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À mon avis

Inutile de réinventer la roue

Les universités canadiennes doivent miser sur ce qu’elles ont déjà.

par ROSEANN O’REILLY RUNTE | 08 FEV 10

La période de restrictions budgétaires actuelle exige à la fois créativité, renforcement de la coopération et souplesse. Plutôt que de créer de nouveaux établissements et des hiérarchies qui étouffent l’innovation, il est temps pour l’Ontario et le Canada de trouver les moyens de soutenir les établissements existants, de les inciter à tisser des réseaux viables ainsi que de stimuler la mise en commun des idées et des talents, le tout en vue d’assurer un enseignement de la meilleure qualité possible.

Dans leur récent ouvrage intitulé Academic Transformation: The Forces Reshaping Higher Education, Ian D. Clark, Greg Moran, Michael L. Skolnik et David Trick présentent une série d’études, d’observations et de conclusions. À leurs yeux, le sous-financement de l’enseignement est à l’origine de la plupart des problèmes. Les auteurs soutiennent en effet que le modèle ontarien d’enseignement au premier cycle, l’université axée sur la recherche, n’est plus viable. Pour remédier au problème, ils proposent entre autres de différencier nettement les universités existantes, et de créer de nouveaux établissements – qu’il s’agisse de collèges d’enseignement des arts libéraux ou d’universités axées sur l’enseignement à distance.

Soutenir l’excellence ne signifie pas obligatoirement délaisser certains établissements et abaisser leurs objectifs pour permettre à d’autres d’atteindre les leurs. Certes, l’accès aux études est important, mais l’accès à l’excellence l’est tout autant. Les professeurs de la trempe de Patrice Smith, de l’Université Carleton, dont les recherches sur le processus d’autoréparation du système nerveux ont récemment fait la une du Globe and Mail, doivent pouvoir compter sur des moyens dignes des plus grands chercheurs sans devoir, pour cela, s’exiler à Toronto ou à Montréal. Par ailleurs, dans la mesure où les universités existantes sont prêtes à accueillir de nouveaux étudiants, la création de nouveaux établissements n’est pas forcément une solution économique.

Il faut relever le défi lancé par l’ouvrage précité, qui appelle chacun à être novateur. Il faut innover, tout en s’appuyant sur la coopération entre universités. Par exemple, au lieu de proposer la création d’un nouveau centre d’enseignement à distance, pourquoi ne pas mettre en place un réseau d’enseignement à distance?

Actuellement, dans la plupart des cas, l’enseignement à distance se fait à partir d’un site central vers des sites secondaires, dotés de dispositifs de téléconférence, d’ordinateurs ou d’écrans divers. Il s’agit en somme d’un modèle d’enseignement « colonialiste » : l’information transite systématiquement de la « métropole » vers « les colonies ».

Pourquoi ne pas plutôt mettre sur pied un réseau dont chaque site pourrait, au même titre que les autres, transmettre et recevoir de l’information? Dotée d’un tel site, chacune des 20 universités de l’Ontario pourrait diffuser un cours à l’intention des 19 autres. Dans un premier temps, la démarche pourrait s’appliquer aux cours de troisième et de quatrième année qui comptent un moins grand nombre d’étudiants, et permettre, dans certains cas, de faire doubler ce nombre, de 10 à 20, par exemple.

Concrètement, cette démarche permettrait à chaque université de proposer à ses étudiants 19 nouveaux cours. Son programme d’études s’en trouverait enrichi, et ses professeurs pourraient consacrer plus de temps à la poursuite de l’excellence sur le plan de l’enseignement et de la recherche. Les étudiants auraient accès à davantage de cours et aux meilleurs professeurs du pays. Enfin, les économies réalisées permettraient aux universités de mettre à niveau et d’enrichir leur équipement.

Toutefois, la solution évoquée dans l’ouvrage précité, qui consisterait à opter pour un baccalauréat de trois ans, apparaît problématique. Elle forcerait en effet les étudiants à acquérir en peu de temps non seulement les connaissances spécialisées prévues au programme, mais également des compétences en communication, en mathématiques et en informatique. Il me semblerait préférable que des fonds soient alloués aux universités et aux collèges pour la mise sur pied de cours de base crédités qui, une fois approuvés par les sénats universitaires, pourraient être proposés aux étudiants de l’ensemble des universités et des collèges du Canada. Les étudiants qui obtiendraient une bonne note dans ces cours pourraient transférer les crédits obtenus. On pourrait ainsi accroître la mobilité des étudiants à l’échelle nationale tout en préservant l’existence du baccalauréat de quatre ans.

Nous devons nous garder d’axer uniquement notre action sur les dichotomies simplistes entre enseignement et recherche, ou encore entre sciences humaines et sciences. Nous ne pouvons nous contenter d’universités « allégées », où le travail des professeurs ne repose pas sur une réflexion profonde de prend la place d’un enseignement qui repose sur une telle réflexion. Nous devons également nous garder de nous inspirer des États-Unis en tentant d’importer des modèles où la réussite est tributaire des frais de scolarité élevés.

Pour former un nombre accru de chercheurs au profit de la planète, nous devons éviter de créer des universités d’où la science est absente. La technologie et l’innovation peuvent réellement contribuer à l’exécution de la mission vitale qui est la nôtre : bâtir un meilleur avenir. Tous les objectifs précités sont atteignables dans le cadre du système actuel mis sur pied petit à petit, au fil des générations et à partir de concepts novateurs par des professionnels compétents, à savoir tous ces professeurs et administrateurs qui nous ont précédés.

Roseann O’Reilly Runte est la rectrice de l’Université Carleton.

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