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À mon avis

La formation à distance dans les universités : constats et points de vue

par MÉLANIE JULIEN | 24 FEV 16

En juin 2015, le Conseil supérieur de l’éducation du Québec a émis un avis sur la formation à distance dans les universités québécoise (le CSE est un organisme public du Québec qui a pour mission de conseiller l’État québécois sur toute question relative à l’éducation, à tous les ordres et secteurs d’enseignement). Le présent article en donne un aperçu.

« Formation à distance » est une expression qui paraît désuète – ou, du moins, restrictive – compte tenu de ce que sont devenues les pratiques en la matière. Elle demeure néanmoins courante pour désigner un ensemble de modalités de formation des plus variées, incluant désormais les salles de classe virtuelles, la mise en ligne de vidéos et de notes de cours, l’usage de forums de discussion, etc., mais aussi les MOOC qui suscitent beaucoup d’attention depuis 2012. Plus que jamais, la formation à distance implique des possibilités d’interactions en temps réel ou différé, grâce aux avancées technologiques.

Bien sûr, la formation à distance contribue à l’accessibilité géographique des études universitaires. Mais ce n’est pas tout! En permettant davantage de souplesse dans l’organisation des études, elle facilite la conciliation études-travail-famille, une réalité étudiante de plus en plus répandue, comme le montre le CSE dans un avis de 2013 intitulé « Parce que les façons de réaliser un projet d’études universitaires ont changé… ». Signe que l’éloignement géographique n’est pas la seule raison en cause, bon nombre d’étudiants qui s’inscrivent à des cours à distance résident non loin de campus. Et ces étudiants, de tous âges, peuvent poursuivre aussi bien une formation initiale qu’une formation continue. D’ailleurs, des cours à distance sont aujourd’hui offerts dans une large gamme de disciplines puisque, plus que le champ d’études, c’est le contenu et les objectifs d’un cours qui font qu’il se prête ou non à des activités à distance.

La formation à distance dans les universités québécoises

Les activités de formation à distance sont en croissance dans l’ensemble des universités québécoises. En plus de la TELUQ qui offre tous ses cours à distance depuis sa fondation en 1972, les autres universités québécoises ont mis en place, à géométrie variable, de telles activités. C’est notamment le cas de l’Université Laval qui est résolument engagée en formation à distance depuis une dizaine d’années, si bien qu’elle est l’université québécoise qui rejoint le plus grand nombre d’étudiants par le biais de cette formule. Il y a également l’Université Concordia qui dispose d’une entité dédiée à la formation, eConcordia, laquelle offre même, depuis peu, ses services de conception de cours en ligne en dehors des murs de l’université. Sont aussi particulièrement actives en formation à distance les universités sises en régions éloignées, qui exercent leur mission de formation auprès d’une population dispersée sur un large territoire. La formation à distance est aussi bien présente dans certaines unités d’enseignement qui s’adressent spécialement à une population étudiante plus âgée souvent aux prises avec d’importantes contraintes de temps, telles que la Faculté de l’éducation permanente de l’Université de Montréal. Fait à souligner : quelle que soit l’ampleur actuelle de leurs activités en matière de formation à distance, plusieurs universités québécoises inscrivent désormais ce mode de formation dans leurs perspectives de développement.

Sur la scène universitaire québécoise, l’apport de la formation à distance à l’accessibilité des études est unanimement reconnu. Selon des enquêtes et sondages menés auprès d’étudiants universitaires, on ne peut certes pas parler d’un engouement généralisé pour la formation à distance : néanmoins, ce mode de formation présente un attrait certain pour une portion grandissante d’individus. Et, dans l’ensemble, les étudiants se montrent satisfaits des cours qu’ils suivent entièrement ou partiellement à distance. Dans les rangs du corps enseignant, les transformations induites par la formation à distance suscitent parfois des appréhensions et des tensions. Il reste que les professeurs et chargés de cours qui en ont une expérience s’en disent souvent satisfaits.

Pour ce qui est des MOOC, ils ont aussi fait leur entrée dans les universités québécoises. À l’hiver 2015, environ la moitié de celles-ci en ont récemment créé quelques-uns ou sont en train de le faire. Au total, près d’une trentaine de MOOC ou projets de MOOC sont recensés, lesquels consistent souvent en des versions réaménagées de cours réguliers. Ces MOOC tendent à correspondre à une même définition : ils sont offerts a) gratuitement et b) sans condition d’admission c) à un nombre d’individus dépassant largement celui pouvant être accueilli dans une salle de classe et d) sans mener à des crédits universitaires. Pour des universités québécoises moins familières avec la formation à distance, les MOOC sont vus comme une occasion d’apprivoiser ce mode de formation et d’en tirer des apprentissages pour les cours réguliers. Pour d’autres, ils représentent des moyens de rendre visible leur savoir-faire. Pour toutes, les MOOC contribuent au rayonnement des professeurs et des établissements québécois.

Des singularités par rapport à d’autres régions du monde

La formation à distance est en essor sur tous les continents, sous l’effet d’influences communes liées aux avancées technologiques, à la croissance des besoins de formation, à la diversification des profils et des parcours des apprenants, aux pressions financières exercées sur les universités et les étudiants, etc. Des coups d’œil jetés en Ontario, en Colombie-Britannique, aux États-Unis et en France mènent néanmoins à la conclusion que la situation québécoise relative à la formation à distance dans les universités est particulière au moins sous quatre aspects.

  • L’intervention de l’État. Certaines autorités gouvernementales posent des actions concrètes pour donner une impulsion à la formation à distance. Le gouvernement ontarien vient d’implanter, à l’automne 2015, eCampus Ontario, une instance dédiée à l’offre de cours en ligne à l’enseignement postsecondaire. En Colombie-Britannique, le ministère de l’Enseignement supérieur a, dès 2002, mis sur pied BcCampus, une organisation de soutien aux établissements et aux étudiants visant à favoriser la formation en ligne et l’usage des technologies en éducation. En France, le gouvernement s’est doté d’un agenda numérique qui a notamment pour objectif que 20 % des cours des universités françaises soient offerts en ligne en 2017. En revanche, au Québec, le gouvernement n’a pas, du moins pour l’heure, énoncé d’orientations ni posé d’actions ciblées en matière de formation à distance dans les universités.
  • Le potentiel d’économies. De façon plus ou moins explicite, le potentiel d’économies associé à la formation à distance est promu dans plusieurs régions du monde. C’est le cas aux États-Unis, où des experts et des administrateurs d’établissements soutiennent que la formation en ligne peut contribuer à faire face aux défis du financement en enseignement supérieur. C’est aussi le cas en Ontario et en Colombie-Britannique, où le potentiel d’économies d’échelle associé à la formation en ligne fait partie des raisons qui ont présidé à la création de eCampus Ontario et de BcCampus. Par comparaison, cette idée est très peu présente au Québec. Les acteurs universitaires québécois tendent plutôt à insister sur le fait que la formation à distance est onéreuse, autant sinon plus que la formation en présentiel. Cet argument est d’ailleurs invoqué par des administrateurs d’universités qui réclament du gouvernement québécois un financement de la formation à distance qui soit mieux adapté.
  • La collaboration interuniversitaire. La collaboration entre les universités occupe une place de choix dans la mise sur pied de eCampus Ontario et de BcCampus : ces deux instances ont précisément pour objectif d’assurer la mise en commun d’une offre de cours en ligne ainsi que des services et infrastructures pour l’ensemble des universités, respectivement, de l’Ontario et de la Colombie-Britannique. Une collaboration interuniversitaire s’observe aussi en France avec la plateforme nationale de MOOC, baptisée FUN (pour France Université Numérique), dont la gestion est confiée à un consortium d’universités. Au Québec, l’idée que la collaboration entre les universités puisse optimiser leurs activités en matière de formation à distance est relativement peu présente. Certes, la TELUQ s’était vu confier, à sa création, la mission de coordonner l’offre de formation à distance au sein du réseau de l’Université du Québec. Mais, au fil du temps, chaque université québécoise a développé sa propre offre de formation à distance et mène le plus souvent seule ses initiatives en la matière.
  • La place des MOOC. Quelques MOOC repérés aux États-Unis et en France mènent à des crédits universitaires. Dans ces deux régions, s’expriment aussi des volontés pour que les MOOC soient reconnus dans les cursus réguliers. Par exemple, l’American Council of Education recommande à ses quelques 1 700 établissements membres de reconnaître des crédits universitaires pour la réussite de 5 MOOC de Coursera. En France, le discours entourant l’annonce de la création de FUN suggère que les MOOC pourraient éventuellement jouer un rôle dans les cursus réguliers. Au Québec, pour l’heure, l’approche en matière de MOOC se veut plutôt prudente et l’idée qu’ils puissent faire l’objet de crédits universitaires semble absente. Tout au plus, des hypothèses de reconnaissance des acquis sont envisagées dans quelques universités, comme il en va de toute activité de formation plus ou moins formelle.

Qu’en dit le CSE?

Sur la base des écrits et des points de vue recensés, le CSE se montre favorable aux activités de formation à distance dans les universités québécoises, dans la mesure où elles représentent autant de moyens de soutenir leur mission de formation, en complément aux activités en présentiel. Le CSE met toutefois en garde contre une recherche d’économies au détriment de la qualité de la formation. Il lui importe que le recours à la formation à distance permette de concilier accessibilité, qualité et viabilité :

  • accessibilité, parce que la formation à distance n’est pas une fin, mais un moyen de rendre les études universitaires davantage accessibles, non seulement sur le plan géographique, mais aussi sur celui de l’organisation de l’horaire;
  • qualité, puisque la création et l’offre d’un cours à distance comportent des exigences liées notamment à la pédagogie et au soutien offert aux étudiants;
  • viabilité, parce que la formation à distance – bien qu’elle implique des coûts – peut contribuer à la viabilité du système universitaire à condition de miser sur des collaborations et un partage de ressources.

C’est dans cet esprit que le CSE formule différentes recommandations au ministre responsable de l’éducation au Québec ainsi qu’aux administrateurs des universités québécoises. Entre autres choses, il propose que :

  • le ministre finance des projets qui visent à favoriser l’offre de cours et de programmes à distance sur la base de collaborations entre universités ou entre unités d’enseignement, et que les universités québécoises maximisent le partage des coûts liés aux ressources nécessaires à la formation à distance;
  • les administrateurs des universités québécoises a) conviennent avec leur communauté respective des principes qui doivent guider les décisions et les actions en matière de formation à distance, et b) prennent en compte les particularités de la formation à distance dans les modes de fonctionnement institutionnels (ex. : processus d’évaluation des programmes, règles relatives aux conditions de travail, politiques en matière de propriété intellectuelle);
  • les universités portent attention à l’information transmise aux étudiants en ce qui a trait aux conditions et exigences requises pour suivre un cours à distance; cela vaut tout particulièrement pour ce qui est des MOOC qui peuvent être confondus avec les cours réguliers offerts en ligne;
  • les universités et le ministre mènent une réflexion sur les règles d’admission et de financement relatives aux étudiants étrangers qui suivent, de l’extérieur du Québec, des cours ou des programmes offerts à distance par les universités québécoises.

Pour en savoir plus, l’avis du CSE et son sommaire (versions française et anglaise) sont accessibles à l’adresse suivante : http://www.cse.gouv.qc.ca.

Mélanie Julien est coordonnatrice, Commission de l’enseignement et de la recherche universitaires, au Conseil supérieur de l’Education.

COMMENTAIRES
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  1. Denis Hurtubise / 21 décembre 2016 à 21:44

    L’article de Madame Julien a, entre autres mérites, celui de proposer un panorama lucide de l’état actuel de la formation à distance au Québec, et de situer celui-ci sur l’horizon de pratiques en cours ailleurs au Canada notamment. L’une de ces dernières, eCampus Ontario, vaudra la peine d’être suivie. La mise en commun de cours va bon train, mais il faudra voir dans quelle mesure les établissements participants se prévaudront des opportunités offertes par ce campus virtuel, autrement dit incluront dans leurs programmes les cours auxquels celui-ci donne accès.

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