (Montréal, Laval, Sherbrooke) qui reçoivent ces élèves venant du secondaire et coiffés d’un diplôme universitaire qu’elles-mêmes leur ont accordé jusqu’à ce jour; ni l’Association d’Éducation du Québec, ni la Commission Universitaire de la Compagnie de Jésus, qui comptent dans leurs rangs des hommes éminents qui ont fait carrière dans l’enseignement classique.

Une solution rallie les tendances les plus diverses. Elle consiste a mettre définitivement de côté le terme « Baccalauréat ès Arts » pour désigner le diplôme couronnant les études secondaires; à nommer ce diplôme « Certificat ou Baccalauréat d’études secondaires »; à diminuer le nombre d’années aujourd’hui nécessaires à l’obtention de ce certificat dans les collèges classiques et à l’augmenter dans le secteur public, pour le fixer à cinq ans disent certains, à sept ans disent d’autres, à six ans souhaitent la plupart; enfin à uniformiser, sous une seule autorité provinciale, les programmes très différents des actuels cours classique et cours secondaire public, pour ne constituer qu’une seule voie uniforme d’accès à l’université.

Quant au terme « Baccalauréat ès Arts », les professeurs de l’Université de Montréal veulent le bannir absolument du vocabulaire universitaire français du Québec, tandis que les autres institutions et associations le réservent au premier diplôme décerné par les facultés universitaires.

Distinguer les niveaux. Ce désir d’échapper à la confusion des termes révèle un désir d’échapper à la confusion des esprits. Ainsi distincts, les niveaux secondaire et universitaire pourront être clairement définis : le secondaire visant à la culture générale et l’universitaire à la spécialisation d’un savoir particulier. Il est encore un troisième niveau, le technique : il se distingue du secteur secondaire en ce qu’il vise à une formation utilitaire, et du secteur universitaire en ce qu’il se contente de transmettre les résultats des recherches menées dans les instituts et écoles techniques supérieurs, sans poursuivre lui-même ces recherches.

La multiplication des universités. La querelle qui occasionna l’institution de la Commission Parent s’apaise singulièrement à la lumière des principes énoncés jusqu’ici.

En premier lieu, il devient évident qu’une institution de niveau secondaire ne peut être le noyau d’une future université, à moins de renoncer aux fins et aux moyens propres à la tâche qu’elle poursuit.

Par ailleurs, personne ne nie qu’il faudra, à plus ou moins brève échéance, fonder de nouvelles universités au Québec, pour faire face à la vague montante de la population étudiante.

Si donc il faut fonder de nouvelles universités et si les institutions du niveau secondaire ne sont pas aptes à cette tâche, il reviendra aux universités elles-mêmes de prévoir et d’effectuer ces fondations. À cette fin, deux solutions sont mises de l’avant : ou la planification et la fondation sont confiées à la Commission provinciale des Universités; ou la planification relève de cette Commission et la fondation d’une université-mère. Ces solutions ne diffèrent pas absolument, car dans un cas comme dans l’autre les exigences pour la fondation d’une nouvelle université devront être sévères et porter, en particulier, sur le nombre des étudiants, la possibilité d’offrir l’enseignement dans les quatre branches usuelles des arts et des sciences, la capacité de mener des travaux de recherche, la qualité des bibliothèques et des laboratoires.

Quant au processus de fondation, les opinions sont plus diverses. Certains, les plus nombreux, verraient naître la nouvelle université à partir de collèges universitaires. D’autres la verraient se constituer à partir de facultés-succursales. Mais ici encore un point commun, et d’importance : les programmes des collèges universitaires ou des facultés-succursales demeureraient sous l’étroit contrôle de l’université-­mère ou de la Commission provinciale des Universités, jusqu’au moment de la « majorité » de l’université naissante. Autrement dit : seule l’université est habilitée à organiser et à diriger un enseignement de niveau universitaire.

Conclusion

On s’étonnera peut-être que nous n’ayons pas insisté davantage sur les différences et les oppositions d’opinion qu’on retrace clairement clans les mémoires présentés à la Commission Parent par les divers milieux universitaires du Québec. Forcés de maintenir notre exposé dans des limites raisonnables, nous ne pouvions à la fois indiquer les divergences et les traits communs. Nous avons préféré souligner ces derniers parce qu’ils nous semblent constituer la base sur laquelle les distingués Commissaires pourront établir une politique universitaire susceptible de réunir toutes les forces en présence en vue d’un renouvellement profond de la vie universitaire au Québec.

Gilles Dussault, École de Pédagogie et d’Orientation, Université Laval.

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