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À mon avis

À la défense des retardataires

Même s’il faut inculquer la discipline et le sens des responsabilités à nos étudiants, la compassion aussi a une valeur pédagogique.

par ANDREW MOORE | 28 MAR 18

Voici venu le moment de l’année où des étudiants paniqués commencent à demander des reports d’échéance. Ils viennent nerveusement frapper à nos portes ou nous envoient des courriels désespérés. Ils nous abreuvent d’excuses et de circonstances atténuantes et nous devons, tous autant que nous sommes, prendre la difficile décision d’accepter ou de refuser que leurs travaux soient remis en retard.

Ces demandes sont frustrantes pour la plupart des professeurs. Nous voulons faire respecter les règles et maintenir des normes élevées, mais comment résister à ce tsunami de drames humains? Un étudiant se remet de la grippe, un autre est aux prises avec des attaques de panique ou traverse une crise existentielle pendant la rédaction de sa thèse. Une brillante étudiante de première année n’arrive plus à se concentrer depuis l’annonce du cancer de sa mère. Chaque année, l’extrême diversité des expériences vécues par les étudiants met à l’épreuve les belles règles énoncées dans nos plans de cours.

Au risque de paraître trop indulgent, j’aimerais me porter à la défense de la clémence universitaire. Bien sûr, nous ne pouvons pas accorder de report d’échéance à tous les étudiants qui nous le demandent. Nous ne devrions toutefois pas craindre d’alléger leur fardeau lorsque la situation s’y prête. Même s’il faut inculquer la discipline et le sens des responsabilités à nos étudiants, la compassion aussi a une valeur pédagogique.

Quelle idée ridicule! diront certains professeurs. Les étudiants de la génération Y n’ont-ils pas été assez dorlotés? Ils doivent à tout prix apprendre à faire preuve de résilience! Peut-être, mais n’est-ce pas ce que les gens plus âgés disent toujours des plus jeunes? Qu’ils sont trop paresseux ou qu’ils manquent d’éthique professionnelle, entre autres? Quoi qu’il en soit, je pense que les professeurs accordent parfois trop d’importance à la ponctualité. Et nos raisons d’exiger le respect de nos échéances à tout prix ne sont même pas vraiment bonnes.

L’argument le plus courant des partisans de la ligne dure est que les étudiants doivent se préparer à la « vraie vie », où les échéances ne sont apparemment pas négociables et où les engagements professionnels sont toujours fermes et inflexibles. En vérité, n’importe quel professionnel vous dira qu’il est fréquent de reporter des réunions et des exposés. Les objectifs des entreprises évoluent et des occasions inattendues se présentent. Bien sûr, dans certains domaines, comme le droit et le journalisme, les échéances sont plus fixes. En toute honnêteté, on peut tout au plus affirmer que, sur le marché du travail, certaines échéances ne sont pas négociables.

Cela est d’autant plus vrai dans le milieu universitaire. Tous les professeurs que je connais demandent des reports d’échéance à leurs éditeurs et aux organisateurs de conférences. Les auteurs universitaires sont eux-mêmes fréquemment en retard. Nous prenons du retard dans nos corrections, nous oublions de répondre aux courriels des étudiants et des administrateurs et nous annulons des cours lorsque nous sommes malades. Sommes-nous donc hypocrites lorsque nous refusons les mêmes égards aux étudiants?

Bien sûr, l’équité est l’autre principe le plus souvent invoqué pour justifier l’immuabilité des échéances. Les mêmes normes d’égalité doivent s’appliquer à tout le monde : devant la loi, tous sont égaux. Mais l’égalité revêt aussi une part de justice. Prenons l’exemple de deux étudiantes. La première, qui respecte toutes ses échéances, habite toujours chez ses parents, qui cuisinent pour elle et la conduisent sur le campus. Elle a même obtenu une bourse pour payer ses frais de scolarité et ses livres. La deuxième élève un enfant seule, sans réseau de soutien dans sa ville. En plus de sa charge de cours, elle doit travailler à temps plein pour payer son loyer et ses frais de scolarité, et subvenir aux besoins de son enfant. Si ces deux étudiantes ont trois semaines pour rédiger une dissertation, ont-elles vraiment autant de temps l’une que l’autre pour le faire?

Le refus catégorique des travaux en retard enseigne peut-être la gestion du temps aux étudiants. Peut-être apprendront-ils que les règles doivent être respectées, et qu’ils ne sont pas le centre de l’univers. Mais je crois que d’autres leçons valent la peine d’être enseignées.

Il ne faut pas oublier que nos comportements laissent aussi une trace sur nos étudiants. Il n’y a certes rien de mal à être un modèle de prévoyance, de discipline et de constance. Mais j’espère que mes étudiants apprendront aussi à être indulgents et à pardonner. Ils se retrouveront sans doute un jour en position d’autorité, et ils auront un choix à faire quant à la façon de traiter ceux qui ont été malmenés par la vie ou ont pris un mauvais chemin. Entre le respect des politiques et la personne, j’espère qu’ils accorderont la priorité à la personne.

Les échéances sont utiles, et je ne demande pas leur suppression. Elles aident les étudiants et les professeurs à s’organiser et nous incitent à répartir notre charge de travail sur l’ensemble du trimestre. Elles sont un outil pédagogique. Je plaide plutôt en faveur d’une forme d’obligeance professorale. Je crois que nous devons opter pour la gentillesse, la compréhension et la compassion et, lorsque nous pouvons le faire, accepter de repousser une échéance.

Andrew Moore est professeur agrégé et directeur du programme Great Books à l’Université St. Thomas. Il est l’auteur de Shakespeare between Machiavelli and Hobbes.

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