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Bonnes idées : Foire aux questions avec Louis Raymond

par JEAN-FRANÇOIS VENNE | 05 OCT 16

Commanditée par la Fédération des sciences humaines, cette série d’articles met en lumière d’éminents chercheurs qui présentent leurs bonnes idées pour un monde meilleur. Nous nous entretenons ce mois-ci avec Louis Raymond, professeur émérite à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR).

Innovation-Raymond-312Louis Raymond est un pionnier de l’étude des systèmes d’information appliqués à la gestion des petites et moyennes entreprises (PME). En plus d’être professeur émérite, il est professeur associé à l’École de gestion et membre de l’Institut de recherche sur les PME à l’UQTR. Sa vision de l’innovation fait une large place au transfert des connaissances de l’université vers les PME.

Comment en êtes-vous arrivé à vous intéresser aux systèmes d’information dans les PME?

J’ai fait partie de la toute première cohorte du programme informatique de l’Université de Montréal, duquel j’ai obtenu un baccalauréat en 1972 et une maîtrise en 1973. C’était la première fois, au Québec, que l’informatique avait son propre département indépendant, séparé de celui des mathématiques. Déjà, cela indiquait que l’ordinateur était en voie de dépasser son rôle de simple « machine à calculer » pour aller vers d’autres applications. Bien sûr, nous étions loin à l’époque de nous douter de l’omniprésence que l’informatique occuperait dans nos vies, tant individuelles qu’organisationnelles, quelques décennies plus tard!

À la fin des années 1970, l’informatique a commencé à se généraliser dans les très grandes entreprises, d’abord comme outil de calcul ou de gestion des transactions. Progressivement, cela a évolué vers les systèmes d’information que nous connaissons aujourd’hui, lesquels génèrent et surtout analysent des données essentielles aux prises de décision. Plusieurs théories ont été élaborées pour appuyer l’utilisation de ces systèmes dans les grandes entreprises, mais elles ne s’appliquaient pas nécessairement aux PME. J’ai été l’un des premiers chercheurs à étudier ces questions dans le contexte bien spécifique des entreprises de petite taille, et à fournir des modèles correspondant à leur réalité. Je me réjouis d’ailleurs de constater que mon article de thèse, publié en 1985 dans le MIS Quarterly, est toujours cité aujourd’hui.

Vos travaux vous ont amené à vous intéresser à l’innovation. Comment envisage-t-on ce concept dans la recherche universitaire?

Cela en étonnera peut-être certains, mais il n’y a pas de consensus dans le monde scientifique quant à la définition du mot innovation. Il s’agit d’un terme général recouvrant diverses réalités. C’est pourquoi la première chose que l’on peut lire dans un article scientifique portant sur ce sujet est une définition du type d’innovation dont il y sera question. Elle peut, par exemple, être « incrémentale », c’est-à-dire reposer sur une série de petites améliorations successives, ou radicale et apporter au marché un produit totalement novateur. Il peut aussi être question de changements faits à l’intérieur d’une entreprise, ne menant pas à la création de nouveaux produits ou services. On parlera alors d’innovation de procédé ou organisationnelle, visant à améliorer l’efficacité de l’entreprise. La recherche sur l’innovation débute donc forcément par une conceptualisation précise de ce qui sera étudié, afin de construire un objet d’étude pouvant être observé, mesuré, comparé, etc.

Il y a donc une part subjective dans la recherche sur l’innovation, reposant notamment sur la vision des chercheurs et les intérêts des entrepreneurs. Cela a-t-il eu un impact sur le développement des modèles théoriques?

Absolument. Théoriquement, la vision de l’innovation a beaucoup évolué au fil des ans. Au départ, les chercheurs accordaient beaucoup plus d’attention aux innovations radicales, mais de nos jours l’innovation « incrémentale » a la cote. Simplement parce qu’il a été constaté que cette dernière pouvait être autant, sinon plus, payante pour un grand nombre d’entreprises. De la même manière, on concevait surtout l’innovation, au départ, comme l’introduction de nouveaux produits sur le marché, alors que les volets organisationnels ou de procédés étaient plutôt négligés. Le modèle était, par exemple, le lancement de la machine à écrire électrique Selectric d’IBM. Cette innovation radicale a permis à l’entreprise de dominer le marché des machines à écrire pendant un quart de siècle à partir de son lancement en 1961. C’était spectaculaire.

Mais comment appliquer cela à des PME manufacturières? Je travaille beaucoup depuis 40 ans auprès de petites entreprises de fabrication, comme des ateliers d’usinage. Elles ne créent pas de produits, elles offrent leur capacité de production. Pour elles, l’innovation consiste d’abord et avant tout en l’amélioration de leurs compétences et de leur capacité. Par exemple, apprendre à créer des pièces en métal avec des « inserts » de plastique exige de marier deux technologies bien différentes. C’est à ce niveau-là que ça se joue.

La recherche sur l’innovation est aussi devenue multidisciplinaire, puisque les défis sur le terrain renvoient à plusieurs disciplines différentes. Je m’intéresse aux systèmes d’information, mais les enjeux de ceux-ci ne se limitent plus aux technologies de l’information, ils touchent entre autres aux ressources humaines et au marketing. Je dois donc forcément collaborer avec des chercheurs d’autres disciplines comme la psychologie industrielle, ou la sociologie. Sur le plan personnel, je crois que ces collaborations m’ont beaucoup fait évoluer en tant que chercheur en m’ouvrant de nouveaux horizons à l’extérieur de mon champ de recherche immédiat.

Quel est le rôle de l’université dans l’acquisition des connaissances en innovation et quel doit être son rapport avec les entreprises?

Je crois que ce rôle s’inscrit directement dans la troisième mission de l’université : les services à la collectivité. Nos travaux de recherche doivent bien sûr faire avancer les connaissances sur un plan théorique, mais il ne s’agit pas simplement d’écrire de brillants articles scientifiques. Ces connaissances doivent être transférées aux entreprises, ou encore appuyer la formulation de meilleures politiques publiques. Par exemple, un très grand nombre de programmes gouvernementaux misent sur l’appui à la R-D pour stimuler l’innovation. Or, la recherche universitaire démontre que la R-D est un déterminant assez faible de l’innovation. Plusieurs PME très innovantes ne font pas de R-D au sens propre. Les entreprises sont aussi de plus en plus tournées vers l’innovation ouverte, dans laquelle des partenaires, voire même des concurrents, collaborent à un projet. La recherche universitaire doit contribuer à adapter les politiques publiques à ces nouvelles réalités.

Quant au rapport entre l’université et les entreprises, il est double. Nos travaux de recherche exigent d’aller sur le terrain et d’échanger avec les entrepreneurs et les dirigeants d’usine. C’est là que se trouve notre matière. En retour, nous souhaitons bien entendu que nos résultats puissent les aider à résoudre certains problèmes, à prendre des décisions stratégiques et surtout à innover. Il ne s’agit donc pas d’une relation à sens unique. À l’UQTR, nous avons, par exemple, un programme conjoint de doctorat avec l’Université de Sherbrooke dans lequel les thèses doivent obligatoirement porter sur un problème constaté sur le terrain et contribuer à le résoudre. Cela suppose un équilibre entre la théorie et la pratique, afin de partir de problèmes bien concrets et de parvenir à les expliquer et à proposer des pistes de solution.

Jugez-vous que les connaissances générées à l’université sont efficacement transférées aux entreprises, notamment aux PME?

Le transfert des connaissances constitue une réelle difficulté. Au départ, le travail du chercheur est davantage de générer de la connaissance que de la transférer. Un bon transfert reposera donc sur des relais efficaces, comme des consultants, des journalistes scientifiques ou des organismes comme le Cefrio. À l’Institut de recherche sur les PME, nous organisons régulièrement des séminaires pour les entrepreneurs. Nous avons également créé l’outil diagnostic PDG® qui aide les entreprises à évaluer leur rendement et leur vulnérabilité en quelques heures, grâce à l’une des plus grosses bases de données sur les PME dans le monde. Ce sont de bons exemples du rôle constructif que nous pouvons jouer auprès des entrepreneurs.

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Plus d’infos: www.ideas-idees.ca/bonnes-idees

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