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À mon avis

Les droits religieux sont des droits de la personne

Comment concilier ces droits conflictuels?

par LAURA STEMP-MORLOCK | 29 JAN 14

« Droits des femmes et droits religieux : lesquels priment? »

Posée en titre d’une opinion publiée sur le site Web d’Affaires universitaires à l’intention d’un lectorat universitaire, cette question agite maintenant l’opinion publique un peu partout dans le monde. De toute évidence, le refus de Paul Grayson, professeur de sociologie à l’Université York, d’autoriser un étudiant à ne pas prendre part à un travail en équipe au côté d’étudiantes a incontestablement touché un point sensible du public canadien. Cette affaire pose, pour les participants au débat, le problème de la préséance du droit à l’égalité des sexes sur les droits religieux. Dans une lettre ouverte au Globe and Mail parue le 16 janvier dernier, M. Grayson écrit que les droits de la personne, par essence laïques et concernant tout le monde, doivent primer sur les droits religieux.

L’argument de M. Grayson, qui s’ajoute à nombre d’autres du même type, ne tient pas. Le droit à la liberté de religion est en effet garanti à la fois par la Charte canadienne des droits et libertés, à l’article 2 (a), et par la Déclaration universelle des droits de l’homme. Il ne s’agit donc pas d’opposer « droits des femmes » et « droits religieux », mais plutôt de concilier ces droits conflictuels. Après tout, le droit à la liberté de religion et de conscience est lui aussi un droit de la personne!

Au Canada, nul droit n’est absolu, et aucun droit ne prévaut sur un autre. Il est important de le préciser, car l’essentiel du débat porte désormais sur la préséance ou non du droit à l’égalité des sexes sur les droits religieux. Beaucoup soutiennent que le droit à l’égalité des sexes devrait toujours primer sur les droits religieux en cas de conflit. Or, les tribunaux canadiens ont plutôt décrété que chaque affaire de ce type devait être jugée au cas par cas.

La lettre ouverte de M. Grayson met également en lumière un autre problème : celui des idées fausses abondamment répandues sur la notion de « laïcité » au Canada. Dans notre pays, cette notion est en effet profondément ancrée dans une vision chrétienne du monde qui établit une distinction entre la sphère « sacrée » et la sphère « profane » (ou laïque). Si cette distinction a pu un temps être perçue comme entachée d’une connotation négative, ceci a changé pour bon nombre d’Européens et de Nord-Américains au cours du XXe siècle. La laïcité étant devenue synonyme de modernité, la religion incarne alors l’irrationalité et l’oppression. Ainsi, pour la plupart des Canadiens, les croyances et les pratiques religieuses dissociables de la sphère laïque sont avant tout affaire de vie privée. Par conséquent, dès qu’on affirme que la religion n’a pas sa place au sein d’un établissement laïque, on adopte une vision chrétienne du monde sur laquelle notre pays a bâti ses institutions.

De nombreuses personnes estiment toutefois que nous faisons fausse route, craignant que les droits religieux n’annulent les droits constitutionnels et fassent des femmes des citoyennes de seconde zone. C’est précisément pour éviter cela qu’en présence de droits conflictuels, il importe de négocier et de juger au cas par cas, de manière à parvenir à un juste équilibre. À l’heure où les gens semblent si déterminés à protéger les droits des femmes, que devrions-nous penser du droit de celles qui réclament des accommodements pour raisons religieuses? Pourquoi est-on si déterminé à protéger le droit à l’égalité des sexes, mais non à accorder à ces femmes les accommodements qu’elles réclament? Les femmes ont après tout elles aussi un droit inaliénable à la liberté de religion et de conscience.

L’attitude du public sur la question a des relents de paternalisme. Chose intéressante, dans le cadre d’un sondage mené par M. Grayson au sein de sa classe, davantage d’étudiantes (52 pour cent) que d’étudiants (20 pour cent) ont affirmé qu’ils accorderaient à leur collègue l’accommodement réclamé par celui-ci. Cela est conforme aux résultats de sondages concernant l’opinion des Canadiens sur diverses questions liées aux femmes et à la religion, comme le port du hidjab par les musulmanes. Le fait que de telles pratiques semblent déranger davantage les hommes que les femmes n’en dit-il pas long sur la persistance d’un certain patriarcat?

La crainte d’accusations de sexisme conduit à s’interroger sur la transformation des « préférences » en « droits », ainsi qu’à décider de ce qui est « raisonnable ». Aux yeux de ceux qui prétendent que nous faisons fausse route, le fait d’accorder à l’étudiant de M. Grayson l’accommodement réclamé risquerait de faire en sorte que toute discrimination au profit d’une personne affichant des croyances sincères soit à l’avenir considérée comme justifiée. Or, le système actuel interdit ce genre de choses. Il importe en effet de savoir que la loi prévoit toute une série de tests qui permettent de déterminer à quel point il y a lieu de restreindre le droit à un accommodement réclamé pour raisons religieuses dans la mesure où celui-ci semble susceptible de causer du tort à autrui ou apparaît fondé sur la haine. Au Canada, nul n’a le pouvoir d’interdire une croyance religieuse, pas même les autorités religieuses traditionnelles. La liberté de croyance est inscrite dans la Charte des droits et libertés. C’est à la partie qui entend limiter la liberté de religion qu’il incombe de prouver que cela doit être fait. Cela évite aux tribunaux et aux organismes publics d’avoir à déterminer le caractère « raisonnable » d’une croyance, qu’elle ait trait à l’existence des prophètes, aux possibilités de révélations ou encore de rédemption.

Au sein d’un Canada de plus en plus multiculturel et multiconfessionnel, il est essentiel que les professeurs des établissements d’enseignement supérieur comprennent les grands enjeux et les conséquences des demandes d’accommodement. Des lois antidiscrimination existent pour garantir à tous un accès égal aux services publics. Les universités doivent protéger le droit à l’égalité des sexes et la promouvoir, mais elles doivent également veiller à ce que les croyants, au même titre que les femmes, les handicapés, les membres des minorités ethniques ou sexuelles, etc., puissent accéder à ces services sans devoir renoncer à leur identité. En d’autres termes, les universités doivent concilier l’existence de droits conflictuels au sein de leurs classes et sur leurs campus, plutôt que de considérer que le droit à l’égalité des sexes, universel, doit primer sur les droits religieux.

Laura Stemp-Morlock est étudiante en diversité religieuse, égalité des sexes et religion au sein de l’espace public en Amérique du Nord. Elle est inscrite au programme de doctorat en études religieuses de l’Université de Waterloo.

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  1. Denis Proulx / 29 janvier 2014 à 13:50

    Le commentaire de Mme Stemp-Morlock est empreint de naïveté. L’islam de Mahomet ne dévaluait pas les femmes comme celui des Salafistes d’aujourd’hui. Les femmes n’étaient pas voilées il y a trente ans dans les universités d’Afrique du Nord, on n’a qu’à voir les photos des finissants, en Algérie ou au Maroc (c’était alors interdit en Tunisie). L’étudiant de M. Grayson invoque la religion pour éviter les femmes, mais qui peut juger de la valeur de cette exigence? Les naïfs ne voient pas la montée de l’intégrisme et les nouveaux comportement qu’ils exigent des femmes. Le mari qui exige que sa femme se voile et l’homme qui exige d’éviter les femmes portent des valeurs inacceptables dans notre société, peu importe notre constitution qui n’a jamais fait l’objet d’un référendum et qui porte des valeurs discutables elle aussi

  2. Raymond Panneton / 29 janvier 2014 à 22:00

    Philosophons un peu pour tout dire et ne rien dire – Demain nous avons une activité extérieure qui nous passionne. Elle aura lieu seulement si la température le permet. Naturellement, par réflexe, on se dit, « faite qu’il fasse beau ». On adresse notre demande à qui ? Après des milliers d’années, ce réflexe préhistorique nous a certainement emmené à croire à une entité supérieure qui pourrait répondre à notre demande. Peu importe le temps, le lieu géographique et même les variétés de primates dotés d’intelligence (ex.: homo sapiens et l’homme de Néandertal), ce réflexe est, selon moi, à l’origine des nombreuses religions (autant de religions que de peuples). Ces religions n’offraient pas des réponses concrètes à nos questions, mais permettaient de structurer la pensée des primates intelligents d’une même collectivité. Cette même intelligence a mené certains à utiliser cette croyance d’un être supérieur pour dominer et contrôler ses congénères. Pour arriver à leurs fins, ils utilisent alors la Peur et inventent la Foi – « Vous pouvez poser des questions, mais ne tentez pas d’y répondre, sans quoi vous serez punis… ayez foi » (cf. l’obscurantisme religieux). Sachez que la peur n’est pas le fonds de commerce exclusif des groupes terroristes, c’était aussi, et c’est encore dans plusieurs pays, le fonds de commerce de bien des religions. Alors, continuons d’évoluer naturellement vers le Savoir, la Connaissance et la Quiétude. Continuons à dire « faites qu’il fasse beau demain », mais sachons que cette demande ne s’adresse qu’à nous-mêmes ou aux météorologues afin qu’ils améliorent leurs moyens de prédiction. Osons trouver des réponses à nos questions, afin d’éliminer nos peurs préhistoriques qui nous hantent parfois encore. Les religions ont peut-être été utiles un temps, mais aujourd’hui, sérieusement, c’est fini! L’intelligence domine nos peurs. Tous ces débats sur les religions et les accommodements sont malheureusement utiles. Ma position là-dessus est d’accepter que nous évoluons encore, et que ce processus est lent… très lent! Adaptons nos lois, nos chartes et nos constitutions progressivement en fonction de nos valeurs collectives humaines et intelligentes, et non de valeurs religieuses archaïques.

  3. Bruno Dussault / 31 janvier 2014 à 20:14

    Le sexe, la couleur de la peau ne sont pas des choix et je crois que l’égalité dans ce domaine doit avoir préséance sur les choix religieux ou culturels

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