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À mon avis

Le financement de la recherche profite-t-il davantage aux universités de grande taille?

par LEO GROARKE | 07 NOV 16

Chaque décennie a ses tendances. Dans le milieu universitaire, il semble que la «différenciation » soit caractéristique de la période actuelle. Il est difficile d’être en désaccord avec l’idée voulant que chaque établissement doive mettre l’accent sur ses atouts, mais cette idée a suscité des conclusions hasardeuses qui méritent d’être analysées de plus près, dont l’une d’elles qui veut que la recherche (comme les études supérieures) soit l’apanage des universités de grande taille.

Les problèmes que pose cette conclusion ont récemment fait l’objet d’un article paru dans PLOS ONE, en anglais seulement (ainsi que dans le numéro de juin-juillet 2016 d’Affaires universitaires). Selon ses auteurs (Dennis L. Murray et coll.), le processus d’évaluation des demandes soumises au Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie (CRSNG) serait biaisé et favoriserait les universités de grande taille. L’enquête statistique à l’origine de cette affirmation a montré que « les taux d’obtention de financement et les montants des subventions accordées […] sont systématiquement inférieurs dans le cas des établissements de petite taille. Cette tendance s’observe quelle que soit l’expérience des candidats pour les trois critères d’évaluation des propositions. Elle montre que le système est biaisé, au détriment des candidats issus d’établissements de petite taille. »

Dans un commentaire provocateur (en anglais seulement), le président de Higher Education Strategy Associates, Alex Usher, a appelé chacun à lire l’article signé par Murray et ses collaborateurs, mais pas pour les mêmes raisons. Selon M. Usher, l’explication la plus plausible de l’écart entre petits et grands établissements en matière de taux d’attribution de subventions tient au fait que « la qualité de la recherche universitaire n’est peut-être pas la même partout. Il est possible que les grandes et riches universités utilisent leurs ressources pour attirer des professeurs réputés avoir un grand potentiel en recherche. Peut-être se trompent-elles parfois dans l’évaluation de ce potentiel, mais, dans l’ensemble, il semble que ce soit plus ou moins ainsi que les choses fonctionnent. »

Les universités de grande taille font partie des ligues majeures, tandis que les petites sont cantonnées aux ligues mineures, tant en matière de qualité des chercheurs que de capacités de recherche

C’est là une hypothèse importante, non pas parce qu’elle est plausible, mais parce qu’elle met en lumière certains des préjudices considérables que le système en place cause à la recherche au sein des universités canadiennes. Cette hypothèse laisse entendre en réalité que le milieu universitaire fonctionne un peu comme les sports professionnels, répartis en ligues majeures et ligues mineures.

Les universités de grande taille font partie des ligues majeures, tandis que les petites (comme celles dont il est question dans l’article de Murray et ses collaborateurs) sont cantonnées aux ligues mineures, tant en matière de qualité des chercheurs que de capacités de recherche. Pour comprendre le tort que cela cause à la recherche au sein des universités canadiennes, il suffit de songer au mode de fonctionnement des ligues de hockey majeures et mineures.

Les ligues mineures sont constituées de joueurs qui ne sont pas encore prêts à intégrer la Ligue nationale de hockey (LNH). Ils signent avec une équipe de ligue mineure affiliée à une équipe de ligue majeure, dans l’espoir d’accéder à la LNH. Les salaires des joueurs des ligues majeures sont nettement supérieurs à ceux de leurs homologues des ligues mineures qui ont des carrières précaires, jalonnées de contrats de courte durée.

Peut-on comparer ce système à celui qui régit l’accès aux postes de chercheurs dans les universités canadiennes? Difficilement. Au sein des universités canadiennes, la recherche est liée à la permanence. Les postes menant à la permanence sont accordés aux nouveaux titulaires de doctorat qualifiés pour travailler au sein d’une université, peu importe la taille, à des postes que leurs titulaires conservent pendant 30 ou 40 ans.

Les candidats postulent là où ils ont des chances d’être embauchés

Les salaires de ces postes diffèrent peu entre universités de petite et de grande taille (ils sont même parfois inférieurs si l’on prend en compte le coût de la vie dans les grandes villes.) Quiconque embauche un professeur le sait bien : le statut que confère un poste menant à la permanence, constitue un aspect bien plus important que le salaire.

Les candidats postulent là où ils ont des chances d’être embauchés, en particulier lorsque leur nombre excède celui des postes à pourvoir (c’est-à-dire là où des postes sont à pouvoir au moment de l’obtention de leur diplôme). Lorsque les candidats ont le choix, de nombreux facteurs entrent en ligne de compte : le lieu de résidence; la proximité de leur famille; le mode de vie auquel ils aspirent; leurs affinités avec le département; les perspectives de carrière pour leur conjoint; le coût de vie; etc.

Il n’est donc pas étonnant que les chercheurs soient répartis dans l’ensemble du milieu universitaire canadien. Des établissements de petite et de grande taille créent ici et là des postes réservés aux étoiles de la recherche, mais ils sont l’exception dans le milieu universitaire. De plus, divers programmes, comme celui des Chaires de recherche du Canada, font en sorte qu’il en existe dans tous les types d’universités.

Pour que le Canada bénéficie au maximum du financement qu’il accorde à la recherche, il faut que ce financement profite au talent là où il se trouve. Rien ne permet de croire qu’une catégorie particulière d’universités soit systématiquement avantagée. La vision selon laquelle certaines universités canadiennes appartiendraient aux ligues majeures alors que d’autres seraient cantonnées aux ligues mineures est fausse. Les idées fausses doivent être dissipées pour permettre au Canada de tirer pleinement parti de la recherche effectuée au sein de ses universités.

Leo Groarke est recteur de l’Université Trent.

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