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À mon avis

CV des échecs, temps de pause et normalité

par DAVID KENT | 26 MAI 16

La semaine dernière, je suis tombé sur un texte d’un professeur de l’Université de Princeton, Johannes Haushofer, étrangement intitulé « CV of failures » (« CV des échecs »). Curieux, je l’ai parcouru. Ce CV, et l’introduction qui le précède, se sont révélés non seulement intéressants, mais surtout en phase avec la réalité. Comme le mentionne M. Haushofer dans son introduction, « les échecs sont souvent invisibles ». Je ne saurais mieux dire. Chaque fois que nous essuyons un échec dans notre carrière, nous gagnerions à nous rappeler que tout le monde en subit. J’ai particulièrement apprécié la dernière section consacrée à ses « mégaéchecs », dans laquelle M. Haushofer précise que ce texte a suscité bien plus d’intérêt que l’ensemble de ce qu’il a pu publier.

M. Haushofer dit avoir eu l’idée de publier ce CV des échecs à la lecture d’un article de Melanie Stefan paru en 2010 dans la revue Nature, qui comparait le caractère très secret des échecs des chercheurs à celui, très public, des échecs des athlètes professionnels. Il est très sain que les échecs de ces derniers soient portés à l’attention des jeunes athlètes, qui voient ainsi qu’ils ne sont pas seuls à rater des tirs de pénalité lors de matchs importants. En revanche, dans le domaine des sciences, les échecs sont rarement avoués : pratiquement personne ne fait état de ses expériences ratées, de ses demandes de subvention rejetées ou encore du nombre de revues qui ont refusé son manuscrit avant qu’il soit finalement accepté. Les CV des universitaires ne mentionnent que leurs réussites, ce qui ne correspond pas à la réalité. J’applaudis les gens qui, comme M. Haushofer, avouent leurs échecs. Je vais d’ailleurs peut-être publier la liste des miens, même si je pense que d’autres ont déjà fait passer le message : nous sommes tous humains.

Ce que je veux vraiment souligner dans le présent article, c’est un autre aspect de notre humanité : nous nous reposons, nous nous détendons, nous perdons volontairement du temps. À lire les CV de certaines personnes, on se demande si elles ont ne serait-ce qu’eu le temps de songer à faire ces choses : la productivité dont fait état leur CV semble inatteignable.

Je croise souvent des étudiants émerveillés par le fait que certaines personnes parviennent à tout concilier : elles semblent constamment occupées à des choses productives, à faire progresser leur carrière ou leurs projets. Et surtout, elles sont insupportablement aimables. Cela rend certains d’entre nous jaloux, d’autres tristes. En tant que chercheurs, nous adorons nous comparer – et pas qu’à James Bond en admirant ses exploits un sac de croustilles à la main.

Peut-être le fait de vivre en Europe m’a-t-il perverti l’esprit, mais j’ai du mal à comprendre qu’on puisse être productif 24 heures par jour, sept jours sur sept. C’est pourquoi je crois important de parler du temps de pause. Que ce soit clair : faire des pauses est parfaitement légitime. Tout le monde n’en a peut-être pas besoin, mais certains parviennent à afficher une réussite incroyable tout en prenant des vacances, en s’accordant des pauses quotidiennes régulières et en passant du temps avec leur famille. Au terme de leur journée de travail, la plupart d’entre nous passent un laps de temps tout à fait normal à perdre leur temps. Faites-le, profitez-en, détendez-vous, et revenez ensuite au boulot deux fois plus enthousiaste.

J’écris assez souvent pour quelqu’un dont le travail n’a officiellement rien à voir avec la tenue de blogue, la rédaction scientifique ou la sensibilisation aux sciences. On me demande parfois comment je concilie cela avec l’écriture d’articles savants, la conduite d’expériences et la gestion d’un laboratoire. Ce qui m’a sauvé, c’est d’avoir compris il y a longtemps que mon cerveau s’accommode mieux de deux types de travail. Au cours de mes études au premier cycle, par exemple, j’ai mené de front deux majeures – en littérature anglaise et en génétique. Vous en avez assez de mémoriser le cycle de Krebs? Lisez un roman. Quand j’écris pour un blogue, je ne le fais que si je suis productif. Dans le cas contraire, je m’arrête pour faire autre chose : je m’adonne à une expérience, je mange ou je pars marcher, puis je m’y remets une fois ma productivité retrouvée. Subconscient oblige, il me faut parfois des semaines pour boucler un article, ce qui ne veut pas dire que je passe mon temps à fixer un mur jusqu’à ce que j’y sois parvenu.

Si vous êtes chercheur aux cycles supérieurs, ou au-delà, je parie que vous avez travaillé dur pour en arriver là et que votre réussite est amplement méritée. Je parie aussi que vous êtes parfois tombé sur des gens qui ont travaillé encore plus dur et fait encore mieux que vous – le gazon est toujours plus vert chez le voisin, comme on dit. Demandez-leur dans ce cas ce qu’ils font pour se détendre : je suis certain qu’ils seront intarrissables sur ce sujet. Ça peut sembler ridicule, mais ce ne l’est pas : nous devons veiller à ce que notre temps de pause soit productif – par exemple, en ne le gaspillant pas à penser à tout ce que nous avons à faire! Le meilleur moyen que j’ai trouvé pour ça, c’est d’alterner les périodes de « déconnexion », parfois longues (randonnée, kayak, camping), parfois brèves (marche, vélo, dimanches sans téléphone ni ordinateur). Prenez de vraies pauses et ayez suffisamment confiance en vous, sur les plans professionnel et personnel, pour ne pas angoisser devant les gens qui font des choses fantastiques. Quitte, même, à les en féliciter (sincèrement).

 David Kent est chef de groupe au Cambridge Stem Cell Institute de l’Université de Cambridge.

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