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À mon avis

Le flou du vocabulaire administratif nuit aux postdoctorant.e.s

La réduction des inégalités entre les sexes dans le milieu universitaire passe par la révision de la définition de cette catégorie de travailleurs hautement qualifiés, mais vulnérables.

par WILLEMIEKE KOUWENHOVEN, SARAH GRASEDIECK & EDRIS MADADIAN | 27 JAN 22

L’été dernier, l’Association canadienne des stagiaires postdoctoraux (ACSP) a proposé à ses membres d’apporter des modifications à son nom français, l’idée étant de supprimer le mot « stagiaires ». Si ce terme est souvent utilisé dans le milieu universitaire francophone, nous croyons qu’il ne décrit pas adéquatement le travail et les responsabilités des postdoctorant.e.s. L’enthousiasme retentissant de nos membres pour cette initiative et leur vote en sa faveur nous confirme qu’une grande partie de la communauté partage nos impressions. Nous sommes donc fiers de vous présenter le nouveau nom français : l’Association canadienne des postdoctorantes et postdoctorants (ACPP) et voulons expliquer la portée de ce changement.

Le retrait du terme « stagiaire » témoigne d’une réflexion plus large. En effet, des membres de la communauté postdoctorale des universités canadiennes francophones nous ont confié que l’usage de ce terme leur nuit et invalide l’ampleur de leur contribution. Une conclusion que partage le Comité intersectoriel étudiant (CIE) des Fonds de recherche du Québec, qui a recommandé, dans son rapport de 2019, que le Fonds de recherche du Québec ainsi que les établissements universitaires et gouvernementaux cessent de désigner les chercheurs et chercheuses au postdoctorat par le terme « stagiaire ». À l’Université de Montréal, on note également un changement de perspective. L’établissement a approuvé la demande du syndicat postdoctoral, voulant que ses membres soient désignés comme « personnes postdoctorantes » dans leur nouvelle convention collective, plutôt que par l’ancienne appellation « stagiaires postdoctoraux ». Ce nouveau terme, s’il peut sembler lourd pour certains, a l’avantage d’être épicène et inclusif.

L’ACPP appuie le mouvement pour cesser de désigner les personnes postdoctorantes et associées de recherche comme « stagiaires », ou comme « trainee » en anglais, étant donné l’importance, en particulier dans le milieu universitaire, d’un vocabulaire précis et de définitions exactes. Nous croyons que le fait de définir clairement le travail postdoctoral constituera un premier pas dans la bonne direction, en mettant en lumière l’une des difficultés majeures auxquelles sont confrontés les membres de la communauté postdoctorale canadienne. Dit autrement, une définition appropriée de leur rôle pourrait permettre aux universités et aux employeurs d’harmoniser leur statut d’emploi. Actuellement, les universités les catégorisent en tant qu’étudiants, employés, visiteurs ou professeurs.

Les personnes postdoctorantes se font en général assigner à l’une de ces catégories selon l’origine de leur financement. Celles financées à l’interne, par exemple par la bourse d’un directeur de recherche, sont souvent considérées comme des employées. Leurs revenus sont donc imposés et sont sujets à des retenues pour des avantages sociaux obligatoires ou facultatifs, quoique ceux-ci sont souvent moins complets que ceux offerts aux autres employés de l’université. Les personnes postdoctorantes qui ont réussi à obtenir un financement indépendant, cependant, ne sont généralement pas considérées comme des employées, elles n’ont donc pas droit aux assurances collectives, aux régimes de retraite, aux allocations pour le logement ou les enfants, ou encore au congé parental. Si certains organismes subventionnaires proposent une partie de ces avantages sociaux, il n’y a pas de normes ni d’exigences en la matière.

En définissant ainsi le statut d’emploi selon la source de financement, on se retrouve avec d’étranges cas de figure où deux personnes avec une expérience équivalente, qui travaillent dans la même unité de recherche sur des projets similaires, peuvent recevoir des salaires et avantages sociaux considérablement différents. Qui plus est, quelqu’un qui serait d’abord employé, puis qui recevrait une bourse indépendante pour son projet plus tard dans le processus – un accomplissement très célébré dans le milieu – peut du même coup perdre tous ses avantages sociaux. Cette réalité est inacceptable et difficilement défendable, et nous enjoignons les autorités canadiennes et le secteur professionnel à unifier les conditions de travail postdoctorales dans un souci d’équité.

Dans la foulée de son changement de nom, l’ACPP affirme sans détour son avis sur la question : les personnes postdoctorantes ne sont ni stagiaires ni étudiantes. Elles ont atteint l’ultime étape du cheminement universitaire en obtenant un doctorat. Aucun diplôme n’est remis au postdoctorat à l’issue des projets de recherche étant donné qu’aucun cours associé à des crédits universitaires n’est requis. Le rôle des postdoctorant.e.s est plutôt de concevoir, de réaliser et de diriger des projets de recherche, d’enseigner et d’accompagner les étudiants, d’obtenir du financement, de s’impliquer dans la communauté et de participer à l’évaluation des pairs ainsi que de publier des articles. Les personnes postdoctorantes s’appliquent encore certes à développer ces compétences afin de devenir un jour chercheurs principaux ou chercheuses principales, chef d’équipe ou professeur.e.s. Et c’est aussi le cas des gens qui occupent ces postes puisque la stagnation n’a pas sa place dans la sphère universitaire, lieu de l’évolution des savoirs. Attribuer le statut de stagiaire aux personnes postdoctorantes parce qu’elles veulent se perfectionner ne sert qu’à se justifier lorsqu’on refuse de reconnaître leur statut d’employé. Si elles sont stagiaires, elles devraient donc majoritairement passer leur temps en stage, non?

Dans un monde idéal, les personnes doctorantes dresseraient avec leur directeur de recherche un plan de développement professionnel pour acquérir les compétences qui leur manquent. Or, dans les faits, elles sont souvent embauchées pour un éventail de compétences déjà acquises, qui leur permettent de produire le plus de publications possible, le plus rapidement possible. Résultat : elles n’ont souvent pas la chance de se former en dehors de leurs projets de recherche pour développer des compétences professionnelles qui les aideraient à dénicher un emploi hors de l’université. Soulignons qu’au Canada, on compte bien plus de personnes postdoctorantes que de postes de professeurs, d’où l’importance d’acquérir des compétences professionnelles pertinentes en dehors de la sphère universitaire pour l’obtention d’un emploi. Justement, en dehors du milieu universitaire, ce genre de formation continue est fréquent dans les postes d’entrée après l’obtention d’un diplôme – et on ne voit personne désigner ces travailleurs hautement qualifiés comme des étudiants ou des stagiaires, ou pire encore, refuser de leur donner des avantages sociaux.

Tout comme les professeur.e.s, dont les tâches se sont diversifiées avec les années, sans compter les prérequis pour accéder à un tel poste qui ne cessent de s’accumuler, les responsabilités des personnes postdoctorantes ont grandement augmenté. Selon notre sondage national de 2020 (dont les résultats seront publiés sur le site Web de l’ACPP ce printemps), réalisé auprès de 847 personnes au postdoctorat et de 169 personnes l’ayant terminé, la personne postdoctorante a 33 ans en moyenne, est généralement mariée ou dans une relation à long terme, travaille 45 heures ou plus par semaine, gagne un salaire annuel brut moyen de 51 375 dollars (même si 25 % des personnes actuellement au postdoctorat gagnent moins de 45 000 dollars par année) et a un total de dépenses mensuelles de 2 250 dollars si elle n’a pas de personne à charge (61 % des répondants) ou de 3 250 dollars si elle a des enfants (39 % des répondants). Environ les deux tiers des personnes postdoctorantes au Canada peuvent prendre de courtes vacances rémunérées, la moitié a accès à un régime complet d’assurance maladie et le cinquième n’a pas accès au régime de soins de santé de sa province. Seule la moitié des répondants affirme avoir eu une offre d’emploi en dehors du milieu universitaire.

Il est important de souligner que même si l’on compte actuellement autant de personnes au postdoctorat qui s’identifient comme femmes (50 %) que comme hommes (47 %), les données indiquent que, pour les personnes ayant terminé leur postdoctorat entre 2015 et 2019, le genre a une grande influence sur la situation d’emploi et sur le poste occupé aujourd’hui. Les femmes risquent davantage d’être sans emploi ou d’avoir un emploi à temps partiel (20 % contre 7,5 % pour les hommes). Elles sont aussi moins susceptibles d’avoir un poste de professeur titularisé ou menant à la permanence (26 % contre 49 % pour les hommes), ce qui suggère que la poursuite d’un postdoctorat est la pierre angulaire qui creuse les inégalités entre les sexes en matière de carrière universitaire. Les femmes au postdoctorat en 2020 étaient bien plus susceptibles d’avoir des revenus additionnels externes, d’affirmer ne pas pouvoir obtenir de l’aide en santé mentale par manque d’accès à un régime complet de soins de santé, et de mentionner que l’accès aux avantages sociaux était l’un des principaux facteurs pour lequel elles étaient en faveur du changement de la classification d’emploi (74 % contre 52 %). On peut en déduire que le fait de considérer les personnes postdoctorantes comme étudiantes ou stagiaires, sans reconnaître leur statut d’employé ou leur contribution à l’enseignement, nuit particulièrement aux femmes, et contribue à l’immobilisme de l’inégalité entre les sexes au sein de facultés de sciences, de technologies, d’ingénierie et de mathématiques.

En somme, on ne devrait pas minimiser le travail postdoctoral – une période de transition importante qui implique la réalisation de nombreuses tâches professorales – en désignant les personnes qui l’accomplissent comme stagiaires ou étudiants. Selon nous, revoir la définition et la manière de désigner ce poste au sein des universités et des administrations, par exemple en utilisant des termes comme universitaires, professeurs en début de carrière, chercheurs ou associés de recherche, serait un premier pas de taille pour s’attaquer aux inégalités entre les sexes dans le milieu universitaire canadien et pour garantir l’accès de ces travailleurs hautement qualifiés mais vulnérables à une meilleure stabilité financière et à un régime de soins de santé et d’avantages sociaux, deux éléments qui vont de soi dans nombre d’autres carrières et dans la sphère professionnelle de plusieurs autres pays développés du monde.

Willemieke Kouwenhoven est vice-présidente des communications francophones à l’Association canadienne des postdoctorantes et postdoctorants (ACPP) et chercheuse postdoctorale en neurobiologie à l’Université de Montréal. Sarah Grasedieck est vice-présidente des enquêtes et des données à l’ACPP et chercheuse postdoctorale à l’Université de la Colombie-Britannique. Edris Madadian est président de l’ACPP et boursier postdoctoral AMDT Global Talent à l’Université de Waterloo.

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