Après plusieurs mois de rencontres visant à énumérer nos préoccupations et à rédiger notre mandat correspondant à la constitution du département, nous jouissons finalement d’une réelle représentation. Cet accomplissement marque un précédent au sein du corps professoral, parce qu’il constitue une reconnaissance de la lourde dette envers ses membres les plus vulnérables : les enseignants à temps partiel qui, dans certains départements, sont chargés de la majorité des cours au premier cycle.
Il ne s’agit pas d’un processus que d’autres facultés ou départements peuvent reproduire facilement, à moins que les administrateurs soient investis de la volonté politique d’accorder des droits aux enseignants à temps partiel afin de combattre les inégalités institutionnalisées. La peur – celle que toute action entreprise soit perçue comme de l’insubordination et limite leurs possibilités d’emploi – est le premier obstacle que doivent surmonter beaucoup d’enseignants à temps partiel. Il arrive aussi qu’ils se sentent plutôt impuissants, estimant impossible de modifier les structures en place afin d’engager un dialogue constructif avec les membres réguliers du corps professoral.
D’une certaine façon, la revendication d’une représentation équitable peut être envisagée selon le Pari de Pascal. Une personne qui vit d’un travail précaire qu’elle risque de perdre de toute façon a tout à gagner à réclamer une représentation au risque de ne pas voir son contrat renouvelé l’année suivante. Les enseignants contractuels ne jouissant d’aucune sécurité d’emploi, qu’ont-ils à perdre à tenter d’améliorer leurs conditions de travail?
On peut rétorquer avec cynisme qu’il y a plus qu’un pas à franchir entre l’intégration à la structure de gouvernance universitaire et la sécurité d’emploi, les avantages sociaux et la rémunération proportionnelle. De plus, ces tâches ne seront sans doute pas rémunérées.
Plutôt que de considérer la représentation comme un enjeu qui risque de les diviser, les enseignants à temps partiel doivent comprendre que le fait de former leur propre comité et de tenter d’obtenir un rôle participatif au sein d’un programme d’études donne de l’expérience et permet d’acquérir de la visibilité et d’intervenir dans les questions liées à l’élaboration du contenu des cours. Par ailleurs, elle a pour effet de rassembler des enseignants à temps partiel qui, autrement, n’auraient pas occasion d’interagir. Consulter des intervenants intéressés – même ceux qui se trouvent dans « les tranchées » – a pour effet d’améliorer la santé et l’efficacité d’une organisation.
Qu’entend-on par « visibilité »? Être invité à participer aux processus de prise de décisions, voir ses activités professionnelles et de recherche reconnues, entretenir des rapports collégiaux avec les professeurs réguliers et être investi d’une volonté collective d’abolir les divisions fondées sur des classes. En prenant collectivement position, les enseignants contractuels pourraient mettre un terme à l’arrogance, à la condescendance, à l’hostilité affichée et à toute autre forme de marginalisation de la part de certains professeurs qui font de la discrimination à leur égard.
Au sein du milieu de travail, le changement pourrait s’amorcer par la résolution des problèmes relatifs à l’occupation des bureaux, à la visibilité au sein de la gouvernance universitaire et d’une panoplie de questions qui ne sont pas directement couvertes par la convention collective. L’existence d’un comité comme celui dont je fais partie repose sur le principe suivant : si l’université compte sur les enseignants contractuels pour donner une part importante, sinon la majorité des cours d’un programme d’études, ces enseignants doivent jouer un rôle significatif dans les processus de prise de décisions relatives au programme. Bien que cette affirmation risque de soulever une vive résistance parmi les professeurs permanents, d’autres ne sont tout simplement pas au fait des conditions de travail des enseignants contractuels et pourraient se montrer sympathiques à leur cause dans le climat néolibéral qui règne actuellement dans les universités canadiennes, où l’expression « gel de l’embauche » n’est qu’un euphémisme pour parler de l’époque glaciaire qui sévit en cette ère d’austérité financière.
Ceux qui s’opposeront bec et ongles à l’octroi de droits aux enseignants contractuels sont trop attachés à une hégémonie archaïque qui a pour effet de diviser et de démoraliser ces enseignants tout en nuisant à la santé de l’ensemble du département. Les opposants feront peut-être valoir que les professeurs permanents sont mieux informés ou ont plus d’expérience, ce qui n’est pas toujours le cas. Les professeurs permanents jouissent de certains privilèges, mais ceux-ci ne doivent pas s’exercer au détriment des enseignants contractuels. La mise sur pied d’un comité ne permettra pas de résoudre tous les problèmes, mais elle aura au moins le mérite de donner droit de parole à une majorité silencieuse et visibilité à une majorité invisible. Defendit numerus, junctæque umbone phalanges!
Kane Faucher enseigne à la faculté de l’information et des médias de l’Université Western Ontario.