Mise à jour: Voici une réponse à ce texte d’opinion.
Dans un contexte où l’on demande aux politiques publiques d’être davantage fondées sur des données scientifiques, la recherche a évidemment un rôle à jouer dans la définition du contenu et la mise en œuvre des interventions financées par le Canada pour soutenir les pays les plus pauvres de la planète. Le Canada est un acteur important dans le financement de la santé mondiale et notamment des projets de développement. En 2015, l’aide canadienne dans le domaine de la santé représentait environ 860 millions de dollars américains.
Bon nombre d’universités canadiennes, francophones comme anglophones, proposent maintenant des formations en santé mondiale. Elles ont formé beaucoup d’étudiants et de jeunes chercheurs réalisant leurs travaux dans les pays à faible et moyens revenus (PFMR). Si de nombreux étudiants étrangers viennent suivre ces formations, les jeunes Canadiens sont aussi avides d’agir dans ce domaine et de contribuer à la résolution des problèmes de santé dans les PFMR. Demain, ils seront des experts ou des chercheurs pour soutenir ces interventions des PFMR financées par le Canada.
La question du financement par le Canada de la recherche en santé mondiale a fait l’objet d’un atelier de réflexion à Ottawa en octobre 2017. Les critères d’éligibilité aux subventions de recherche n’ont toutefois pas soulevé de grands débats alors que cela devient indispensable.
D’un côté, le Centre de recherches pour le développement international (CRDI), dont le mandat est d’appuyer « des travaux de recherche dans les pays en voie de développement », a décidé à la fin des années 2000, sans concertation avec le milieu de la recherche à notre connaissance, de ne plus permettre aux jeunes chercheurs canadiens de détenir une subvention comme chercheur principal.
À l’époque, alors qu’une entente avait déjà eu lieu entre le CRDI, mon équipe de recherche à l’Université de Montréal et différents collègues cochercheurs de trois pays africains, le CRDI a décidé subitement qu’il ne pouvait pas nous octroyer ces fonds à Montréal puisqu’ils ne pouvaient être que gérés par des institutions en Afrique. Or, si mes collègues africains étaient très heureux d’être partenaires et d’avoir coconstruit le programme de recherche, ils ne souhaitaient pas pour autant devenir les principaux récipiendaires des fonds, car ils n’avaient pas la capacité administrative de gestion d’un budget supplémentaire à cette époque. Pour ne pas les perdre, ils furent obligés d’accepter de les gérer… et par un sous-contrat de m’en restituer une partie à Montréal, perdant ainsi les frais de gestion que nos établissements prennent au passage.
À cette même période, lorsque le Fonds de recherche du Québec – Santé (FRQS) a appris que l’un des financements qu’il m’avait octroyés pour une recherche en santé mondiale était en partie destiné à être utilisé en Afrique, il supprima tout simplement ces lignes budgétaires de la subvention totale. Je perdais presque 50 pour cent du montant total de la subvention. J’avais donc de l’argent pour analyser des données à Montréal, mais pas pour les collecter en Afrique! L’ouverture sur le monde de certains organismes de financement de la recherche a donc ses limites puisque les règles comptables ne permettaient pas la réalisation de dépenses en Afrique à partir de budget au Québec!
Quelle est la logique de former des chercheurs canadiens en santé mondiale, mais de ne pas leur donner les moyens de disposer des ressources pour poursuivre leur carrière? Est-il si honteux de financer des chercheurs des établissements canadiens œuvrant dans les PFMR en partenariat avec leurs collègues de ces pays? Dans un livre que le CRDI vient de publier en 2017, et qui m’a poussé à écrire ce texte, il a été décidé d’ignorer la contribution des chercheurs canadiens en ne faisant aucune mention de la contribution des chercheurs de l’Université de Montréal dans le programme de recherche que nous avons évoqué plus haut. Même les collègues africains ne comprendront pas, car depuis le début de ce programme, nous avons toujours insisté (et cela, de manière visible) sur cette collaboration internationale ainsi que sur la coconstruction et cocoordination, tout ceci dans le respect de nos principes éthiques et d’interdisciplinarité. Ce mode de collaboration et de coconstruction est pourtant au cœur de tous les principes et guides canadiens de la recherche en santé mondiale.
Le CRDI continue d’octroyer quelques rares bourses de terrain pour les doctorants canadiens (ou immigrants reçus), mais plus rien n’est possible pour les chercheurs en début de carrière, une fois leur doctorat en poche. Ils ne peuvent être que cochercheurs d’une subvention détenue par un chercheur d’un PFMR. Si le fait que l’argent des contribuables canadiens servent à financer les travaux dirigés par des chercheurs des PFMR est à saluer pour le principe (même si les processus de sélection de ces projets ne respectent pas souvent les critères habituellement reconnus de transparence dans le milieu académique), cette politique est désastreuse pour les jeunes chercheurs canadiens ou les résidents permanents des établissements canadiens.
Nous savons tous que l’un des critères les plus importants de recrutement dans les universités canadiennes et de l’avancement dans la carrière des chercheurs est la détention de subventions comme chercheur principal. Ce n’est certainement pas le meilleur critère et les établissements doivent changer. Mais en attendant, ce mode de financement est désastreux pour la relève canadienne. Si je dispose aujourd’hui d’une carrière en recherche, c’est parce que j’ai obtenu en 2007, durant mon postdoctorat, un financement du CRDI comme chercheur principal alors que j’avais soutenu ma thèse en 2005. Aucune autre institution ne permettait cela puisque le FRQS ou les IRSC refusent également aux postdoctorants le droit d’être chercheur principal. Cette subvention et les fonds que le partenaire africain m’avait retransmis dans le programme évoqué plus haut, ont été instrumentaux pour obtenir un poste universitaire. Sans cela, je serais dans la même précarité dans laquelle se retrouvent de nombreux jeunes chercheurs des établissements canadiens, et malheureusement certainement, toute la relève qui est aujourd’hui formée à la recherche en santé mondiale.
D’un autre côté, on pourrait nous répondre que les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) sont justement là pour prendre la relève et financer les chercheurs des établissements canadiens. Ce n’est évidemment pas aussi simple que cela. La santé mondiale n’est plus une priorité aux IRSC depuis bien longtemps, l’Initiative de recherche en santé mondiale de 2001 ayant disparue, mettant ainsi de côté le leadership nécessaire au développement d’un tel domaine.
De plus, les restrictions budgétaires majeures de ces dernières années ont fait en sorte que le taux de réussite pour l’obtention des bourses doctorales de l’Institut de la santé publique et des populations, dont fait partie la santé mondiale, n’est que d’environ 11 pour cent. Les plus chanceux des étudiants et des jeunes chercheurs voulant faire carrière en santé mondiale seront dans ces 11 pour cent, mais la suite de leur carrière devient bien moins réjouissante, malgré leur excellence.
Certes, des avancées importantes ont été faites ces dernières années, en évitant par exemple aux chercheurs de devoir toujours justifier que leurs recherches dans les PFMR aient des retombées pour la santé des Canadiens! Mais il n’existe plus de financements spécifiques pour la santé mondiale et les différentes annonces récentes pour des programmes de financement ne laissent pas entrevoir de véritables politiques dans ce sens. En l’absence de priorité aux IRSC, les fonds du CRDI étaient utiles pour démarrer une carrière sur des sujets que les comités de sélection des IRSC trouvaient trop loin des besoins des Canadiens et avec des approches de recherche moins classiques, mais essentiels dans le contexte d’un partenariat avec les chercheurs des PFMR.
Il ne s’agit évidemment pas pour moi de prêcher pour ma paroisse, car ma carrière est établie et j’ai décidé de quitter le milieu académique canadien. Mon souhait est d’ouvrir le débat en faveur de la nouvelle génération de chercheurs en santé mondiale afin que l’on ne se retrouve pas avec des centaines d’experts canadiens disposant d’un doctorat en santé mondiale, incapables de trouver une place dans un établissement de recherche. Certes, le milieu académique n’est pas le seul débouché, mais il doit continuer de l’être pour ceux qui le veulent. De plus, leur engagement, leurs recherches et leurs expertises seront utiles pour améliorer les programmes de santé que le Canada finance, et financera encore longtemps, dans les PFMR. Je tiens d’ailleurs à remercier les quatre étudiants au doctorat qui ont bien voulu relire ce texte pour m’aider à l’améliorer.
Il faut que le Canada se donne une politique cohérente de financement de la recherche en santé mondiale. Il doit évidemment continuer de soutenir les étudiants et collègues dans les PFMR, dans la mesure où les projets sont sélectionnés sur des critères d’excellences scientifiques internationalement reconnus. Cependant, cela ne doit pas se faire au détriment des (jeunes) chercheurs canadiens et de l’investissement en recherche que les dirigeants des PFMR doivent aussi effectuer pour ne pas profiter de cette substitution. La construction d’un partenariat équitable de recherche en santé mondiale passe aussi par la prise en compte de ce défi qu’est le financement des chercheurs des établissements canadiens de recherche.
Ainsi, il est essentiel que le Canada, en parallèle de la poursuite et du renforcement nécessaire de son investissement dans l’aide au développement dans le domaine de la santé, puisse aussi assurer la pérennité de la carrière des jeunes chercheurs des établissements canadiens. Pour ce faire, les recommandations suivantes, destinées aux organismes subventionnaires de la recherche, pourraient permettre de lancer un débat :
- permettre aux postdoctorants et jeunes chercheurs des établissements canadiens de recherche de participer aux concours organisés par le CRDI, les IRSC et le FRQS en tant que chercheurs principaux;
- au niveau fédéral, se doter d’une politique qui valorise la spécificité de la contribution des chercheurs canadiens en santé mondiale afin de consolider sur la scène internationale la réputation canadienne dans ce domaine;
- augmenter le nombre de bourses en santé mondiale octroyées par les organismes subventionnaires pour les doctorants ou postdoctorants;
- rendre l’octroi des subventions du CRDI plus transparent tout en respectant les critères d’excellence scientifiques internationalement reconnus;
- autoriser les dépenses à l’étranger des recherches en santé mondiale pour les organismes de financement qui ne le permettent pas; et
- lancer un programme de Chaire de recherche en santé mondiale pour les chercheurs en début de carrière.
Valéry Ridde a été professeur agrégé de santé mondiale à l’École de santé publique de l’Université de Montréal (ESPUM) et titulaire d’une chaire de recherche en santé publique appliquée des Instituts de recherche en santé du Canada. Il est chercheur régulier à l’Institut de recherche en santé publique de l’université de Montréal (IRSPUM) et vient d’être nommé Directeur de recherche à l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) en France.