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À mon avis

Il est temps de repenser l’examen par les pairs

Évaluer les travaux savants à l’ère d’Internet.

par MURRAY DINEEN | 05 DÉC 12

Il est temps d’adapter l’examen par les pairs et la définition des travaux savants à l’ère d’Internet. Établi à l’époque des machines à écrire, des timbres-poste et des publications papier, le système actuel est en effet largement anachronique. Il doit être remplacé par un mode d’examen plus humain dans le sens où l’a mentionné Rosanna Tamburri dans Affaires universitaires (« Ouvrir le processus d’examen par les pairs », avril 2012). De nouvelles formes de diffusion doivent également être reconnues comme publications savantes et soumises à l’examen par les pairs.

L’examen par les pairs dit « anonyme » l’est rarement. En effet, le nom d’un chercheur dont les travaux ont su attirer l’attention du milieu est le plus souvent connu de ses pairs. L’objectivité de l’examen par les pairs n’est pas non plus assurée. Les examinateurs se servent souvent de leur anonymat pour attaquer indûment les auteurs (et ces derniers ont rarement accès à une tribune pour répondre à l’examinateur). Pour toutes ces raisons, l’examen par les pairs anonyme a été qualifié d’injuste et d’inhumain dans certains cercles.

Cette situation n’est cependant pas immuable. Internet laisse place à des échanges prompts et humains dans les sphères savantes. Supervisé par un rédacteur en chef, l’examen par les pairs pourrait se muer en dialogue entre l’auteur et les examinateurs. L’« examen par les pairs ouvert » et le « commentaire par les pairs ouvert » devraient être acceptés comme des méthodes d’évaluation valides.

De la même façon, l’ouvrage savant et l’article scientifique évalués par les pairs ne sont plus les seuls modes de diffusion de la recherche. Le délai associé à la publication des idées constitue le principal défaut de ces véhicules de communication. La diffusion des travaux savants se fait à présent sur Internet sous forme de blogues, de webinaires, de wikis, de webémissions, de conférences TED, et même de courriels et de commentaires sur Facebook ou Twitter. Je qualifie ces formes de diffusion savante de documents numériques éphémères : produits en réaction à des circonstances évolutives et rapidement désuètes, ils sont vite remplacés par du nouveau contenu. Malgré son caractère évanescent, ce type de documents est en bonne voie d’acquérir une légitimité comme mode de diffusion de nouvelles idées.

Les nouveaux modes de diffusion comme les documents numériques éphémères devraient donc être considérés comme des travaux savants. L’examen par les pairs, dans ce cas, devrait permettre un échange entre examinateur et auteur, de façon anonyme ou non. Voici comment procéder :

Premièrement, on permettrait aux universitaires de rassembler les documents numériques éphémères qu’ils ont produits, puis de les soumettre à l’examen de leurs pairs dans un contexte de titularisation, de promotion ou de demande de subvention de recherche. Au lieu d’ouvrages ou d’articles publiés, l’universitaire en voie de titularisation pourrait créer un blogue qui comprend des copies datées de courriels, de webémissions ou d’autres publications numériques qui ont contribué à l’élaboration et à la diffusion de ses travaux. Le blogue comporterait une préface décrivant la recherche effectuée grâce à ces documents éphémères. On y apprendrait comment, par exemple, un échange de courriels a mené à l’émergence d’un nouveau concept savant. Le blogue pourrait alors faire l’objet d’un examen par les pairs.

Deuxièmement, on « ouvrirait » le processus d’examen en permettant à l’auteur de répondre aux commentaires des examinateurs (et vice-versa), sous les auspices d’un rédacteur en chef ou d’un animateur. Le jugement de l’examinateur ferait toujours autorité, l’examen par les pairs demeurant la pierre angulaire de l’évaluation dans le milieu universitaire. Le processus deviendrait cependant un véritable échange entre pairs.

L’une des justifications majeures de cette nouvelle façon de procéder consiste à mieux utiliser des ressources savantes. Trop de bonnes idées sont perdues en raison de mauvais examens par les pairs et de calendriers de publication d’une extrême lenteur. Considérons d’abord la nouvelle économie universitaire, où les professeurs titulaires sont remplacés par des professeurs auxiliaires, ou « enseignants » à temps partiel, surchargés et sous-payés, qui n’ont pas assez de temps à consacrer aux publications savantes traditionnelles. La reconnaissance des documents éphémères leur permettrait de faire avancer leur carrière de chercheurs selon un modèle souple, par des interventions opportunes dans le cadre de discussions en ligne et d’ateliers. Ensuite, les petites presses universitaires sont progressivement remplacées par de grands éditeurs en ligne, qui tirent profit de la publication et de la republication numérique d’un petit nombre d’articles « clés » et des frais exorbitants réclamés aux auteurs. Tout cela limite la recherche et la publication. La reconnaissance des documents éphémères permettrait de perpétuer le modèle du petit éditeur, où la diffusion des concepts savants n’est pas sujette aux impératifs du profit. Enfin, dans la nouvelle salle de classe numérique, les médias sociaux et d’autres contenus éphémères sont de véritables vecteurs d’apprentissage. La diffusion des résultats de recherche doit refléter cette nouvelle réalité.

Pour conclure, il faudrait abolir l’anonymat derrière lequel se cachent trop souvent des examinateurs irresponsables. L’examen par les pairs doit être humanisé, transformé en un dialogue ouvert et responsable entre universitaires, et favorisé par de nouveaux types de travaux savants adaptés à un tel échange.

Murray Dineen est professeur de musique à la Faculté des arts de l’Université d’Ottawa.

COMMENTAIRES
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  1. Anne-Laure Nouvion / 13 décembre 2012 à 11:55

    Votre article est très intéressant ! Je suis bien d’accord que la toile représente une nouvelle ère de transmission du savoir et est un magnifique vecteur d’apprentissage. En revanche, je crois encore en la qualité du processus de révision par les pairs, y compris dans le monde numérique, et me désole quant à vos propos concernant « l’irresponsabilité de certains examinateurs ». Je dirige moi-même une petite maison d’édition, proposant une revue scientifique savante en ligne (Médecine Sciences Amérique : http://www.msamerique.ca/). Nos articles, tous libres d’accès dès leur date de publication, sont rédigés par des médecins et chercheurs canadiens et subissent un contrôle éditorial très strict, dont la fameuse révision par les pairs. Pendant ce processus, les auteurs sont amenés à recevoir et échanger sur les commentaires des examinateurs. La complémentarité entre le processus de révision par les pairs et cette nouvelle salle de classe numérique dont vous parlez est donc possible !

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