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À mon avis

Faut-il souffrir pour mériter son doctorat?

L'insécurité financière fait partie des facteurs qui jouent sur la santé mentale des jeunes chercheurs.

par CASSIE M HAZELL | 24 FEV 22

Les doctorants représentent l’avenir de la recherche, de l’innovation et de l’enseignement au sein des universités et d’autres établissements. Or il semblerait que cet avenir soit menacé : des recherches ont révélé la fragilité de leur santé mentale. L’étude que j’ai menée avec mes collègues auprès de doctorants au Royaume-Uni montre que ces derniers répondent davantage aux critères cliniques de dépression et d’anxiété que la population active, et qu’ils présentent des symptômes beaucoup plus graves que les participants du groupe contrôle constitué de professionnels.

Nous avons interrogé 3 352 doctorants et 1 256 professionnels qui nous ont servi d’échantillon apparié. Les questionnaires utilisés pour l’analyse des symptômes sont ceux des services de santé mentale du National Health Service (NHS), le système de santé publique du Royaume-Uni.

Plus de 40 % des doctorants répondaient aux critères de dépression ou d’anxiété modérée à sévère, contre 32 % des professionnels pour la dépression et 26 % pour l’anxiété.

Concernant le risque de suicide, les taux sont similaires (33 % et 35 % pour les deux groupes), des chiffres importants qui peuvent s’expliquer par les taux élevés de dépression constatés dans notre échantillon.

Nous avons également demandé aux doctorants ce qu’ils pensaient de leur santé mentale et de celle de leurs pairs. Plus de 40 % considèrent qu’il est normal de souffrir de troubles mentaux pendant un doctorat et 41 % nous ont dit que la plupart de leurs collègues doctorants en rencontraient. Un peu plus d’un tiers des doctorants ont envisagé de mettre fin à leurs études pour cette raison.

Culture de la pression

Il existe clairement une prévalence élevée de troubles mentaux parmi les doctorants, par rapport aux taux observés dans l’ensemble de la population. Nos résultats mettent aussi en évidence un problème avec le système actuel d’études doctorales, voire du milieu universitaire dans son ensemble, qui encourage une culture de la pression à la productivité et de la dévaluation.

Cette mentalité subsiste chez les doctorants. Dans les groupes de discussion et les enquêtes que nous avons menés dans le cadre d’autres études, des doctorants ont déclaré afficher leur souffrance, qui serait la preuve qu’ils travaillent dur. Un étudiant nous a dit : « On est nombreux à penser qu’il faut souffrir pour son doctorat. Si on ne souffre ni d’anxiété ni du syndrome de l’imposteur (le sentiment de ne pas être à sa place ou de ne pas mériter de faire un doctorat), c’est qu’il y a quelque chose qui ne va pas. »

Nous avons aussi analysé les facteurs de risque susceptibles d’aggraver la santé mentale des doctorants et ceux qui, au contraire, peuvent la préserver. L’insécurité financière en fait partie. En effet, les étudiants ne bénéficient pas tous de ressources leur permettant de couvrir leurs droits de scolarité et dépenses personnelles. Ils n’ont pas non plus la garantie de trouver un débouché une fois leur doctorat en poche, car le nombre des postes postdoctoraux n’augmente pas au même rythme que celui des doctorants.

Autre facteur de risque : la relation conflictuelle qu’ils peuvent entretenir avec leur directeur ou directrice de thèse. Si l’on compare cette personne, comme l’a fait l’un de nos collaborateurs et doctorant, à une « épée » que l’on peut utiliser, le cas échéant, pour terrasser le « monstre » que représente le doctorat, il faut que l’arme soit efficace. Or, quand le directeur ou la directrice de thèse est indisponible, trop critique ou pas suffisamment spécialisé, il devient difficile, voire impossible, de s’attaquer au monstre.




Un manque d’intérêts ou de relations en dehors des études, ou la présence de facteurs de stress dans la vie personnelle sont également des facteurs de risque.

Par ailleurs, nous avons constaté l’existence d’un lien entre la dégradation de la santé mentale et le perfectionnisme, le syndrome de l’imposteur et un sentiment d’isolement.

Ouvrir la discussion

La recherche doctorale a néanmoins de bons côtés. De nombreux doctorants trouvent leurs études agréables et enrichissantes, et les exemples d’environnements de recherche coopératifs et stimulants sont légion.

Faire un doctorat, c’est l’occasion pour les étudiants de passer plusieurs années à approfondir un sujet qui les passionne. Il s’agit en effet d’un programme de formation destiné à les doter des compétences et de l’expertise nécessaires pour faire progresser les connaissances au niveau mondial. Les exemples de bonnes pratiques ci-dessus nous permettent d’identifier ce qui fonctionne et ensuite de les partager.

La question du bien-être et de la santé mentale des doctorants doit continuer à faire l’objet d’une réflexion et de discussions constructives, impartiales et étayées, afin d’éviter de perpétuer des idées fausses.

Notre étude montre que le pourcentage de doctorants convaincus que leurs pairs souffrent de troubles mentaux et qu’il est normal d’avoir une santé mentale fragile dépasse le pourcentage réel d’étudiants répondant aux critères de diagnostic d’un problème de santé mentale. En d’autres termes, les personnes interrogées semblent surestimer le nombre déjà élevé de doctorants ayant connu ce genre de difficultés.

Afin de ne pas aggraver involontairement la situation, il convient donc d’être prudents quant aux messages que nous diffusons sur ce sujet et de faire en sorte qu’ils ne soient pas trop négatifs, au risque d’alimenter le mythe selon lequel tous les doctorants souffrent de troubles mentaux, et de contribuer à entretenir une culture universitaire toxique.


Traduit de l’anglais par Karine Degliame-O’Keeffe pour Fast ForWord.

Cassie M Hazell est professeure de sciences sociales à l’Université de Westminster. Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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