Ayant récemment étudié à la maîtrise à l’Université Carleton, j’ai été perplexe de recevoir cet hiver un courriel annonçant la tenue d’un concours de soutenance en 180 secondes, un événement qui séduit actuellement les universités canadiennes. Dans le cadre de ce concours, des étudiants à la maîtrise et au doctorat doivent expliquer leurs travaux de recherche souvent complexes en trois minutes ou moins à des juges et à un auditoire dans l’espoir de gagner un prix en argent.
Au premier abord, je ne peux m’empêcher de voir en ce concours de popularité grandissante, appelé également concours 3MT (de l’anglais 3 minutes thesis), l’antithèse même d’une thèse, un exercice de style jeu-questionnaire ayant le potentiel de réduire les grandes réflexions et la recherche universitaire en bouillie. À mes yeux, le concours de soutenance en 180 secondes soulève une grande question : les chercheurs universitaires ont-ils raison ou non de vouloir passer à une ère de capacité d’attention limitée, de vouloir intégrer un monde où il faut dire les choses succinctement ou bien se taire?
Ayant exercé longtemps le métier de journaliste, mon retour à l’université il y a deux ans a été un agréable changement qui m’a donné la possibilité d’approfondir les choses. Ce concours n’a-t-il pas pour effet de réduire la tour d’ivoire en cave d’ivoire? Ne se veut-il pas une façon d’encourager l’argumentaire de vente au détriment de la substance? Les lauréats auront-ils le droit de considérer leurs victoires comme des compétences universitaires?
À tout le moins sceptique, j’ai cherché à en apprendre davantage sur l’origine de ce concours. Ainsi, le concours a vu le jour en Australie en 2008. Trois ans plus tard, l’Université de la Colombie-Britannique était la première université nord-américaine à adopter le concept. Le concours s’est par la suite propagé dans tout le Canada : des dizaines d’universités ont en effet tenu le concours de soutenance en 180 secondes au cours du printemps. L’Ontario et le Québec ont par ailleurs décidé d’organiser un concours à l’échelle provinciale, ce qui suppose qu’un concours à l’échelle nationale pourrait avoir lieu d’ici un an ou deux.
Selon les universités, le concours vise à perfectionner les aptitudes en communication, à réduire les idées à leur plus simple expression afin de les rendre à la portée de tous ainsi qu’à donner vie à la recherche en ancrant le milieu universitaire dans le réel. Ces objectifs sont assurément louables, car on reproche depuis trop longtemps au milieu universitaire d’être déconnecté de la réalité. Mais on peut quand même s’interroger.
C’est pourquoi j’ai abordé l’étape suivante : assister au concours qui se tenait cette année à l’Université Carleton à la fin du mois de mars, afin de vérifier s’il m’était possible d’appréhender favorablement le concept de concours éclair.
J’en ai tiré deux conclusions. D’abord, le concours n’avait pas un caractère très officiel. Bon nombre des chercheurs concurrents étaient nerveux et peu versés dans l’art oratoire. De fait, peu d’entre eux ont su rendre justice à leur thèse. Ensuite, fait notable, presque tous les finalistes évoluaient dans le secteur des sciences plutôt que dans celui des sciences humaines. Comme l’indiquait Russell Smith, journaliste au Globe and Mail, dans un article : la grande majorité des participants sont des étudiants en sciences, car les recherches en sciences humaines sont parfois plus difficiles à expliquer que les recherches scientifiques, quel que soit leur degré de complexité. Ainsi, à l’Université Carleton, le gagnant du concours, dont la présentation était par ailleurs remarquable, est un étudiant en génie aux cycles supérieurs dont la thèse porte sur l’évaporation des queues de distillation épaissies des sables bitumineux et la remise en état des sols.
Le concours de soutenance en 180 secondes n’est pas le seul événement qui tente d’alléger la recherche universitaire. Des concours de physique (en anglais Physics Slams), dans le cadre desquels des physiciens montent sur scène pour expliquer des idées scientifiquement complexes, commencent aussi à se répandre aux États-Unis et en Europe. Dans de tels concours, le gagnant est établi en fonction des applaudissements de l’auditoire. Il existe aussi un blogue populaire où on doit présenter sa thèse sous forme de haïku (Dissertation Haiku) et un concours où l’étudiant au doctorat dont la vidéo de danse exprime le mieux la thèse remporte 1 000 $. Selon la page Facebook du concours, l’événement est commandité depuis quelques années par TEDx Brussels, organisateur d’événements Ted-Talks.
Le concours de soutenance en 180 secondes, pionnier du mouvement visant à propulser la recherche universitaire au rang de présentation éclair, offre maintenant des ateliers préparatoires et des guides pratiques. Ceux-ci fournissent des conseils sur la posture, le langage non verbal et l’intonation, des remèdes contre la voix enrouée, des astuces pour avoir belle apparence et des trucs pour faire oublier qu’on est universitaire (!). À l’Université de Melbourne, on conseille ainsi aux candidats d’éviter la terminologie universitaire, notamment le terme « traité », puisque ce mot n’est pratiquement pas usité dans le monde non universitaire, alors qu’à l’Université du Queensland, on leur dit « oubliez tout ce que vous connaissez des présentations scientifiques… et assurez-vous par tous les moyens d’expliquer ce que vous faites, mais de grâce, omettez les détails!
Vers où cela nous mènera-t-il? Un lecteur d’Affaires universitaires a récemment suggéré d’organiser un concours où on demanderait aux participants de microbloguer leur thèse et de ramener le contenu de leurs travaux de recherche à 140 caractères ou moins afin de le publier sur Twitter. Peut-être devrais-je me calmer un peu et accepter la simplification de la recherche universitaire en cette ère où la nouvelle brève règne en maître. Je pourrais d’ailleurs amorcer ma démarche en donnant un nom accrocheur à un concours de microblogue : le concours Twitthèse.
Il ne faut pas résumer l’univers de la communication, de la vulgarisation et du journalisme, à ce concours. Les universitaires sont libres d’y participer ou non. Mais en tant qu’ancienne journaliste, vous devez certainement avoir constaté que, devant la surabondance d’information qui est notre lot, quiconque veut rejoindre un public autre que celui déjà gagné d’avance à un sujet, est condamné à faire plus court. Cet exercice en 180 secondes n’est qu’un exercice possible parmi plusieurs, les uns plus courts encore, les autres plus longs: certains sujets s’y prêtent mieux que d’autres.
L’on ne saurait d’emblée décorer ou condamner le « 3MT » sans avoir préalablement mené une étude scientifique sérieuse qui s’arc-bouterait principalement sur les sciences du langage, la psychologie et la discipline de compétition du chercheur. Tout nous ramène finalement à la science, mais plus précisément à l' »objet » auquel se rapportent toutes les sciences: l’Homme. Peut-on prétendre tirer le meilleur du chercheur et de sa science en l’éprouvant dans un exercice de vitesse où il doit davantage combler les exigences des juges et du public au détriment de sa recherche? – La question se rapporte aussi bien à l’humain, à la science et sa déontologie. Dans un style de communication propre aux réseaux sociaux (Twitter, Facebook, etc.), le concept « 3MT » témoigne d’une facilité de communication/vulgarisation du savoir en même temps qu’il participe d’une célébration de l’excellence. Il est très tôt pour prendre position en faveur ou contre le « 3MT », mais l’on ne devrait pas perdre de vue que la science, comme toutes les activités humaines, se doit de s’arrimer aux changements communicationnels que l’évolution du monde nous impose. Comment pourrait-elle s’en détourner puisque c’est elle qui a toujours mené et dicté les différentes mutations du monde? – En tout état de cause, des initiatives comme celles-là, la recherche africaine en a bien besoin pour sa propre émulation et pour stimuler davantage son développement; les jeunes chercheurs, du nombre duquel je fais partir, doivent tout de même éviter de se conduire en Faust pour « alléger » leur travail.