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À mon avis

Conserver les livres papier

Une bonne affaire avec l’avènement du livre électronique.

par ANDREW IRVINE | 10 OCT 12

Il y a 14 ans, j’ai acheté un exemplaire de la première édition de On Liberty, l’ouvrage classique de John Stuart Mills au sujet de la défense de la liberté individuelle publié en 1859. Je m’en souviens, car j’avais également besoin d’un nouvel ordinateur. Celui-ci coûtait 1 200 $. Le livre en coûtait 900 $. J’avais moins de 1 500 $ dans mon compte bancaire. Même si je ne pouvais pas me le permettre, j’ai réglé l’achat avec ma carte de crédit.

Je me suis départi de l’ordinateur il y a longtemps. Quand je l’ai finalement remplacé par un modèle plus récent, sa valeur de revente était nulle. Si je ne l’avais pas apporté moi-même au centre de recyclage, il m’aurait fallu payer quelqu’un pour le faire à ma place. Mon exemplaire de On Liberty, par contre, se détaille aujourd’hui à plus de 6 000 $, une hausse de plus de 560 pour cent.

Il y a une leçon à tirer. Alors que les bibliothèques peinent à maintenir le rythme rapide du changement technologique, l’abonnement à des revues électoniques mobilise une part grandissante des budgets d’acquisition. C’est inévitable. Les livres et les revues électroniques sont supérieurs aux éditions imprimées sous de nombreux aspects. Cependant, rien ne peut remplacer le livre traditionnel pour certaines fins, dont l’activité savante. En effet, rien n’égale l’accès direct à la publication originale de la pensée d’un auteur.

Alors, que doivent faire les universités? Doivent-elles continuer d’acquérir des livres et des revues en format papier et électronique, ou, vu la réduction des budgets d’acquisition, simplement abandonner l’achat de livres papier?

Le monde s’est déjà trouvé dans une situation similaire auparavant. Au XVe siècle, peu après l’invention du caractère mobile par Johannes Gutenberg en Europe, les codex et les manuscrits copiés à la main ont commencé à disparaître.

Pendant des siècles, des copistes se sont appliqués à copier et à décorer des livres à la main dans les scriptoria. En plus de leurs fameux manuscrits enluminés, ils produisaient des copies non enluminées, et donc moins coûteuses, que les étudiants universitaires pouvaient louer. Cette pratique n’était pas tellement différence des programmes de rachat de manuels scolaires dans les librairies universitaires qui existent de nos jours.

Lorsque l’imprimerie mécanique a commencé à se répandre, les scriptoria, tout comme les livres transcrits à la main, ont commencé à disparaître. Certains vélins et autres formes de parchemin tirés de livres anciens étaient parfois recyclés, mais, la plupart du temps, les manuscrits étaient simplement utilisés jusqu’à ce qu’ils tombent en lambeaux. Ils servaient alors de combustible pour le feu. Pourquoi conserver et chérir une vieille copie fragile écrite à la main quand il existe une version imprimée facilement accessible et supérieure à de nombreux égards?

De nos jours, seule une poignée de bibliothèques dans le monde conservent d’imposantes collections d’ouvrages datant de l’ère préindustrielle, soit la British Library, la Bodleian Library et la bibliothèque du Vatican. Pourtant, ce sont dans ces bibliothèques et d’autres similaires que les érudits de partout dans le monde retournent inévitablement, année après année, pour leurs travaux. Comme le rappelle Ralph Stanton, un spécialiste des livres anciens établi à Vancouver, « les bonnes bibliothèques universitaires de partout dans le monde possèdent d’imposantes collections d’ouvrages imprimés et électroniques, mais seules les meilleures conservent des manuscrits originaux ».

Maintenant, imaginez être en mesure de voyager dans le temps jusqu’à l’ère pré-Gutenberg pour acquérir une pile de codex copiés à la main. S’ils en avaient l’occasion, certains d’entre nous voudraient sauver une bible ou un psautier un enluminé. D’autres chercheraient plutôt un ouvrage d’Augustin, d’Ockham, de Dante ou d’Aquinas. Peu importe si notre choix s’arrête sur des auteurs comme Chaucer ou Anselm, ou sur des documents plus terre-à-terre, comme des manifestes de commerce ou des factures bancaires, cette collection nous en appendrait beaucoup sur l’époque à laquelle les documents ont été produits, ainsi que sur l’origine du monde moderne.

Imaginez ensuite être en mesure de rapporter ces écrits au XXIe siècle, et pouvoir en faire don à votre bibliothèque universitaire locale. Du jour au lendemain, celle-ci hébergerait l’une des collections de recherche les plus prisées au monde.

Ce scénario semble peu plausible, mais c’est précisément celui que les bibliothèques sont en train de vivre. Celles qui se procurent les dernières copies papier de livres du XXe siècle posséderont bientôt des collections absolument uniques. Au lieu de copies électroniques faciles à manipuler, et donc à falsifier, elles posséderont les originaux.

Alors que les magasins de livres d’occasion ferment les uns après les autres, quelles sont les universités qui auront la prévoyance de préserver ces milliers de livres qui semblent n’avoir pour l’instant aucune valeur? En cette période austère, lorsque la construction d’un seul immeuble sur le campus coûte 60 ou 70 millions de dollars, quels sont les gouvernements qui auront le courage de mobiliser assez d’argent pour saisir une occasion qui se présente une fois tous les 500 ans?

Seul le temps le dira. Les décisions devront toutefois se prendre rapidement. Dans 10 ans, il sera déjà trop tard.

Andrew Irvine est professeur de philosophie à l’Université de la Colombie-Britannique.

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