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À mon avis

Ai-je déjà été victime de racisme? Bien sûr!

Pourquoi prendre la parole maintenant et risquer de m’exposer aux horribles commentaires de ceux qui voudront démontrer ma moindre valeur? Parce qu’en ce moment, garder le silence, c’est être complice.

par MONICA MALY | 11 JUIN 20

Lorsque mon fils est né, mon premier réflexe n’a pas été de m’extasier devant lui, mais plutôt de craindre qu’il soit jugé pour la couleur de sa peau, et non pour la personne qu’il deviendrait. J’ai été la première étonnée de ces pensées. Au cœur de mes nuits blanches avec un nouveau-né, j’ai compris que tant de pureté et d’innocence ne pouvaient qu’attiser mes inquiétudes.

Les violences racistes qui sévissent sur ce continent m’ébranlent, mais elles ne m’étonnent pas. Malgré ma situation très confortable (j’ai le soutien indéfectible de mes équipes de recherche, de mes collègues, de mes étudiants et de mon extraordinaire partenaire de vie), j’ai vécu bien des choses qui expliquent mes craintes pour mon fils.

Je suis canadienne. J’ai la peau brune. Je ne compte plus les fois où l’on m’a demandé si j’ai déjà été victime de racisme. Cette question m’exaspère au plus haut point. Quand j’étais jeune et idéaliste, j’essayais d’y répondre pour éduquer les gens, parce que je ne comprenais pas encore d’où ou de qui le changement devait venir.

Chaque fois, mon interlocuteur se montrait sceptique (j’avais sûrement mal compris), sur la défensive ou agressif. Je n’ai jamais été agressée physiquement à cause de la couleur de ma peau, mais on m’a craché dessus à deux reprises. Très souvent, on me questionnait sur le racisme (ce n’était jamais le contraire) et, au lieu de m’écouter, on concluait que j’étais fragile ou sensible. Mon opinion sur l’existence du racisme au Canada valait en quelque sorte moins que celle de mon interlocuteur. Je n’avais pas intérêt à la divulguer.

Pourquoi prendre la parole maintenant et risquer de m’exposer aux horribles commentaires de ceux qui voudront démontrer ma moindre valeur? Parce qu’en ce moment, garder le silence, c’est être complice. N’étant ni noire ni autochtone, je ne peux pas comprendre la réalité de ceux qui le sont. Mais je sais que nous avons désespérément besoin d’écouter ces personnes et que nous devons cesser de faire comme si la couleur de la peau ne nous importait pas (« je ne vois pas les couleurs ») pour reconnaître ouvertement que le racisme existe au Canada. J’ose donc enfin le dire : bien sûr que j’ai été victime de racisme, de façon directe comme insidieuse.

  • À plus de trois reprises, des gens ont explicitement refusé que je leur prodigue des soins à cause de la couleur de ma peau.
  • À plus de cinq reprises, un associé aux ventes a refusé de me donner un article se trouvant derrière une vitrine sous prétexte « qu’il coûtait très cher ».
  • À plus de cinq reprises, on m’a sérieusement conseillé de ne pas avoir d’enfants avec mon conjoint blanc pour éviter que ma progéniture métissée soit victime de racisme. Un de ces conseils provenait d’un pur inconnu qui nous a accostés en pleine rue.
  • Des « statistiques » et des symboles raciaux haineux ont été tracés sur le trottoir de mon quartier et sur du mobilier à mon lieu de travail.
  • On m’a proféré des insultes racistes plus d’une centaine de fois. Leur fréquence et leur nature ont évolué au fil du temps (entre autres après les attentats du 11 septembre). Seulement certaines insultes ciblaient directement mon ethnicité. Je ne compte plus les fois où on m’a traitée de négresse. Cette étrange expérience m’a donné l’impression d’avoir une dette envers les Noirs du Canada. J’ai essuyé la plupart de ces injures quand j’étais petite, et elles ont forgé la perception que j’ai de ma valeur dans la société.
  • Mon premier mandat de conférencière à une réunion scientifique internationale a failli tomber à l’eau parce que j’étais détenue à la frontière américaine (sans aucune explication), où j’ai été interrogée et fouillée par six agents des services frontaliers. J’ai raté ma correspondance. Je me sentais bouleversée, agitée et violée, mais je devais quand même prendre la parole devant des centaines de personnes. Lorsque je me rends seule aux États-Unis, je fais régulièrement l’objet de contrôles aléatoires. Ça ne m’arrive pourtant jamais lorsque je voyage avec mon mari, qui est blanc. Et avant que vous le demandiez, je n’ai aucune contravention de stationnement impayée.
  • À plus de dix reprises, on m’a expliqué que je devais mon poste actuel à la couleur de ma peau (plutôt qu’à mes compétences). Ces commentaires m’irritent beaucoup parce que je me suis démenée pour mériter mon poste. Je fais du bon travail.
  • En première année, j’ai demandé à mes parents pourquoi les blancs voulaient bronzer alors qu’ils n’aimaient pas la peau brune. Je n’ai toujours pas la réponse à cette question.

On me dit que j’ai de la chance de ne pas vivre aux États-Unis. C’est vrai, j’ai de la chance de vivre au Canada, comme tous les Canadiens, et pour de nombreuses raisons. Les événements actuels aux États-Unis me brisent tout simplement le cœur. Mais ne vous méprenez pas : on assiste à des cas d’extrême violence raciale au Canada, en particulier envers les citoyens noirs et autochtones.

Ces événements violents sont le visage le plus horrible de l’expérience raciste, mais l’accumulation d’incidents isolés et cachés est aussi profondément dommageable pour nos étudiants, nos collègues et nos voisins. Refuser de voir la couleur d’une personne, c’est refuser de la voir dans son entièreté et de reconnaître ses expériences. C’est aussi refuser de prendre conscience de nos préjugés quotidiens fondés sur les caractéristiques raciales (et de les remettre en question), alors qu’ils ont de véritables conséquences. Pensez-y : pourquoi y a-t-il un problème d’Autochtones disparus et assassinés au Canada? Pourquoi la proportion d’étudiants dans les établissements d’enseignement supérieur n’est-elle pas représentative de la population? Pourquoi la COVID-19 touche-t-elle davantage les personnes de couleur que les autres?

J’observe le désir de changement actuel et j’espère qu’il est sincère, mais je crains que ce ne soit pas le cas. J’ai peur qu’il y ait un contrecoup encore pire. J’ai peur pour mon fils. J’ai peur de ne pas arriver à lui apprendre à respecter l’autorité et à lui faire confiance, mais aussi à la craindre. J’ai peur de sa colère lorsqu’il tentera de mettre le tout en pratique. J’ai peur de le supplier de tracer son propre chemin plutôt que de lutter contre le racisme, car je ne crois pas qu’il sera entendu ou respecté. Je suis en colère que tant de parents n’aient pas à apprendre ces choses à leurs enfants, et que la réalité soit encore pire pour les enfants noirs et autochtones. Je craignais auparavant que mon fils n’ait pas les mêmes chances que les autres. Mais à la lumière des récents événements, je crains pour son intégrité physique et mentale et pour son avenir. J’ai peur que mon fils rentre à la maison en pleurant après avoir subi des injures racistes. Et c’est ce qui se produira si rien ne change.

Monica R. Maly est professeure agrégée en kinésiologie à la faculté des sciences de la santé appliquées de l’Université de Waterloo.

COMMENTAIRES
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  1. Youssouf Aboulhouda / 12 juin 2020 à 10:27

    Que je vous comprends trop bien ayant vécu pratiquement les mêmes méfaits! Vivons avec l’espoir qu’un jour le changement aura lieu enfin!.

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