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À mon avis

Ce que l’impression d’être un étudiant abruti m’a permis d’apprendre

J’ai regardé autour de moi, et il m’est alors paru évident que j’étais le seul à ne pas comprendre les instructions.

par VESELIN JUNGIC | 06 FEV 19

J’ai récemment été invité à présenter un exposé aux participants d’un atelier international sur le thème du raisonnement mathématique. J’ai accepté cette invitation avec enthousiasme : j’allais passer du temps avec un groupe de chercheurs réputés et émergents et participer à des conversations intelligentes sur un sujet qui me tient à cœur depuis longtemps.

L’atelier avait attiré un groupe de participants très diversifié. On y trouvait de nombreux étudiants aux cycles supérieurs et de chercheurs postdoctoraux, plusieurs mathématiciens, un nombre considérable de chercheurs en enseignement des mathématiques de même que des spécialistes de l’enseignement, des administrateurs et des universitaires d’autres domaines, comme les sciences cognitives et les sciences informatiques.

Parmi les conférenciers figuraient deux chercheurs des États-Unis qui faisaient un exposé sur le lien entre les mathématiques et la danse. L’homme était danseur et chorégraphe, et pionnier de l’enseignement et de la promotion des mathématiques par la danse. La femme, une mathématicienne, utilisait la danse pour enseigner les mathématiques à des étudiants au premier cycle et se servait des résultats pour mener des recherches.

Ils faisaient leur exposé en deux parties. Dans la première, ils faisaient la démonstration d’une activité qu’ils pratiquaient avec leurs étudiants ou des personnes simplement intéressées par leurs travaux. Dans la deuxième partie, ils présentaient leurs travaux sur l’utilisation de la danse comme méthode d’enseignement des concepts mathématiques pour aider les étudiants à mieux comprendre certains sujets et à améliorer leur attitude envers les mathématiques.

Pour la première partie, les participants de l’atelier étaient conviés à la salle de concert locale. Une magnifique salle de spectacle vieille de 80 ans, caractérisée par son architecture baroque espagnole, nous était réservée.

Après nous avoir confirmé qu’aucune expérience en danse n’était nécessaire pour l’atelier, les animateurs nous ont invités à faire des étirements, puis une série de mouvements simples. Ils étaient tous deux indéniablement très habiles, surtout avec des participants tels que nous. Patients et encourageants, ils répétaient leurs instructions et nous invitaient à poser des questions pour dissiper tout malentendu possible.

Malgré cela, et même si j’étais déterminé à faire de mon mieux, je me suis presque instantanément senti mal à l’aise dans cette situation nouvelle pour moi. Je n’étais pas certain de bien entendre, comprendre ou suivre les instructions. Et comme je ne voulais pas avoir l’air ignorant, il était hors de question que je pose des questions. J’ai regardé autour de moi et j’ai eu l’impression que tous les autres participants s’amusaient. Il m’est alors paru évident que j’étais le seul à ne pas comprendre les instructions. Je m’étais heureusement stratégiquement placé en périphérie de la salle. Personne ne pouvait donc vraiment voir mes prouesses.

Mais je ne suis pas resté caché bien longtemps. Pour l’activité suivante, nous devions travailler en duo. Heureusement, une collègue que j’avais rencontrée à une conférence quelques années auparavant se trouvait à côté de moi. Je la savais attentionnée et bienveillante. Et, en effet, durant cette activité, elle a tout fait pour m’aider à suivre les instructions à la lettre. Par exemple, nous devions à un certain moment prendre une position et attendre que notre partenaire nous imite. Quand ma collègue a réalisé que je prenais un temps fou à coordonner mes mouvements selon les instructions reçues, elle a simplifié notre séquence d’exercices en m’expliquant patiemment les mouvements à exécuter. Je la remerciai intérieurement.

Les instructeurs nous ont ensuite demandé de former des groupes de trois ou quatre. Notre nouvelle partenaire était une universitaire reconnue, dont les livres et les travaux ont façonné son champ de recherche et les politiques de son pays en enseignement des mathématiques. Il s’est avéré qu’elle était aussi une danseuse chevronnée.

Dès le premier exercice de groupe, j’ai bien vu son sourire s’effacer. Elle m’a semblé très déçue par mon manque de coordination. Et j’ai cru lire dans ses yeux qu’elle me trouvait idiot. J’ai ardemment souhaité être ailleurs à ce moment-là. Pour mettre fin à ce malaise, ma collègue a suggéré que je me place au centre pendant l’exercice (qui consistait à illustrer la notion géométrique de translation), alors qu’elle resterait derrière moi pour corriger mes « erreurs ». Notre émérite partenaire semblait alors vouloir elle aussi être ailleurs.

Quand les animateurs nous ont réunis à la fin de l’activité, j’ai compris que tous les groupes avaient réussi à illustrer au moins un des quatre types de symétrie de base suivants : la translation, la rotation, la réflexion et la réflexion avec translation. Une belle réussite!

Le lundi matin suivant, je donnais mon cours de calcul, encore sous les effets du décalage horaire. J’ai regardé mes étudiants et me suis demandé : « Comment leur faire comprendre qu’ils peuvent me demander plus de temps, d’attention et d’aide pour bien saisir la matière, développer leurs aptitudes et acquérir des compétences? » Ce sentiment que j’ai ressenti quand j’ai eu l’impression d’être un abruti m’aidera, je l’espère, à être un meilleur enseignant.

Veselin Jungic est lauréat d’un prix national 3M en enseignement et professeur au Département de mathématique de l’Université Simon Fraser.

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